lundi 20 mai 2019

Introduction au Roman pseudo-clémentin

Composé au 3è ou au 4è siècle en Syrie, le Roman pseudo-clémentin est constitué de deux ouvrages: Les Reconnaissances et les Homélies, auxquelles sont attachés l’épître de Pierre à Jacques et l'Engagement Solennel. Ces deux écrits, bien qu'indépendants, découlent d'un document Judéo-chrétien de base, appelé « Grundschrift » par les chercheurs. Selon l’Encyclopédie Catholique, « une part importante des Homélies et des Reconnaissances est presque mot pour mot la même […] Il est aujourd’hui universellement admis que les Homélies et les Reconnaissances sont deux versions d’un Roman Clémentin original ».  Cet article aura pour but de montrer, d'une part,  l’intérêt de ces écrits et, d’autre part, d’en définir les limites de l’usage dans la restauration du judaïsme nazaréen des origines. 

Bien que, comme nous l'avons signalé dans l'introduction, le Roman Pseudo-Clémentin dans sa forme qui nous a été parvenue n'est pas antérieure au 3è siècle, ces ouvrages incorporent des sources beaucoup plus anciennes et indépendantes des écrits néotestamentaires. Il suffit, pour s'en rendre compte, de comparer ces textes avec les évangiles canoniques et apocryphes. 

Prenons, à titre d'exemple, la traduction syriaque de l'original grec, aujourd'hui perdu, des Rec 2:27 :  

 « Notre enseignant a dit : Je ne suis pas venu apporter la paix sur terre, mais la guerre (qarba) » ܡܠܦܢܟ ܕܐܡܪ ܕܠܐ ܐܬܝܬ ܕܐܪܡܐ ܫܝܢܐ ܒܐܪܥܐ ܐܠܐ ܩܪܒܐ ( Rec 2:27 ) 

Les évangiles canoniques, par contre, disent :   

« Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée » (Mt 10:34)  

La divergence provient probablement d'une tradition judéo-araméenne commune qui contenait le mot  חרבא ( 'harba ).  Pour reprendre les propos de Gilles Quispel,  « Il serait  en effet possible que le mot araméen harba, qui, en syriaque, a le sens de glaive aussi bien que de guerre  fut à l'origine de la divergence entre le logion 16 [de l'évangile de Thomas] et les Ps.-Clém., d'une part, et la source de Matth. 10,34-37 et Luc 12,51-54 (qui serait alors Q),  d'autre part. En ce sens, le logion 16 et les Ps.-Clém. reflèteraient ici  une tradition d'origine araméenne, qui ne s'identifie pas avec Q » (Vigilae Christianae Vol. 12, No. 4, p. 189)

Autre exemple : D'après les Homélies, comme les Reconnaissances, les pharisiens sont ceux qui « possèdent » les clés du Royaume des cieux :   

«  Les scribes aussi et les pharisiens se laissent entraîner dans un autre schisme;
mais eux, baptisés par Jean
et détenant la parole de vérité reçue de la tradition de Moïse
comme la clé du royaume des cieux,
l’ont cachée aux oreilles du peuple » (Reconnaissances 1:54)

 «   Les scribes et les pharisiens sont assis sur le siège de Moïse,
écoutez tout ce qu' ils vous disent ( Matthieu 23:2-3 ).
Ecoutez-les, dit-il, parce qu' ils possèdent la clé du Royaume,
qui est la connaissance, la seule qui peut ouvrir les portes de la Vie,
la seule à travers laquelle l'on entre dans la Vie éternelle » (Homélies 3:18) 

L'évangile copte de Thomas, similairement, affirme :  

 « Jésus a dit :
  Les pharisiens et les scribes
  ont reçus les clefs de la connaissance
  et ils les ont cachées.
  Ils ne sont pas entrés,
  et ceux qui voulaient entrer,
  ils ne les ont pas laissé faire. »  - Logion 39 - 

A l’opposé, les parallèles canoniques, dans leur forme actuelle, évitent clairement de dire que les pharisiens « possèdent » ou ont « reçu » la « clé du royaume »   :

  « Malheur à vous, docteurs de la loi !
 parce que vous avez enlevé la clef de la science;
 vous n'êtes pas entrés vous-mêmes,
et vous avez empêché d'entrer ceux qui le voulaient »  (Lc 11 :42 )

« Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites !
parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux;
vous n'y entrez pas vous-mêmes,
et vous n'y laissez pas entrer ceux qui veulent entrer »  (Matthieu 23 :13) 

Gilles Quispel suppose que la divergence serait dû à un original araméen qui disait שקל (shaqal) (Op. cit. p. 190). Nous croyons cependant pour notre part, qu'à l'instar de la version syriaque sinaïtique de Matthieu 23:13, la tradition primitive contenait le mot אחיד (a'hid), qui, en araméen, peut également revêtir le sens de posséder ou détenir. 

L'on notera également que la tradition de la primauté de Jacques le Juste et de son élection par Jésus lui-même ; tradition à laquelle était attaché comme nous le verrons plus bas le milieu à l'origine du matériel Pseudo-Clémentin, n'est clairement pas inventée puisqu'on en retrouve la trace dans l'évangile de Thomas, où l'on peut notamment lire :   

« Les disciples dirent à Jésus :
   Nous savons que tu nous quitteras :
   qui se fera grand sur nous ?
   Jésus leur dit :
   Au point où vous en serez,
   vous irez vers Jacques le juste
   pour qui le ciel et de la terre ont été créés »
( Logion 12 )  

Sachant que l'évangile  de Thomas est un remaniement gnostique d'un document  araméen qui aurait été rédigé vers l'an 40 ou 50, ceci atteste clairement que la littérature pseudo-clémentine incorpore des traditions très anciennes qui remontent aux premières décennies de la mouvance nazaréenne.

Cela est étayé par le fait que de tous les documents de la littérature apocryphe néotestamentaire auxquels nous avons aujourd'hui accès, les ouvrages qui composent le Roman Pseudo-Clémentin sont sans conteste ceux dont le caractère judaïque est le plus prononcé.  

Ces écrits insistent en effet l'actualité et l'éternité de la Torah (Pierre à Jacques chap. 2) ainsi que sur l'importance de l'observance judaïque des commandements (Hom. 11:16). Conformément au Lévitique 15:16-19, il y est prescrit à la femme d'observer la « loi de la purification » (Hom 7:8) et  à l'homme de ne pas coucher avec une femme en ses jours de séparation et de s'immerger après chaque rapport sexuel (Rec. 6:11 et Hom 11:28-30). Les  Homélies (11:28) vont même jusqu'à comparer ceux qui négligent les lois de pureté rituelle à des « mouches du fumier ».  « Partager la table de démons », selon les Homélies 7:8, consiste en la consommation aussi bien de sang que de la chair d'animaux qui n'ont pas été abattus rituellement, et pas seulement d'aliments offerts aux idoles. Les Homélies 8:19 déclarent de même que ceux qui « consomment la chair d'animaux crevés, et se rassasient de chair déchirée par les bêtes, de ce qui a été arraché [ à un animal vivant ], de ce qui a été étouffé ou encore quoi que ce soit d'impur » se trouvent sous l'empire des démons (cf. Ex 22:30 et Lev 7:24 et chap. 11). En un autre endroit, les Gentils sont dits être «  semblables aux chiens en raison de leurs aliments et leurs actes » (Hom 2:19). Notons que bien que certains passages enseignent que l'humanité fut originellement végétarienne et que la consommation de viande provient des anges déchus (Hom. 8:15-16), le Roman Pseudo-clémentin, contrairement à l'idée reçue, n'interdit pas entièrement la chaire animale et suggère que Dieu en a par la suite permis la consommation,  à titre de concession.  Les passages des Homélies qui interdisent la consommation d'animaux impurs ou non abattus rituellement ; lesquels passages n'auraient aucun sens si le milieu d'où ils proviennent considérait illicite toute consommation de viande; étayent notre observation. D'ailleurs, les Reconnaissances affirment dans le même esprit qu' Hillel l'ancien (Mishnah Avot 2:7) que seul  l' « excès de viande » est mauvais à l'instar de l' « excès de vin » (Rec. 4:18 ). Le passage de l'Engagement solennel (1:1) qui exhorte à ne confier les ouvrages de la prédication de Pierre qu'aux seuls   « fidèles circoncis » suppose clairement que le commandement de la circoncision est encore d'actualité.  

Le fait que, suivant la tradition rabbinique, ces écrits prohibent de manger à la même table que les Gentils (Hom 13:4 et Rec 7:29), considèrent le Tétragramme sacré comme « ineffable » (Hom 16:17) et cautionnent, du moment qu'ils sont accompagnées de la pureté du coeur, les ablutions rituelles des Pharisiens ainsi que le lavage des coupes  (Hom 11:28-29 , Rec 6:11), indiquent que le milieu à l'origine du matériel pseudo-clémentin respectait également la Halakhah Pharisienne, comme en atteste explicitement les Homélies qui attribuent à Pierre le discours suivant  :  

« Interroge ton père, et il te l'apprendra, Tes anciens, et ils te le diront. ( Deut 32:7 ). Il convient de se renseigner auprès de ce Père et de ces anciens. Mais tu n'as pas cherché à qui appartient le temps du Royaume, ni à qui appartient le siège de la prophétie , alors que lui-même l' a indiqué en disant : Les scribes et les pharisiens sont assis sur le siège de Moïse, écoutez tout ce qu' ils vous disent (Mt 23:2-3). Ecoutez-les, dit-il, parce qu' ils possèdent la clé du Royaume, qui est la connaissance, la seule qui peut ouvrir les portes de la Vie,  la seule à travers laquelle l'on entre dans la Vie éternelle »  (Hom 3:18) 

Relevons également :  

« Honorez, de ce fait, le trône du Christ. Car il vous est commandé d' honorer le siège de Moïse même si ceux qui l' occupent passent pour des pécheurs » ( Hom 3:70)

Les Reconnaissances attestent pareillement de l’attachement de l’ Apôtre Pierre à la tradition : 

« Et Pierre dit : Hommes intelligents ! A ce que je vois , beaucoup tirent de nombreuses conclusions vraisemblables à partir de ce qu' ils lisent.  Prenez donc beaucoup de précautions lorsque vous lisez la loi divine. Qu'elle ne soit pas lue selon votre propre compréhension. Car il y a beaucoup de déclarations dans les écritures qui peuvent être interprétées à partir des idées préconçues de chacun. Ne faites donc pas cela. Ne cherchez pas un sens étranger et extérieur, que vous aurez importé du dehors et que vous allez confirmer par l' autorité des écritures. Saisissez plutôt par les écritures elles-mêmes le sens qui correspond à la vérité. C'est pour cela qu' il vous incombe d' apprendre la signification des écritures par celui qui a reçu la vérité transmise par ses pères , afin qu' il déclare d' une manière faisant autorité ce qu'il a correctement reçu » (Rec 10 :42)

Cette « vérité » qu'ont transmise les pères et sans laquelle ne peut correctement s'interpréter l'écriture est identifiée dans l'ouvrage à « la tradition enseignée par Moïse »  (Rec 3:30 et 75), la « clé du royaume des cieux », que détiennent « les scribes et les pharisiens » (Rec syriaques 1:54) et que Pierre appelle « notre tradition » dans son épître à Jacques où il reprend l'idée exprimée dans l'extrait des Reconnaissances cité précédemment: « Et qu'ils gardent la foi, et propageant partout la règle de la vérité, expliquant toutes choses selon notre tradition. Et qu'ils ne soient pas traînés vers le bas par l'ignorance, en étant attirés dans l'erreur par les conjectures de la pensée, et qu'ils n'entraînent pas les autres dans le même trou de perdition » (Pierre à Jacques 3 :3-4).  D'après les Hom 11:29 et les Rec 6:11, Jésus n’a pas condamné tous les Pharisiens, mais seulement les « hypocrites » parmi eux. 

Selon le Homélies, non seulement est-il interdit de manger avec les Gentils, qui sont qualifiés de pécheurs, mais ces derniers, à moins qu' ils ne deviennent juifs et n'observent la Loi, ne seront pas sauvés :

«  Si un étranger pratique la Loi, il est juif , et s'il ne la pratique pas, il est grec. Car le juif croit en Dieu et pratique sa Loi [...] Mais celui qui ne pratique pas la Loi est manifestement un déserteur en ce qu'il ne croit pas en Dieu ; et n'étant par conséquent pas juif , mais un pécheur, il reçoit les souffrances décrétées comme une punition aux pécheurs » (Hom 11:15) 

« Nous te montrerons qu'en naissant de nouveau, en changeant tes origines, et en vivant selon la Loi, tu obtiendras le salut éternel » (Hom 19:23 ) 

«  Lorsqu'ils voient les êtres qui leurs sont chers tomber malade, ou emmenés sur un chemin qui mène à la mort, ou endurant n'importe quelle autre épreuve, ne se lamentent t-ils pas à cause d'eux  ou ne les prennent t-il pas en piété ? De ce fait, s'ils croient réellement qu'un feu éternel attend ceux qui ne croient pas en Dieu , ils ne cesseraient pas d' admonester [ les êtres qui leurs sont chers], ou d'être saisis d'une grande détresse pour ceux-là, qui sont des infidèles, s'ils le voyaient insubordonnés et s'ils sont certains que le châtiment les attend. Mais maintenant, je vais convoquer l'hôte [Mattidie, une non-juive] et la questionner pour voir si elle accepte intentionnellement la Loi qui est proclamée à travers nous » ( Hom 13:10 ) 

En référence à l'épisode relaté en Mt 15:21-24, les Homélies précisent que si Jésus accepta de guérir la fille de la syro-phénicienne, ce n’est pas parce qu’il changea d’avis, mais parce que la mère et la fille acceptèrent le joug de la Torah et abandonnèrent leur statut de Gentils :

« Il y a parmi nous une syro-phénicienne nommée Justa, de race cananéenne, dont la fille souffrait d’une maladie grave. Elle vint criant vers notre Seigneur, le suppliant de guérir sa fille. Mais lui, alors que nous aussi lui avons demandé, dit : « Il n’est pas permis de guérir les Gentils, qui sont semblables aux chiens en raison de leurs aliments et leurs actes ; la table dans le royaume a été donnée aux enfants d’Israël ». En entendant cela,  elle supplia de prendre part comme les chiens  aux miettes qui tombent de cette table et elle changea son état antérieur en vivant comme les fils du royaume et obtint ainsi la guérison qu’elle avait réclamée pour sa fille. En effet, il ne l’aurait pas guéri si elle est restée gentille et si elle persistait dans sa conduite de vie , car il n'est pas permis de la guérir en tant que païenne. Ayant adopté un mode vie conforme à la Torah, avec sa fille elle fut chassée de sa maison par son mari, les sentiments duquel étaient opposées aux nôtres »  ( Hom 2:19 )

Les Hom 13:7 appellent ainsi Justa « prosélyte des Juifs ». 

Alors que Jacques, dont l'attachement à la Loi juive et la proximité avec les pharisiens sont notoires ( cf. Antiquités Juives de Flavius Josèphe 20:9 , Histoires Ecclésiastiques d'Eusèbe 2:23, Actes 21:20-21), est présenté comme celui qui fut désigné par Jésus comme  « seigneur et évêque de la sainte Assemblée » et est élevé, en tant qu' « évêque des évêques » et autorité suprême , au-dessus même de Pierre qui l'appelle « seigneur »  (Pierre à Jacques 1:1, Rec 1:43-44, 68 et 73 et 4:35 ), Paul, qui a enseigné la dissolution de la Loi, est rejeté comme l' « homme ennemi » : 

« Car certains parmi les nations ont rejeté la prédication conforme à la Loi qui était la mienne, pour adopter un enseignement contraire à la Loi, les sornettes de l’homme ennemi. Et cela, de mon vivant : certains ont entrepris de travestir mes paroles par des interprétations artificieuses pour abolir la Loi, en prétendant que moi-même, je pensais ainsi, même si je ne le proclamais pas ouvertement.  Loin de moi pareille attitude !  Car cela serait agir contre la Loi de Dieu qui a été dite à travers Moïse, et dont Notre Seigneur a attesté l’éternelle validité . Car il a dit  « le ciel et la terre passeront ; mais pas un iota ni un signe de la Loi ne passera ». Et cela dit-il pour que tout soit accompli. Mais ces hommes, déclarant connaître, je ne sais comment, mes pensées, entreprennent d'expliquer mes paroles qu'ils entendirent de moi plus intelligemment que moi qui les a dites, racontant à leurs catéchumènes que ceci est ce que j'ai voulu dire, que je n'ai moi-même en effet jamais pensée.  Mais si, alors que je suis encore en vie, ils osent me dénaturer ainsi, combien plus ceux qui viendront après moi! » (Pierre à Jacques  chapitre 2)

Cela n'est pas sans rappeler les attaques de Paul, lequel accusa Pierre, qui a prêché la Loi à Antioche,  d'être un hypocrite qui adhérait à l'évangile paulinien mais qui dissimulait ses véritables convictions à Jacques qu'il craignait et devant les émissaires duquel, à en croire Paul, Pierre fit semblant d'adhérer à la Halakhah et d'exhorter les Gentils à « judaïser » (Gal 2:11-14). Signalons que d'après une note marginale de l'un des manuscrits des Reconnaissances, « homme ennemi » fut le surnom donné par la communauté de Jérusalem à Paul. 

L'on est fondé à penser , compte tenu de tout ceci, que le Roman Pseudo-Clémentin se base sur un substrat de traditions authentiques remontant au « parti des pharisiens qui crurent », lesquels se heurtèrent à Paul sur la question de la Torah et de son observance par les croyants issus du paganisme (Actes 15:5).  

A ce stade , il faudrait signaler que  le Roman Pseudo-Clémentin ne reflète néanmoins pas toujours les positions historiques de l'Eglise de Jacques. Comme en attestent les divergences, et pas des moindres, entre les Homélies et les Reconnaissances, le document Judéo-chrétien de base, identifié dans l'Epître de Pierre à Jacques aux « Prédications de Pierre », a subi des remaniements tardifs. L'exemple qui l'illustre le mieux est la doctrine des « Fausses Péricopes » : D'après les Homélies, certains passages des écritures, tels que les lois sacrificielles et les versets qui, selon le jugement des auteurs de l'ouvrage, blasphèment Dieu ou parlent en mal contre les patriarches et les prophètes seraient des ajouts tardifs dans la Torah écrite , laquelle n' aurait même pas été rédigée par Moïse, qui n'aurait reçu que la Loi Orale, mais par des auteurs postérieurs non-inspirés. A l'opposé, les Reconnaissances, qui ne soufflent mot de cette doctrine, reconnaissent clairement l'autorité du texte écrit tel qu' il a été conservé et suggère, dans le passage que l'on a cité plus haut, mais que nous reprendrons ci-après pour la clarté, que les versets problématiques doivent simplement être lus à la lumière de la tradition : 

« Et Pierre dit : Hommes intelligents ! A ce que je vois , beaucoup tirent de nombreuses conclusions vraisemblables à partir de ce qu' ils lisent.  Prenez donc beaucoup de précautions lorsque vous lisez la loi divine. Qu'elle ne soit pas lue selon votre propre compréhension. Car il y a beaucoup de déclarations dans les écritures qui peuvent être interprétées à partir des idées préconçues de chacun. Ne faites donc pas cela. Ne cherchez pas un sens étranger et extérieur, que vous aurez importé du dehors et que vous allez confirmer par l' autorité des écritures. Saisissez plutôt par les écritures elles-mêmes le sens qui correspond à la vérité. C'est pour cela qu' il vous incombe d' apprendre la signification des écritures par celui qui a reçu la vérité transmise par ses pères , afin qu' il déclare d' une manière faisant autorité ce qu'il a correctement reçu » (Rec 10 :42)

Il est à noter que l'épître de Pierre à Jacques qui sert d'Introduction aux Homélies contredit la doctrine des Fausses Péricopes lorsqu'on y lit par exemple que la tradition et les principes exégétiques hérités de Moïse permettent de réconcilier les versets à l'apparence contradictoires des écritures (1:5-6) ou lorsque  la nation juive est louée pour n'avoir pas « dévié de la voie des écritures tant révélatrices » (1:4). Compte tenu de cela, et étant donné que  les membres de l'Eglise primitive de Jérusalem continuaient à fréquenter le Temple et à exprimer leur piété en y offrant des sacrifices (Luc 24:53, Actes 2:46, 3:1, 21:23-24 et 26), il est pour nous suffisamment clair que les passages évoquant les fausses péricopes ne faisaient pas partis du Grundschrift et qu'il s'agit de remaniements postérieurs propres aux Homélies. Ceci est confirmé par les contradictions internes que l'on retrouve dans les Homélies.  En effet, alors qu' Hom 2:52 et 3:14 rejettent l'idée qu' Adam, lequel a été créé à l'image de Dieu, ait péché, car, disent t-il,  insulter l'image du Roi revient à insulter le Roi lui-même, les Hom 10:4 reconnaissent la faute d'Adam relatée dans le livre de la Genèse.  Pour citer les observations très pertinentes de l'historien Karl Evan Shuve  : 

«  L'ambivalence vis à vis de la tradition textuelle est compréhensible lorsqu'on prend en considération les différentes formes d'expressions religieuses dans l'antiquité syrienne tardive, beaucoup desquelles se fondaient, au moins en partie, sur les écritures juives et/ou se distinguaient par une interprétation particulière de ces écritures. Les Marcionites, les Bardesanites et les Manichéens étaient nombreux et influents. La doctrine des fausses péricopes des Homélies semble avoir été façonnée pour réfuter les doctrines de Marcion en particulier, dont les antithèses cherchaient apparemment à établir une distinction entre le Dieu proclamé dans les écritures juives et le Père révélé par le Christ. Dans le débat avec les marcionites, l'Ecriture était le principal lieu de contestation et c'est précisément le pouvoir des Ecritures que les auteurs ou les rédacteurs des Homélies cherchaient à neutraliser » (Tiré de l'article : La Doctrine des Fausses Péricopes et autres approches antiques tardives sur le problème de l'unité de l'Ecriture) 

Il n'est pas difficile de comprendre que puisque les marcionites, représentés dans les Homélies par Simon de Mage, citaient certains versets  des Ecritures pour nier la divinité du Dieu d'Israël et rejeter ses prophètes , le milieu Judéo-chrétien à l'origine de la forme finale des Homélies déclara en réponse que « tout ce qui est dit ou écrit contre Dieu est faux. » ( Hom 2:40 ). De même, puisque le marcionites protestaient contre les Judéo-chrétiens qu'un Dieu qui  « aime la graisse, les sacrifices, les offrandes et les libations » ne peut être en même temps  « autosuffisant , saint, pur et parfait » (Hom 2:44), les rédacteurs des Homélies rétorquèrent que Dieu n'a jamais ordonné les sacrifices et  qu'il s'agit d'ajouts dans la Torah. Il semble que les rédacteurs des Homélies préféraient rejeter certains passages des écritures plutôt que de «  pécher contre Dieu » en l'imaginant tel que les marcionites le dépeignaient ( Hom 2:40 )

L'on pourrait ainsi corriger les Homélies par les Reconnaissances par rapport à la doctrine des fausses péricopes. 

Les Reconnaissances, il faut le noter, ne sont toutefois pas non plus dépourvues de remaniements. Georges Strecker a écrit :  

« Les Reconnaissances virent le jour indépendamment des Homélies, probablement en 350 de l'ère commune , en Syrie ou en Palestine. L'auteur est moins attaché que l'Homéliste au contenu du document de base. Ce qui a une apparence d' hétérodoxie est supprimé et l'anti-paulinisme du document de base est largement éliminé.  L'on peut de ce fait conjecturer que l'auteur des Homélies était un catholique orthodoxe » (Les apocryphes du Nouveau Testament, volume 2 , p. 485)

Certains indices vont clairement dans ce sens. Par exemple, bien que l'écrit n'enseigne pas la doctrine des fausses péricopes, les lois sacrificielles sont néanmoins présentées dans les Rec 1:36-37 comme des concessions destinées à être abrogées par Jésus; une idée qui n'est pas sans rappeler l'enseignement de la Didascalie, rédigée au 4è siècle, en Syrie, par un juif converti au catholicisme. L'on remarquera que le passage des Homélies (16:15-16) qui réfute en des termes explicites la divinité  et la préexistence éternelle de Jésus est absent des Reconnaissances. Le fait que les Reconnaissances mentionnent en certains endroits la formule trinitaire et évoquent en des termes très orthodoxes le Fils dans un passage (Rec 1:69) qui a été reconnu comme une interpolation par les éditeurs de la traduction anglaise appuie également les observations de Georges Strecker. La théologie du document n'est cependant pas uniforme et des extraits comme les  Rec 1:45-47 enseignent à l'instar des Homélies que le Christ est la réincarnation d'Adam ( Hom 3:20 ) ; une opinion attestée dans le mysticisme rabbinique (Mégalé `Amouqot 180:1).  En revanche, il est affirmé en Rec 1:48  que Jésus «  fut appelé Fils de Dieu dans les eaux de l’immersion » (Rec. 1:48). Cela va à l'encontre des passages du Roman Pseudo-Clémentin qui font de Jésus le Fils de Dieu qui a existé depuis l'aube des temps ( Hom 18:15 , Rec 2:47 ), mais rejoint la christologie adoptianiste de la plupart des Judéo-chrétiens de l'antiquité; lesquels, si l'on en croit les sources patristiques, n'attribuaient aucune forme de préexistence à Jésus (Panarion 30:13:7-8; Histoires Ecclesiastiques 3:27 et al.). Ces contradictions internes laissent supposer qu'avant d'aboutir à la forme finale des Reconnaissances, l'écrit de base a subi plusieurs remaniements.

Comment procéder alors pour séparer l'authentique  tradition pétrinienne des retouches tardives ?   Compte tenu de tout ce qui a été dit et développé, nous proposons, du fait du remaniement catholique des Reconnaissances, de donner la priorité aux Homélies. Les Reconnaissances devront néanmoins être privilégiées lorsqu'elles présentent une tradition qui cadre mieux avec l'Epître de Pierre à Jacques, qui introduisait l'Ecrit de base, et les doctrines historiques des Pauvres de Jérusalem ou reproduisent un matériel moins développé, donc plus archaïque, que les Homélies qui ont souvent tendance à augmenter  d'explications philosophiques le texte de la Prédication de Pierre. 

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