mercredi 1 mars 2017

Matthieu XXIII:2-3 : A qui obéir ?

Question d' un lecteur : J'ai lu quelque part que dans le texte ' Shem Tov ' de Matthieu 23:2-3  , ce n'est pas aux pharisiens qu'il faut obéir, mais à Moïse. Pourriez-vous m'éclairer là-dessus?
Réponse

Shalom , 

Certains manuscrits de l' Evangile de Matthieu selon la version de " Shem Tov " ou " Even Bohan " prescrivent effectivement d' écouter Moïse . Cependant , il y a un détail que ceux qui se servent de cet écrit pour rejeter la Torah orale et les traditions rabbiniques n' ont pas remarqué ou feignent d' ignorer dans l' espoir , probablement , que personne ne s'en rende compteNous reprendrons le texte ci-après : 
Matthieu XXIII:2-3 ( Shem Tov )  : " Sur le siège de Moshéh sont assis les pharisiens et les sages . Et maintenant , tout ce qu' il vous dira , observez et faites , mais selon leur taqanot et leurs agissements , ne faites pas , car ils disent mais ne font pas " (  על כסא משה ישבו הפירושים והחכמים ועתה כל אשר יאמר לכם שמרו ועשו ובתקנותיהם ומעשיהם אל תעשו שהם אומרים והם אינם עושים )
Vous remarquerez que le texte indique que  ce sont les Pharisiens , et non les Esséniens , les Sadducéens ou quelque autre branche dissidente du Judaïsme du premier siècle , qui sont les successeurs légitimes de Moïse , ceux qui occupent son siège de législateur : " Âl kissé Mosheh yashvou hapéroushim vehaakhamim - les pharisiens et les sages sont assis sur le siège de Moïse" . Autrement dit , c'est aux pharisiens que revient l' autorité halakhique évoquée dans la Torah ( Deutéronome XVII:9-13 ). Pour cette raison , en supposant que la mention " il dira " se réfère à Moïse , et en sachant que selon la Torah de Moïse , il faut obéir aux juges que Yéshoua identifie aux pharisiens , il faut en déduire que malgré leurs divergences , le sens qui se dégage de ce texte est identique à la version majoritaire : Ce que les pharisiens vous disent , faites et observez .  

Toutefois , la conjugaison future dans la phrase " yomar lakhèm - il vous dira " n' aurait absolument aucun sens si le texte se réfère ici à Moïse qui , du moins à ce que l' on sait , n'est jamais ressuscité pour instruire le peuple après sa mort . De toute évidence , le singulier se réfère aux instructions émanant du " siège de Moïse . Ceci est comparable à l' usage du terme " Parlement " en français . Lorsqu' il est dit que le Parlement décida de ceci ou de cela , l' on comprend aisément que le " Parlement " se réfère à ceux qui y siègent . D' une manière analogique , la phrase " tout ce qu' il vous dira faites et observez  " signifie : " tout ce que ceux qui occupent le siège de Moïse vous diront , faites et observez " , comme le confirme la tradition pétrinienne : 
Homélies III.70 " Il vous est commandé d' honorer le siège de Moïse même si ceux qui l' occupent passent pour des pécheurs  " 
 Il conviendrait de signaler cependant que la plupart des manuscrits de Shem Tov , c'est à dire six des neuf connus , ne disent pas " yomar - il dira " , mais "  yomrou - ils diront " au pluriel  :  
Manuscrits ABDEFG : " Tout ce qu' ils vous diront ( yomrou lakhèm ) , faites et observez "  ( כל אשר יאמרו לכם שמרו ועשו )
 Il est vrai que selon l' Even Bohan , émettre des taqanoth dépasse le cadre de juridiction des sages: " ouvtaqanotheihem vema'assehem 'al ta'assou - mais selon leur taqanoth et leurs agissements , ne faites pas ". Néanmoins, il faut garder à l' esprit que le mot taqanoth ne recouvre pas l' ensemble de la Tradition orale comme l' affirme l' Encyclopédie Juive
" La substance de la Torah orale , dans le sens large tel que nous le retrouvons dans la Mishnah , la Tossefta et les Midrashim halakhiques , peut être divisée dans les huit catégories suivantes : (1) Les explications de certains commandements de la loi écrite ... (2) Les halakhot anciennes qui n'ont aucun lien avec l'écriture et qui ne peuvent pas lui être rattachées , tirant ainsi leurs sources de la tradition qui les attribue à Moïse sur le Sinaï ... (3) Les halakhot retrouvées dans les livres prophétiques .... (4) Les interprétations et les règles définissant de nombreuses lois écrites ainsi que de nouvelles halakhot , que les premiers scribes , depuis l' époque d' Esdras , ont formulées . Elles sont appelées " Divré Soferim" ( Paroles des Scribes ) (5) Les interprétations et les règles à propos de la loi écrite ainsi que de nouvelles halakhot que les Tannaim ont déduit des écritures au moyen des règles herméneutiques et de conclusions logiques (6) Coutumes et observances ( taqanoth ) introduites pendant diverses époques par différents érudits .... (7) Les lois et les décisions ( gezeroth ) décrétées par le Sanhédrin ou la cour , et généralement acceptées , devenant ainsi des lois qui ne peuvent être abrogées que par une autre cour supérieure à la première en nombre et en érudition (8) Lois et régulations à propos desquelles les érudits n'avaient aucune tradition ou allusion dans les écritures , mais qu' ils ont acceptés comme la norme après les avoir déduit des coutumes et des lois du pays dans lequel ils vivaient . Celles-ci sont appelées ' Hilkhot Medinah' " ( Encyclopédie Juive , Loi Orale )
D'après la plupart des manuscrits de l' Even Bohan , ce n'est donc pas à l' ensemble de la tradition pharisienne que Yéshoua s' oppose , mais seulement aux " Taqanoth " , un terme technique en droit rabbinique qui ne se réfère qu' à l'une des huit composantes de la Tradition . L'on notera toutefois en ce qui concerne cette version qu' elle semble être en contradiction avec ce que nous apprennent les évangiles qui relatent que Yéshoua célébra la fête de Hannoukah ( Jean X:22 ) , qu' il pratiqua et encouragea l' observance des jeûnes privés  ( Matthieu 6:16-18 ) ( voir également l' explication sur ce lien ) , et que contrairement à " quelques uns de ses disciples " ( Marc VII:2 ), il fit l' ablution rituelle des mains , tout ceci conformément aux taqanoth des pharisiens.  A moins peut-être que dans ce contexte , les Taqanoth dont il est question sont celles énumérées dans le reste du chapitre XXIII de Matthieu , où Yéshoua , après avoir reconnu la légitimité de ceux qui occupent le siège de Moïse , définit par la suite les limites de leur autorité halakhique en citant des cas où l' obéissance aux pharisiens ne s' applique pas . La littérature rabbinique nous apprend que ces coutumes  , tel que le fait d'élargir les téfilines et les tzitzioth ou de laver en premier lieu l' extérieur de la coupe et du plat , furent celles de l' école pharisienne de Chammai qui , à l' époque de Yéshoua , représentait la majorité et avec laquelle l' école tout aussi pharisienne d' Hillel fut  également en désaccord ( TB Menaḥot 41b , M. Bérakhot VIII:2 ). Dans tous les cas , l' enseignement de Yéshoua est gitime vis à vis de la Torah Orale qui stipule que l' on ne doit obéir aux sages que " lorsque ce qu' ils disent être la droite est vraiment la droite  " ( Y. Horayot 2b ). Dans  le présent cas , Yéshoua n'a juste fait qu' indiquer , conformément aux traditions alternatives existantes à son époque , les points il était en désaccord avec la majorité pharisienne Il serait utile de signaler que l'un des manuscrits de Shem-Tov dit non pas " Taqanoteihem - leurs Taqanoth " mais " Taqanoteikhem - vos taqanoth " , inversant ainsi la tendance . En effet , le manuscrit F en disant " vos " au lieu de " leurs" , proscrit aux gens du peuple , pas toujours instruits dans la Torah , de s'inventer leurs propres coutumes et leurs propres halakhot comme le font hélas de nos jours certains individus mal instruits .


Pour nous , le texte de Shem-Tov ne reflète pas entièrement l' original sémitique de l' évangile de Matthieu  . Il est amusant de constater cependant que ce texte ne facilite pas la tache à ceux qui s' en servent pour condamner le Judaïsme rabbinique . Contrairement au texte canonique qui dit de se méfier de l' enseignement des pharisiens , la version de Shem-tov ne condamne que le comportement des pharisiens, הנהגת הפרושים - hanahagat hapéroushim - comme le fait également le Talmud (  TB. Sotah 22a - 22b , Y. Bérakhot 14b , ARN XXXVII etc .... ). Dans l' Even Bohan , les scribes , c'est à dire les décisionnaires pharisiens , que mentionnent le texte grec sont appelés akhamim ( sages ) . Paradoxalement , les faux-enseignants qui sont en conflit avec la tradition rabbinique , et qui , pour appuyer leur position , se servent de l' Even Bohan  , s' insurgent contre le fait que l'on appelle " Sages " ceux qu' ils nomment les " orthodoxes pharisiens " ! Enfin , ce texte présente clairement Yéshoua comme un akhham :

Matthieu VII,29 ( Shem-Tov ) : " Parce qu' il enseignait avec une grande force , et non pas comme le reste des akhamim " ( לפי שהיה דורש להם בכח גדול ולא כשאר החכמים )  ( la version grecque dit :  " comme leurs scribes " ) 
Rappelons au passage que dans le texte de Shem-Tov , les akhamim , lesquels sont identiques aux scribes du texte grec , sont toujours mentionnés en conjonction avec les Pharisiens en tant que maîtres et jurisconsultes de ceux-ci . Autrement dit , l' Even Bohan fait de Yéshoua un Juif Pharisien ou mieux encore : un Rabbi intégré à la mouvance Pharisienne . Ce que la tradition johannique relate par ailleurs en ces termes : 
 Jean III.2 : " Mais il y eut un homme d'entre les pharisiens, nommé Nicodème, un chef des Juifs, qui vint, lui, auprès de Jésus, de nuit, et lui dit: Rabbi, nous savons que tu es un docteur venu de Dieu ..."
En réponse à ces personnes mal instruites qui s' érigent en ennemis des Sages et de la tradition d' Israël , nous ne pouvons que leur répéter ce que l' Apôtre Pierre , dans une exégèse typiquement pharisienne d' un verset du Deutéronome  , dit à Simon le Mage : 
Homélies III.18Interroge ton père, et il te l'apprendra, Tes anciens, et ils te le diront. ( Deutéronome XXXII:7 ). Il convient de se renseigner auprès de ce Père et de ces anciens. Mais tu n'as pas cherché à qui appartient le temps du Royaume, ni à qui appartient le siège de la prophétie , alors que lui-même l' a indiqué en disant : Les scribes et les pharisiens sont assis sur le siège de Moïse, écoutez tout ce qu' ils vous disent ( Matthieu XXXIII:2-3 ). Ecoutez-les, dit-il, parce qu' ils possèdent la clé du Royaume, qui est la connaissance, la seule qui peut ouvrir les portes de la Vie,  la seule à travers laquelle l'on entre dans la Vie éternelle "
Vous remarquerez que dans la citation de Matthieu XXXIII:2 par Pierre , le verbe dire est au pluriel. Citons en outre, pour une meilleure compréhension des propos de Pierre , le Midrash rabbinique que l' Apôtre reprend  : 
Seder Ôlam Rabbah XXX : " Jusqu'ici , les prophètes ont prophétisé dans l' Esprit Saint . Mais maintenant , " prête l'oreille, et écoute les paroles des sages car il est bon que tu les gardes au dedans de toi afin que ta confiance repose sur l' Eternel "  ( Proverbes XXII:17-19 )... maintenant il est dit  : " Interroge ton père, et il te l'apprendra, Tes anciens , et ils te le diront " ( Deutéronome XXXII:7 ) . Tu pourrais penser qu' il s' agit des vieillards du marché , mais il est dit " et ils te diront ", d' où nous savons qu' il s'agit d'un ancien qui a acquis de la sagesse . " ( עד כאן היו הנבאים מתנבאים נרוח הקודש מיכן ואילן הט אזנך ושמע דברי חכמים כי־נעים כי־תשמרם בבטנך להיות ביהוה מבטחך ... וכן  הוא אומר שאל אביך ויגדך זקניך ויאמרו לך . יכול זקני השוק ת"ל ויאמרו לך הא למדת שזקן זה שקנה חכמה )
                                                                                                Menahem 
                                                                                 menahem.netsari@gmail.com

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