Tandis que les synoptiques suggèrent fortement que la Cène fut un repas pascal, l'évangile de Jean relate que Yeshou`a expira sur la croix un 14 Nissan, lors de la préparation de la Pâque.
L'explication la plus répandue parmi les chercheurs contemporains consiste à dire qu'alors que Matthieu, Marc et Luc relatent les faits tels qu'ils se sont réellement produits, l'auteur du quatrième évangile a remanié le récit afin de présenter Yeshou`a comme l'accomplissement du qorbân Pessa'h ( le sacrifice pascal ).
Cette explication n'est cependant pas sans difficultés. Les évangiles synoptiques contiennent en effet des éléments qui viennent confirmer le récit johannique.Matthieu et Marc rapportent par exemple que les autorités judéennes « délibérèrent sur les moyens d'arrêter Jésus par ruse, et de le faire mourir. Mais ils dirent: Que ce ne soit pas pendant la fête » ( Mt 25:4 et Mc 14:2 ).L'on peut par ailleurs lire en Luc :« Les femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus accompagnèrent Joseph, virent le sépulcre et la manière dont le corps de Jésus y fut déposé, et, s'en étant retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums. Puis elles se reposèrent le jour du sabbat, selon la loi » (Luc 23:56)Marc, par contre, raconte que « lorsque le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé, achetèrent des aromates, afin d'aller embaumer Jésus » (Marc 16:1). L'on est amenés à comprendre que les femmes achetèrent et préparèrent les aromates « après le sabbat », puis, « se reposèrent le jour du sabbat, selon la loi »; ce qui suppose qu' il y eut deux shabbatot pendant la semaine de la crucifixion : Pessa'h, qui est également appelé « Shabbath » dans la littérature juive (Talmud de Babylone, Ména'hot 65b-66a cf. Lev 23:11) et à la veille duquel Yeshou`a, même d'après le récit synoptique, a été mis en croix ( Mt 27:62, Mc 15:42, Lc 23:54-56), et le Shabbath hebdomadaire. Yeshou`a est de ce fait mort un mercredi après-midi, lors de la préparation de Pessa'h et ressuscita trois jours et trois nuits plus tard, accomplissant ainsi le « signe de Jonas » ; le seul qui, selon Yeshou`a, allait attester de la véracité de sa messianité aux gens de sa génération (Mt 12:39 et Lc 11:29).D'autres encore suggèrent que Yeshou`a, en lequel ils voient un maître essénien, célébra la Pâque à la date essénienne qui, à les en croire, correspondait à un mardi soir pendant l'année de la crucifixion. Cette hypothèse, aussi ingénieuse soit elle, est toutefois difficile à réconcilier avec les données fournies dans les évangiles. Les femmes, comme nous l'avons vu, reportèrent en effet l'achat et la préparation des aromates au lendemain de la date de la Pâque officielle. Cela donne à comprendre que les disciples de Yeshou`a, qui ont observé la Pâque officielle comme un Yom tov (jour de fête) chômé, suivaient le calendrier officiel et non celui des esséniens.Comment alors expliquer que Yeshou`a ait pris un repas pascal avec ses disciples et soit, en même temps, mort la veille de la Pâque ? Il peut être lu dans la Mishnah :
« Si la victime pascale a été sacrifiée le matin du quatorze Nissan; mais pas en son propre nom, Rabbi Yehoshou`a considère le sacrifice comme valide, comme s'il avait été fait le treize Nissan. Ben Batira le considère invalide, comme s'il avait été sacrifié entre les deux soirs » הפסח ששחטו בשחרית בארבעה עשר שלא לשמו, רבי יהושע מכשיר כאילו נשחט בשלשה עשר בן בתירא פוסל כאילו נשחט בין הערבים(Mishnah Zéva'him 1:3 et Tossefta Péssa'him 4:8)
Dans ce passage, Ben Batira et Rabbi Yehoshou`a débattent sur la question de savoir si oui ou non un agneau qui a été sacrifié pour un autre motif peut être consommé en tant que qorbân Pessa'h.Ben Batira, qui cite la Mishnah selon laquelle un qorbân Pessa'h offert « entre les deux soirs », c'est à dire au moment prescrit par la Torah, mais sous une autre appellation n'est pas valide (Zeva'him 1:1), pense que non.Rabbi Yehoshou`a, par contre, est d'avis qu'un tel sacrifice, malgré qu'il ne respecte pas les stipulations de la Torah, est bedi`avad (à postériori) valide, à l'instar d'un qorbân Pessa'h offert le 13, lequel n'a également pas été offert selon la loi stricte (cf. Tossefta Pessa'him 4:8).
Le fait que Rabbi Yehoshou`a fasse appel à cet argument pour étayer son point de vue implique qu'apporter le qorbân Pessa'h le 13 Nissan était chose courante au premier siècle et que l'on reconnaissait la validité de tels sacrifices.
Il est à noter que l'existence, dans la littérature talmudique, de discussions portant sur les lois relatives à un sacrifice pascal qui aurait été offert en un autre jour que le 14 Nissan (Talmud de Babylone Zeva'him 8b, et Pessa'him 60b) indique que selon la tradition pharisienne, le statut d'un sacrifice en tant que qorbân Pessa'h ne dépend pas de la date. En d'autres termes, un qorbân Pessa'h reste un qorbân Pessa'h, qu'il ait été offert à la date prescrite par la Torah (le 14 Nissan) ou en un autre jour. Ceci aurait été particulièrement pertinent à l'époque du deuxième Temple où, à défaut de pouvoir offrir la victime pascale le 14 Nissan, certains, comme en atteste Rabbi Yehoshou`a, procédaient au sacrifice de la Pâque un jour à l'avance sans doute en raison du grand nombre de pèlerins qui affluaient à Jérusalem pour la fête.
La Mishnah, dans le chapitre 5 du traité Zeva'him, stipulant que les animaux sacrifiés doivent être consommés au plus tard jusqu'au minuit qui suit l'abattage et appliquant cette règle au qorbân Pessa'h, il est clair que ceux qui apportaient l'offrande pascale le 13 Nissan consommaient l'agneau le soir même après l'avoir sacrifié.
Par ailleurs, la Torah prescrivant l'abstention de tout hamets (levain) à partir du sacrifice de la victime pascale (Talmud de Babylone Pessa'him 28a et 63a), il n'est pas difficile de comprendre que ceux qui offraient le qorbân Pessa'h à l'avance, la veille du 14 Nissan, auraient cessé la consommation de tout levain dès le 13 qui aurait été pour eux le « premier [jour] des sans levain » (traduction littérale de Mt 26:17 et Mc 14:12).
« Tu n'offriras point le sang de mon sacrifice avec du pain levé ( Exode 34 :25) signifie : Tu n'apportera pas le sacrifice pascal tant qu’il y aura du levain » לא תשחט על חמץ דם זבחי לא תשחט הפסח ועדיין החמץ קיים(Mekhilta de-Rabbi Yishma`el sur Ex 23:18)
Nous sommes ainsi fondés à penser que les récits synoptique et johannique sont tous deux vrais en ce sens que Yeshou`a, qui allait être crucifié avant Pessa'h, consomma le sacrifice pascal à l'avance au soir du 14 (le jour juif débutant au soir ), comme le rapportent Matthieu, Marc et Luc, et mourut sur la croix la veille de Pessa'h, conformément à ce que relate l'évangile de Jean.
L'on notera que les esséniens, qui ont rompu avec le culte du Temple, « s’abstenaient de l’enceinte sacrée » et n'apportaient donc pas le qorbân Pessa'h (Antiquités juives 18:1:5; Document de Damas 6:11-14).
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