Composé au 3è ou au 4è siècle en
Syrie, le Roman pseudo-clémentin est constitué de deux ouvrages: Les
Reconnaissances et les Homélies, auxquelles sont attachés l’épître de Pierre à
Jacques et l'Engagement Solennel. Ces deux écrits, bien qu'indépendants,
découlent d'un document Judéo-chrétien de base, appelé « Grundschrift » par les
chercheurs. Selon l’Encyclopédie Catholique, « une part importante des Homélies
et des Reconnaissances est presque mot pour mot la même […] Il est aujourd’hui
universellement admis que les Homélies et les Reconnaissances sont deux
versions d’un Roman Clémentin original ». Cet article aura pour but de
montrer, d'une part, l’intérêt de ces écrits et, d’autre part, d’en
définir les limites de l’usage dans la restauration du judaïsme nazaréen des
origines.
Bien que, comme nous l'avons
signalé dans l'introduction, le Roman Pseudo-Clémentin dans sa forme qui nous a
été parvenue n'est pas antérieure au 3è siècle, ces ouvrages incorporent des
sources beaucoup plus anciennes et indépendantes des écrits néotestamentaires.
Il suffit, pour s'en rendre compte, de comparer ces textes avec les évangiles
canoniques et apocryphes.
Prenons, à titre d'exemple, la
traduction syriaque de l'original grec, aujourd'hui perdu, des Rec 2:27
:
« Notre enseignant a dit :
Je ne suis pas venu apporter la paix sur terre, mais la guerre (qarba) » ܡܠܦܢܟ ܕܐܡܪ ܕܠܐ ܐܬܝܬ ܕܐܪܡܐ ܫܝܢܐ ܒܐܪܥܐ ܐܠܐ ܩܪܒܐ ( Rec 2:27
)
Les évangiles canoniques, par
contre, disent :
« Je ne suis pas venu apporter la
paix, mais l'épée » (Mt 10:34)
La divergence provient
probablement d'une tradition judéo-araméenne commune qui contenait le mot
חרבא ( 'harba ). Pour reprendre les propos de Gilles Quispel, « Il
serait en effet possible que le mot araméen harba, qui, en syriaque, a le
sens de glaive aussi bien que de guerre fut à l'origine de la divergence
entre le logion 16 [de l'évangile de Thomas] et les Ps.-Clém., d'une part, et
la source de Matth. 10,34-37 et Luc 12,51-54 (qui serait alors Q),
d'autre part. En ce sens, le logion 16 et les Ps.-Clém. reflèteraient ici
une tradition d'origine araméenne, qui ne s'identifie pas avec Q » (Vigilae
Christianae Vol. 12, No. 4, p. 189)
Autre exemple : D'après les
Homélies, comme les Reconnaissances, les pharisiens sont ceux qui « possèdent »
les clés du Royaume des cieux :
« Les scribes aussi et les
pharisiens se laissent entraîner dans un autre schisme;
mais eux, baptisés par Jean
et détenant la parole de vérité
reçue de la tradition de Moïse
comme la clé du royaume des
cieux,
l’ont cachée aux oreilles du
peuple » (Reconnaissances 1:54)
« Les scribes
et les pharisiens sont assis sur le siège de Moïse,
écoutez tout ce qu' ils vous
disent ( Matthieu 23:2-3 ).
Ecoutez-les, dit-il, parce qu'
ils possèdent la clé du Royaume,
qui est la connaissance, la seule
qui peut ouvrir les portes de la Vie,
la seule à travers laquelle l'on
entre dans la Vie éternelle » (Homélies 3:18)
L'évangile copte de Thomas,
similairement, affirme :
« Jésus a dit :
Les pharisiens et les
scribes
ont reçus les clefs de la
connaissance
et ils les ont cachées.
Ils ne sont pas entrés,
et ceux qui voulaient
entrer,
ils ne les ont pas laissé
faire. » - Logion 39 -
A l’opposé, les parallèles
canoniques, dans leur forme actuelle, évitent clairement de dire que les
pharisiens « possèdent » ou ont « reçu » la « clé du royaume » :
« Malheur à vous, docteurs
de la loi !
parce que vous avez enlevé
la clef de la science;
vous n'êtes pas entrés
vous-mêmes,
et vous avez empêché d'entrer
ceux qui le voulaient » (Lc 11 :42 )
« Malheur à vous, scribes et
pharisiens hypocrites !
parce que vous fermez aux hommes
le royaume des cieux;
vous n'y entrez pas vous-mêmes,
et vous n'y laissez pas entrer
ceux qui veulent entrer » (Matthieu 23 :13)
Gilles Quispel suppose que la
divergence serait dû à un original araméen qui disait שקל (shaqal) (Op. cit. p.
190). Nous croyons cependant pour notre part, qu'à l'instar de la version
syriaque sinaïtique de Matthieu 23:13, la tradition primitive contenait le mot אחיד
(a'hid), qui, en araméen, peut également revêtir le sens de posséder ou
détenir.
L'on notera également que la
tradition de la primauté de Jacques le Juste et de son élection par Jésus
lui-même ; tradition à laquelle était attaché comme nous le verrons plus bas le
milieu à l'origine du matériel Pseudo-Clémentin, n'est clairement pas inventée
puisqu'on en retrouve la trace dans l'évangile de Thomas, où l'on peut
notamment lire :
« Les disciples dirent à Jésus :
Nous savons que tu
nous quitteras :
qui se fera grand
sur nous ?
Jésus leur dit :
Au point où vous en
serez,
vous irez vers
Jacques le juste
pour qui le ciel et
de la terre ont été créés »
( Logion 12 )
Sachant que l'évangile de
Thomas est un remaniement gnostique d'un document araméen qui aurait été
rédigé vers l'an 40 ou 50, ceci atteste clairement que la littérature
pseudo-clémentine incorpore des traditions très anciennes qui remontent aux
premières décennies de la mouvance nazaréenne.
Cela est étayé par le fait que de
tous les documents de la littérature apocryphe néotestamentaire auxquels nous
avons aujourd'hui accès, les ouvrages qui composent le Roman Pseudo-Clémentin
sont sans conteste ceux dont le caractère judaïque est le plus
prononcé.
Ces écrits insistent en effet
l'actualité et l'éternité de la Torah (Pierre à Jacques chap. 2) ainsi que sur
l'importance de l'observance judaïque des commandements (Hom. 11:16).
Conformément au Lévitique 15:16-19, il y est prescrit à la femme d'observer la
« loi de la purification » (Hom 7:8) et à l'homme de ne pas coucher avec
une femme en ses jours de séparation et de s'immerger après chaque rapport
sexuel (Rec. 6:11 et Hom 11:28-30). Les Homélies (11:28) vont même
jusqu'à comparer ceux qui négligent les lois de pureté rituelle à des « mouches
du fumier ». « Partager la table de démons », selon les Homélies 7:8,
consiste en la consommation aussi bien de sang que de la chair d'animaux qui
n'ont pas été abattus rituellement, et pas seulement d'aliments offerts aux
idoles. Les Homélies 8:19 déclarent de même que ceux qui « consomment la chair
d'animaux crevés, et se rassasient de chair déchirée par les bêtes, de ce qui a
été arraché [ à un animal vivant ], de ce qui a été étouffé ou encore quoi que
ce soit d'impur » se trouvent sous l'empire des démons (cf. Ex 22:30 et Lev
7:24 et chap. 11). En un autre endroit, les Gentils sont dits être «
semblables aux chiens en raison de leurs aliments et leurs actes » (Hom 2:19).
Notons que bien que certains passages enseignent que l'humanité fut
originellement végétarienne et que la consommation de viande provient des anges
déchus (Hom. 8:15-16), le Roman Pseudo-clémentin, contrairement à l'idée reçue,
n'interdit pas entièrement la chaire animale et suggère que Dieu en a par la
suite permis la consommation, à titre de concession. Les passages
des Homélies qui interdisent la consommation d'animaux impurs ou non abattus
rituellement ; lesquels passages n'auraient aucun sens si le milieu d'où ils
proviennent considérait illicite toute consommation de viande; étayent notre
observation. D'ailleurs, les Reconnaissances affirment dans le même esprit qu'
Hillel l'ancien (Mishnah Avot 2:7) que seul l' « excès de viande » est mauvais
à l'instar de l' « excès de vin » (Rec. 4:18 ). Le passage de l'Engagement
solennel (1:1) qui exhorte à ne confier les ouvrages de la prédication de
Pierre qu'aux seuls « fidèles circoncis » suppose clairement que le
commandement de la circoncision est encore d'actualité.
Le fait que, suivant la tradition
rabbinique, ces écrits prohibent de manger à la même table que les Gentils (Hom
13:4 et Rec 7:29), considèrent le Tétragramme sacré comme « ineffable » (Hom
16:17) et cautionnent, du moment qu'ils sont accompagnées de la pureté du
coeur, les ablutions rituelles des Pharisiens ainsi que le lavage des
coupes (Hom 11:28-29 , Rec 6:11), indiquent que le milieu à l'origine du
matériel pseudo-clémentin respectait également la Halakhah Pharisienne, comme
en atteste explicitement les Homélies qui attribuent à Pierre le discours
suivant :
« Interroge ton père, et il te
l'apprendra, Tes anciens, et ils te le diront. ( Deut 32:7 ). Il convient de se
renseigner auprès de ce Père et de ces anciens. Mais tu n'as pas cherché à qui
appartient le temps du Royaume, ni à qui appartient le siège de la prophétie ,
alors que lui-même l' a indiqué en disant : Les scribes et les pharisiens sont
assis sur le siège de Moïse, écoutez tout ce qu' ils vous disent (Mt 23:2-3).
Ecoutez-les, dit-il, parce qu' ils possèdent la clé du Royaume, qui est la
connaissance, la seule qui peut ouvrir les portes de la Vie, la seule à
travers laquelle l'on entre dans la Vie éternelle » (Hom 3:18)
Relevons également :
« Honorez, de ce fait, le trône
du Christ. Car il vous est commandé d' honorer le siège de Moïse même si ceux
qui l' occupent passent pour des pécheurs » ( Hom 3:70)
Les Reconnaissances attestent
pareillement de l’attachement de l’ Apôtre Pierre à la tradition :
« Et Pierre dit : Hommes
intelligents ! A ce que je vois , beaucoup tirent de nombreuses conclusions
vraisemblables à partir de ce qu' ils lisent. Prenez donc beaucoup de
précautions lorsque vous lisez la loi divine. Qu'elle ne soit pas lue selon votre
propre compréhension. Car il y a beaucoup de déclarations dans les écritures
qui peuvent être interprétées à partir des idées préconçues de chacun. Ne
faites donc pas cela. Ne cherchez pas un sens étranger et extérieur, que vous
aurez importé du dehors et que vous allez confirmer par l' autorité des
écritures. Saisissez plutôt par les écritures elles-mêmes le sens qui
correspond à la vérité. C'est pour cela qu' il vous incombe d' apprendre la
signification des écritures par celui qui a reçu la vérité transmise par ses
pères , afin qu' il déclare d' une manière faisant autorité ce qu'il a
correctement reçu » (Rec 10 :42)
Cette « vérité » qu'ont transmise
les pères et sans laquelle ne peut correctement s'interpréter l'écriture est
identifiée dans l'ouvrage à « la tradition enseignée par Moïse » (Rec
3:30 et 75), la « clé du royaume des cieux », que détiennent « les scribes et
les pharisiens » (Rec syriaques 1:54) et que Pierre appelle « notre tradition »
dans son épître à Jacques où il reprend l'idée exprimée dans l'extrait des
Reconnaissances cité précédemment: « Et qu'ils gardent la foi, et propageant
partout la règle de la vérité, expliquant toutes choses selon notre tradition.
Et qu'ils ne soient pas traînés vers le bas par l'ignorance, en étant attirés
dans l'erreur par les conjectures de la pensée, et qu'ils n'entraînent pas les
autres dans le même trou de perdition » (Pierre à Jacques 3 :3-4).
D'après les Hom 11:29 et les Rec 6:11, Jésus n’a pas condamné tous les
Pharisiens, mais seulement les « hypocrites » parmi eux.
Selon le Homélies, non seulement
est-il interdit de manger avec les Gentils, qui sont qualifiés de pécheurs,
mais ces derniers, à moins qu' ils ne deviennent juifs et n'observent la Loi,
ne seront pas sauvés :
« Si un étranger pratique
la Loi, il est juif , et s'il ne la pratique pas, il est grec. Car le juif
croit en Dieu et pratique sa Loi [...] Mais celui qui ne pratique pas la Loi
est manifestement un déserteur en ce qu'il ne croit pas en Dieu ; et n'étant par
conséquent pas juif , mais un pécheur, il reçoit les souffrances décrétées
comme une punition aux pécheurs » (Hom 11:15)
« Nous te montrerons qu'en
naissant de nouveau, en changeant tes origines, et en vivant selon la Loi, tu
obtiendras le salut éternel » (Hom 19:23 )
« Lorsqu'ils voient les
êtres qui leurs sont chers tomber malade, ou emmenés sur un chemin qui mène à
la mort, ou endurant n'importe quelle autre épreuve, ne se lamentent t-ils pas
à cause d'eux ou ne les prennent t-il pas en piété ? De ce fait, s'ils
croient réellement qu'un feu éternel attend ceux qui ne croient pas en Dieu ,
ils ne cesseraient pas d' admonester [ les êtres qui leurs sont chers], ou
d'être saisis d'une grande détresse pour ceux-là, qui sont des infidèles, s'ils
le voyaient insubordonnés et s'ils sont certains que le châtiment les attend.
Mais maintenant, je vais convoquer l'hôte [Mattidie, une non-juive] et la
questionner pour voir si elle accepte intentionnellement la Loi qui est
proclamée à travers nous » ( Hom 13:10 )
En référence à l'épisode relaté
en Mt 15:21-24, les Homélies précisent que si Jésus accepta de guérir la fille
de la syro-phénicienne, ce n’est pas parce qu’il changea d’avis, mais parce que
la mère et la fille acceptèrent le joug de la Torah et abandonnèrent leur
statut de Gentils :
« Il y a parmi nous une
syro-phénicienne nommée Justa, de race cananéenne, dont la fille souffrait
d’une maladie grave. Elle vint criant vers notre Seigneur, le suppliant de
guérir sa fille. Mais lui, alors que nous aussi lui avons demandé, dit : « Il
n’est pas permis de guérir les Gentils, qui sont semblables aux chiens en
raison de leurs aliments et leurs actes ; la table dans le royaume a été donnée
aux enfants d’Israël ». En entendant cela, elle supplia de prendre part
comme les chiens aux miettes qui tombent de cette table et elle changea
son état antérieur en vivant comme les fils du royaume et obtint ainsi la
guérison qu’elle avait réclamée pour sa fille. En effet, il ne l’aurait pas
guéri si elle est restée gentille et si elle persistait dans sa conduite de vie
, car il n'est pas permis de la guérir en tant que païenne. Ayant adopté un
mode vie conforme à la Torah, avec sa fille elle fut chassée de sa maison par
son mari, les sentiments duquel étaient opposées aux nôtres » ( Hom 2:19
)
Les Hom 13:7 appellent ainsi
Justa « prosélyte des Juifs ».
Alors que Jacques, dont
l'attachement à la Loi juive et la proximité avec les pharisiens sont notoires
( cf. Antiquités Juives de Flavius Josèphe 20:9 , Histoires Ecclésiastiques
d'Eusèbe 2:23, Actes 21:20-21), est présenté comme celui qui fut désigné par
Jésus comme « seigneur et évêque de la sainte Assemblée » et est élevé,
en tant qu' « évêque des évêques » et autorité suprême , au-dessus même de
Pierre qui l'appelle « seigneur » (Pierre à Jacques 1:1, Rec 1:43-44, 68
et 73 et 4:35 ), Paul, qui a enseigné la dissolution de la Loi, est rejeté
comme l' « homme ennemi » :
« Car certains parmi les nations
ont rejeté la prédication conforme à la Loi qui était la mienne, pour adopter
un enseignement contraire à la Loi, les sornettes de l’homme ennemi. Et cela,
de mon vivant : certains ont entrepris de travestir mes paroles par des
interprétations artificieuses pour abolir la Loi, en prétendant que moi-même,
je pensais ainsi, même si je ne le proclamais pas ouvertement. Loin de
moi pareille attitude ! Car cela serait agir contre la Loi de Dieu qui a
été dite à travers Moïse, et dont Notre Seigneur a attesté l’éternelle validité
. Car il a dit « le ciel et la terre passeront ; mais pas un iota ni un
signe de la Loi ne passera ». Et cela dit-il pour que tout soit accompli. Mais
ces hommes, déclarant connaître, je ne sais comment, mes pensées, entreprennent
d'expliquer mes paroles qu'ils entendirent de moi plus intelligemment que moi
qui les a dites, racontant à leurs catéchumènes que ceci est ce que j'ai voulu
dire, que je n'ai moi-même en effet jamais pensée. Mais si, alors que je
suis encore en vie, ils osent me dénaturer ainsi, combien plus ceux qui viendront
après moi! » (Pierre à Jacques chapitre 2)
Cela n'est pas sans rappeler les
attaques de Paul, lequel accusa Pierre, qui a prêché la Loi à Antioche,
d'être un hypocrite qui adhérait à l'évangile paulinien mais qui dissimulait
ses véritables convictions à Jacques qu'il craignait et devant les émissaires
duquel, à en croire Paul, Pierre fit semblant d'adhérer à la Halakhah et
d'exhorter les Gentils à « judaïser » (Gal 2:11-14). Signalons que d'après une
note marginale de l'un des manuscrits des Reconnaissances, « homme ennemi » fut
le surnom donné par la communauté de Jérusalem à Paul.
L'on est fondé à penser , compte
tenu de tout ceci, que le Roman Pseudo-Clémentin se base sur un substrat de
traditions authentiques remontant au « parti des pharisiens qui crurent »,
lesquels se heurtèrent à Paul sur la question de la Torah et de son observance
par les croyants issus du paganisme (Actes 15:5).
A ce stade , il faudrait signaler
que le Roman Pseudo-Clémentin ne reflète néanmoins pas toujours les
positions historiques de l'Eglise de Jacques. Comme en attestent les
divergences, et pas des moindres, entre les Homélies et les Reconnaissances, le
document Judéo-chrétien de base, identifié dans l'Epître de Pierre à Jacques
aux « Prédications de Pierre », a subi des remaniements tardifs. L'exemple qui
l'illustre le mieux est la doctrine des « Fausses Péricopes » : D'après les
Homélies, certains passages des écritures, tels que les lois sacrificielles et
les versets qui, selon le jugement des auteurs de l'ouvrage, blasphèment Dieu
ou parlent en mal contre les patriarches et les prophètes seraient des ajouts
tardifs dans la Torah écrite , laquelle n' aurait même pas été rédigée par
Moïse, qui n'aurait reçu que la Loi Orale, mais par des auteurs postérieurs
non-inspirés. A l'opposé, les Reconnaissances, qui ne soufflent mot de cette
doctrine, reconnaissent clairement l'autorité du texte écrit tel qu' il a été
conservé et suggère, dans le passage que l'on a cité plus haut, mais que nous
reprendrons ci-après pour la clarté, que les versets problématiques doivent
simplement être lus à la lumière de la tradition :
« Et Pierre dit : Hommes
intelligents ! A ce que je vois , beaucoup tirent de nombreuses conclusions
vraisemblables à partir de ce qu' ils lisent. Prenez donc beaucoup de
précautions lorsque vous lisez la loi divine. Qu'elle ne soit pas lue selon
votre propre compréhension. Car il y a beaucoup de déclarations dans les
écritures qui peuvent être interprétées à partir des idées préconçues de
chacun. Ne faites donc pas cela. Ne cherchez pas un sens étranger et extérieur,
que vous aurez importé du dehors et que vous allez confirmer par l' autorité
des écritures. Saisissez plutôt par les écritures elles-mêmes le sens qui
correspond à la vérité. C'est pour cela qu' il vous incombe d' apprendre la
signification des écritures par celui qui a reçu la vérité transmise par ses
pères , afin qu' il déclare d' une manière faisant autorité ce qu'il a
correctement reçu » (Rec 10 :42)
Il est à noter que l'épître de
Pierre à Jacques qui sert d'Introduction aux Homélies contredit la doctrine des
Fausses Péricopes lorsqu'on y lit par exemple que la tradition et les principes
exégétiques hérités de Moïse permettent de réconcilier les versets à
l'apparence contradictoires des écritures (1:5-6) ou lorsque la nation
juive est louée pour n'avoir pas « dévié de la voie des écritures tant
révélatrices » (1:4). Compte tenu de cela, et étant donné que les membres
de l'Eglise primitive de Jérusalem continuaient à fréquenter le Temple et à exprimer
leur piété en y offrant des sacrifices (Luc 24:53, Actes 2:46, 3:1, 21:23-24 et
26), il est pour nous suffisamment clair que les passages évoquant les fausses
péricopes ne faisaient pas partis du Grundschrift et qu'il s'agit de
remaniements postérieurs propres aux Homélies. Ceci est confirmé par les
contradictions internes que l'on retrouve dans les Homélies. En effet,
alors qu' Hom 2:52 et 3:14 rejettent l'idée qu' Adam, lequel a été créé à
l'image de Dieu, ait péché, car, disent t-il, insulter l'image du Roi
revient à insulter le Roi lui-même, les Hom 10:4 reconnaissent la faute d'Adam
relatée dans le livre de la Genèse. Pour citer les observations très
pertinentes de l'historien Karl Evan Shuve :
« L'ambivalence vis à vis
de la tradition textuelle est compréhensible lorsqu'on prend en considération
les différentes formes d'expressions religieuses dans l'antiquité syrienne
tardive, beaucoup desquelles se fondaient, au moins en partie, sur les
écritures juives et/ou se distinguaient par une interprétation particulière de
ces écritures. Les Marcionites, les Bardesanites et les Manichéens étaient
nombreux et influents. La doctrine des fausses péricopes des Homélies semble
avoir été façonnée pour réfuter les doctrines de Marcion en particulier, dont
les antithèses cherchaient apparemment à établir une distinction entre le Dieu
proclamé dans les écritures juives et le Père révélé par le Christ. Dans le
débat avec les marcionites, l'Ecriture était le principal lieu de contestation
et c'est précisément le pouvoir des Ecritures que les auteurs ou les rédacteurs
des Homélies cherchaient à neutraliser » (Tiré de l'article : La Doctrine des
Fausses Péricopes et autres approches antiques tardives sur le problème de
l'unité de l'Ecriture)
Il n'est pas difficile de
comprendre que puisque les marcionites, représentés dans les Homélies par Simon
de Mage, citaient certains versets des Ecritures pour nier la divinité du
Dieu d'Israël et rejeter ses prophètes , le milieu Judéo-chrétien à l'origine
de la forme finale des Homélies déclara en réponse que « tout ce qui est dit ou
écrit contre Dieu est faux. » ( Hom 2:40 ). De même, puisque le marcionites
protestaient contre les Judéo-chrétiens qu'un Dieu qui « aime la graisse,
les sacrifices, les offrandes et les libations » ne peut être en même
temps « autosuffisant , saint, pur et parfait » (Hom 2:44), les
rédacteurs des Homélies rétorquèrent que Dieu n'a jamais ordonné les sacrifices
et qu'il s'agit d'ajouts dans la Torah. Il semble que les rédacteurs des
Homélies préféraient rejeter certains passages des écritures plutôt que de
« pécher contre Dieu » en l'imaginant tel que les marcionites le
dépeignaient ( Hom 2:40 )
L'on pourrait ainsi corriger les
Homélies par les Reconnaissances par rapport à la doctrine des fausses
péricopes.
Les Reconnaissances, il faut le
noter, ne sont toutefois pas non plus dépourvues de remaniements. Georges
Strecker a écrit :
« Les Reconnaissances virent le
jour indépendamment des Homélies, probablement en 350 de l'ère commune , en
Syrie ou en Palestine. L'auteur est moins attaché que l'Homéliste au contenu du
document de base. Ce qui a une apparence d' hétérodoxie est supprimé et l'anti-paulinisme
du document de base est largement éliminé. L'on peut de ce fait
conjecturer que l'auteur des Homélies était un catholique orthodoxe » (Les
apocryphes du Nouveau Testament, volume 2 , p. 485)
Certains indices vont clairement
dans ce sens. Par exemple, bien que l'écrit n'enseigne pas la doctrine des
fausses péricopes, les lois sacrificielles sont néanmoins présentées dans les
Rec 1:36-37 comme des concessions destinées à être abrogées par Jésus; une idée
qui n'est pas sans rappeler l'enseignement de la Didascalie, rédigée au 4è
siècle, en Syrie, par un juif converti au catholicisme. L'on remarquera que le
passage des Homélies (16:15-16) qui réfute en des termes explicites la
divinité et la préexistence éternelle de Jésus est absent des Reconnaissances.
Le fait que les Reconnaissances mentionnent en certains endroits la formule
trinitaire et évoquent en des termes très orthodoxes le Fils dans un passage
(Rec 1:69) qui a été reconnu comme une interpolation par les éditeurs de la
traduction anglaise appuie également les observations de Georges Strecker. La
théologie du document n'est cependant pas uniforme et des extraits comme
les Rec 1:45-47 enseignent à l'instar des Homélies que le Christ est la
réincarnation d'Adam ( Hom 3:20 ) ; une opinion attestée dans le mysticisme
rabbinique (Mégalé `Amouqot 180:1). En revanche, il est affirmé en Rec
1:48 que Jésus « fut appelé Fils de Dieu dans les eaux de
l’immersion » (Rec. 1:48). Cela va à l'encontre des passages du Roman
Pseudo-Clémentin qui font de Jésus le Fils de Dieu qui a existé depuis l'aube
des temps ( Hom 18:15 , Rec 2:47 ), mais rejoint la christologie adoptianiste
de la plupart des Judéo-chrétiens de l'antiquité; lesquels, si l'on en croit
les sources patristiques, n'attribuaient aucune forme de préexistence à Jésus
(Panarion 30:13:7-8; Histoires Ecclesiastiques 3:27 et al.). Ces contradictions
internes laissent supposer qu'avant d'aboutir à la forme finale des
Reconnaissances, l'écrit de base a subi plusieurs remaniements.
Comment procéder alors pour
séparer l'authentique tradition pétrinienne des retouches tardives
? Compte tenu de tout ce qui a été dit et développé, nous
proposons, du fait du remaniement catholique des Reconnaissances, de donner la
priorité aux Homélies. Les Reconnaissances devront néanmoins être privilégiées
lorsqu'elles présentent une tradition qui cadre mieux avec l'Epître de Pierre à
Jacques, qui introduisait l'Ecrit de base, et les doctrines historiques des
Pauvres de Jérusalem ou reproduisent un matériel moins développé, donc plus
archaïque, que les Homélies qui ont souvent tendance à augmenter
d'explications philosophiques le texte de la Prédication de Pierre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire