mardi 2 août 2016

Un regard nazaréen sur la Torah orale , deuxième partie

La Torah orale dans le " Nouveau Testament "  

N'en déplaise aux militants de la " sola scriptura " protestante, il faut bien voir que les textes communément désignés  " Nouveau Testament " admettent l' existence d'une tradition orale autoritative, nommée " Torah "  en Matthieu XXIII,23-24 dont nous reprenons le passage :" Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! parce que vous payez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin, et que vous laissez ce qui est plus important dans la loi, la justice, la miséricorde et la fidélité: c'est là ce qu'il fallait pratiquer, sans négliger les autres choses "  ( Matthieu XXIII:23-24  ). 

 Certains ne s'aperçoivent pas que le texte dit également qu' il ne faut pas négliger ces " autres choses " que les pharisiens pratiquent telle que " la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin " , désignés d' une manière implicite comme les " choses moins importantes de la loi " par rapport à la " miséricorde et la fidélité ". L'on pourrait chercher le commandement de la dîme des herbes et du cumin dans la Torah écrite mais il ne s' y trouve pas . En fait , il s' agit là d' une prescription de la loi orale ( Mishnah Demaï I:3, Ma'asserot I:1 et IV:5-6 , Edouyot V:3 ). Notons que les versions syriaques , sinaïtique et curétonienne , contiennent dans cet extrait le terme " Orayta " ( אוריתא ) qui est l' expression habituelle en araméen judaïque pour se référer à la loi divinement sanctionnée.  En d' autres termes , la tradition orale pharisienne fait force de Torah ! La chose est nette dès les premières lignes du chapitre XXIII où sont approuvées non seulement la doctrine mais aussi l' autorité halakhique des pharisiens :" Les scribes et les pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse.  Faites donc et observez tout ce qu'ils vous disent  " ( Matthieu XXIII:2-3 ). Ou bien suivant l'un des plus anciens textes complets connus de l' évangile de Matthieu   : "  Les scribes et pharisiens sont assis sur le siège de Moshé.  Pratiquez , écoutez et observez tout ce qu'ils vous disent  " (על כורסיא דמושא יתבו ספרא ופרישא כלמדם דאמרין לכון הויתון שמעין ועבדין) ( Matthieu XXIII:2-3 , syriaque curétonien ). L'on voit que Yéshoua reconnaissait les enseignants du mouvement pharisien , dont les descendants rédigeront plus tard la Mishnah , comme les successeurs légitimes de Moïse , autorisés à interpreter la Torah aussi bien écrite qu' orale et à promulguer des décrets qui feront force de loi , c'est à dire investis de la fonction de juge mentionnée en Deutéronome XVII:10-11 dont la deuxième partie de notre verset est la reprise : " tu auras soin de te conformer à toutes leurs instructions " ( ושמרת לעשות ככל אשר יורוך ) ( Deutéronome XVII: 10 ) , " selon la Torah qu'ils t'enseigneront, selon la règle qu'ils t'indiqueront, tu procéderas; ne t'écarte de ce qu'ils t'auront dit ni à droite ni à gauche  " (על־פי התורה אשר יורוך ועל־המשפט אשר־יאמרו לך תעשה לא תסור מן־הדבר אשר־יגידו לך ימין ושמאל  ) ( Deutéronome XVII:11 ).  

Même les passages qui sont cités pour appuyer l'assertion que Yéshoua rejeta la Torah orale démontre son approbation de la tradition .  La question que des pharisiens lui posèrent  - " Pourquoi tes Disciples transgressent-ils la tradition des Anciens? car ils ne lavent point leurs mains quand ils prennent leur repas " (Matthieu XV:2) - laisse entrevoir que contrairement à ses disciples ,  Yéshoua s'est conformé à la tradition des Anciens puisque ses agissement ne font l' objet d' aucune critique. Marc est plus précis en rapportant que seulement  "quelques-uns de ses disciples prirent leurs repas avec des mains impures, c'est-à-dire, non lavées " (Marc VII:2). Contrairement à l' interprétation commune , les " traditions d' hommes " qui annulent la parole de Dieu n'est pas le nettoyage rituel des mains avant de manger , ni même la loi orale, mais le fait de prétendre ne plus pouvoir intervenir après qu’un homme ait fait le vœu de consacrer la totalité de ses biens à Dieu afin d’éviter d’honorer ses parents, c'est-à-dire de les assister materiellement (Marc 7:10-13, Matthieu 15:4-9 ; une pratique également désapprouvée par la Halakhah , la loi pharisienne , normative. En effet , l' enseignement du Talmud de Jérusalem est conforme avec celui de Yéshoua ( Yéroushalmi Nédarim 29b ). La conclusion du récit dans sa version matthéenne  - " C'est du coeur que sortent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, la prostitution , les vols, les faux témoignages et le blasphème. Voilà les choses qui souillent l'homme; mais quand un homme mange du pain lorsqu' il ne s'est pas lavé ses mains, il n'est pas souillé " ( מן לבא הו גיר נפקן מחשבתא בישתא , דקטלא ודגורא , ודזניותא , ודגנבותא , וסהדותא דשוקרא וגודפא הלין אנין אילין דמסיבן לה לברנשא , כד אנש גיר נאכול לחמא כד לא משגן אידוהי לא מסתיב ) ( Matthieu XV:20 , syriaque curétonien et sinaïtique ) - est en résonance avec les commentaires de Yo'hanan ben Zakkaï , un maître pharisien contemporain de Yéshoua , qui déclara que : " Ce n'est pas le mort qui souille et ce n'est pas l'eau qui purifie , mais la parole du Saint Béni Soit-Il qui a dit : Des ordonnances j'ai ordonné et des décrets j' ai décrété " ( לא המת מטמא ולא המים מטהרים ,אלא אמר הקדוש ברוך הוא: חוקה חקקתי גזירה גזרתי ) ( Bamidbar Rabbah XIX ). Autrement dit , les ablutions rituelles ne concernent que la pureté rituelle du corps et ne rendent personne bon ou mauvais. Il faut noter que d' après la Tossefta , le lavage rituel des mains avant de manger n' était pas universellement observé dans les cercles pharisiens à l' époque du second Temple ( Tossefta Berakhot V:14 ). Il faudra attendre la moitié du 1er siècle pour qu' elle devienne obligatoire ( Talmud Bavli Chabbat 14b - 15a ). Ceci explique pourquoi certains disciples de Yéshoua se lavèrent les mains tandis que d' autres pas . Ces pharisiens qui n' observaient pas cette tradition  , en réalité une innovation introduite par Hillel et Chammai ( Talmud Bavli Chabbat 14b - 15a ),  croyaient sans doute que non seulement ne pas se laver les mains avant de manger ne souillait pas l' âme , comme le soutenait Yo'hanan ben Zakkai , mais la négligence de cette tradition ne rend pas rituellement impur . Quoi qu' il en soit , l' on constate que Yéshoua et la majorité de ses disciples furent parmi ceux qui respectèrent la tradition des Anciens . 

Matthieu XII:1-5 et Marc II:23-27 relatent qu' après avoir observé les disciples affamés de Yeshoua arracher des épis de blé dans les champs le septième jour , des pharisiens les blâmèrent d’ avoir violé la loi . Certains en déduisent que Yéshoua n' adhérait pas à la définition du terme  " melakhah " ( ouvrage ) selon la Mishnah ou même que cet épisode enseigne l' abolition des préceptes mosaïques. En relisant les textes , on voit que Yéshoua répond à ses détracteurs en se référant à David et ses hommes qui mangèrent les pains de proposition , qui leur étaient normalement interdits , ainsi qu' aux prêtres qui , sans même s'en rendre coupables , offraient des sacrifices au temple le septième jour . Notons qu'il s' agit là d' actes prohibés en temps normaux. En comparant la présente situation à ces deux cas, Yéshoua sous-entend que les agissements de ses disciples n' étaient certes pas admissibles en circonstance normale, exprimant par là qu' il acceptait l' enseignement de la loi écrite et orale,  mais que l' urgence  fit qu' ils n'eurent d' autre choix. D’après le professeur Shlomo Pines, cet incident est présenté dans un ouvrage nazaréen incorporé dans un texte d’apologétique Islamique comme un cas d’ " al najat bi’l-nafs ", l‘équivalent arabe de l’expression talmudique " piqoua'h néfèsh " ( sauvetage d’une vie )  ( The Jewish Christians according to a new source , page 5 ). L’attitude de Yeshoua face à cette situation était donc appropriée vis à vis de la Halakhah qui stipule que les prohibitions religieuses ne s’appliquent pas dans les cas où il faut sauver sa vie ou celle d’autrui ( Talmud Bavli  Yoma 83a-84b ).  

Il convient de noter aussi que la cérémonie de la libation d’ eau à Sukkot , que le " christ johannique" , en tant que Torah vivante ,  interpréta comme symbolisant sa personne , ne se retrouve que dans la loi orale ( Mishnah Sukkah IV :9 ). 

Les Actes des Apôtres dépeignent les adeptes de la tendance nazaréenne du judaïsme comme fidèles aux prescriptions de la loi écrite et orale. Dans le chapitre VI , nous lisons qu' Etienne fut accusé d' enseigner que " Jésus, ce Nazaréen, détruira ce lieu, et changera les coutumes que Moïse nous a données " ( Actes VI:14 ). Le fait qu' il soit précisé que ces accusations proviennent de " faux témoins " ( Actes VI:13 ) donne à comprendre qu' Etienne n' a prêché ni contre le Temple , ni contre les " coutumes (ethos) que Moïse a données " , c'est à dire les traditions orales révélées au Sinaï . Précisons qu' en grec , "ethos" se réfère à une " coutume non écrite " ou un " comportement basé sur la tradition fixée par la vie sociale religieuse " ( cf. lexique HELPS ). Le même terme se retrouve en Actes XXI:21 où l'on apprend que l' hostilité des Nazaréens envers Paul était dû à ce qu' ils apprirent que ce dernier " enseigne à tous les Juifs qui sont parmi les païens à renoncer à Moïse, leur disant de ne pas circoncire les enfants et de ne pas se conformer aux coutumes (ethos) " ( Actes  XXI:21). D' ailleurs, le rituel auquel Paul fut exigé de se conformer publiquement afin de démonter que lui aussi " se conduit en observateur de la loi " n'est prescrite que par la Torah orale ( Actes XXI:24 ) ( Mishnah Nazir II:5-6, Mishneh Torah Nézirout VIII:18 ). En effet , la loi écrite n' évoque nul part le fait qu' une tierce personne doive se purifier avec les nazirites venus au terme de leurs voeux ou pourvoir à leurs dépenses. Le zèle des Nazaréens pour la loi orale ne se limitait apparemment pas aux seules traditions héritées de Moïse. Selon les Actes des Apôtres , il aurait fallu à Pierre une révélation divine pour outrepasser l'interdit de s'associer avec des non-juifs qui, il faut le rappeler, fut une prescription d'ordre rabbinique ( Actes X:28 cf X:9-16 ). 

Les Reconnaissances pseudo-clémentines attestent elles-mêmes l’ attachement de l’ Apôtre Pierre à la tradition :" Et Pierre dit : Hommes intelligents ! A ce que je vois , beaucoup tirent de nombreuses conclusions vraisemblables à partir de ce qu' ils lisent .  Prenez donc beaucoup de précautions lorsque vous lisez la loi divine. Qu'elle ne soit pas lue selon votre propre compréhension. Car il y a beaucoup de déclarations dans les écritures qui peuvent être interprétées à partir des idées préconçues de chacun. Ne faites donc pas cela. Ne cherchez pas un sens étranger et extérieur, que vous aurez importé du dehors et que vous allez confirmer par l' autorité des écritures. Saisissez plutôt par les écritures elles-mêmes le sens qui correspond à la vérité. C'est pour cela qu' il vous incombe d' apprendre la signification des écritures par celui qui a reçu la vérité transmise par ses pères , afin qu' il déclare d' une autoritativement ce qu' il a correctement reçu  " ( Reconnaissance X:42 ). Cette " vérité " qu' ont transmise les pères et sans laquelle ne peut correctement s' interpréter l' écriture est identifiée dans l' ouvrage à "  la tradition enseignée par Moïse" ( III:30 et 75 ) , la "clé du royaume des cieux",  que détiennent " les scribes et les pharisiens " ( I:54 ) et que Pierre appelle " notre tradition " dans son épître à Jacques où il reprend l' idée exprimée dans l' extrait des Reconnaissances cité précédemment  :" Et qu'ils gardent la foi, et propageant partout la règle de la vérité, expliquant toutes choses selon notre tradition. Et qu'ils ne soient pas traînés vers le bas par l'ignorance, en étant attirés dans l'erreur par les conjectures de la pensée, et qu'ils n'entraînent pas les autres dans le même trou de perdition. " ( Pierre à Jacques III:3-4 )

 Selon la notice d' Eusèbe  ,  Hégésippe , l' auteur Nazaréen , "  cite l'évangile des Hébreux et le syriaque, et rapporte des particularités de la langue hébraïque, montrant qu'il est un converti des Hébreux. Du reste, il rapporte encore d'autres particularités comme venant d'une tradition juive orale " ( Histoires Ecclésiastiques IV:22 ) 

Même Paul reconnaît l' existence d' une Torah orale. En parlant de sa vie passée avant sa conversion , il prétend qu' il fut " pharisien quant à loi " et ajoute qu' il fut " irréprochable, à l'égard de la justice de la loi " ( Philippiens III:5-6 ). Les pharisiens, comme on le sait , acceptant à la fois la loi écrite et la loi orale , on se demande en quoi Paul aurait été comme il le dit  "irréprochable à l'égard de la justice de la Torah" s' il soutenait, comme le font les théologiens réformés, que la tradition pharisienne est une déviation. Pour dire les choses autrement , si cette tradition orale que les pharisiens nomment loi pervertissait la loi, dont la seule expression légitime est pour les protestants et les chrétiens évangéliques le code écrit, alors Paul , loin d' avoir été "irréprochable " à l' égard de la loi , aurait au contraire été un transgresseur de la loi. Paul le dit lui-même : " J' étais plus avancé dans le judaïsme que beaucoup de ceux de mon âge et de ma nation, étant animé d'un zèle excessif pour les traditions de mes pères " ( Galates I:14 ).  "Que les femmes ", écrit-il,  " se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d'y parler, mais qu'elles soient soumises, selon que le dit aussi la Torah" ( I Corinthiens XIV:34). Cependant, jamais la loi écrite ne prescrit un tel commandement ; c’ est une baraïta du traité Mégillah du Talmud Bavli qui rapporte que " les sages disaient qu’une femme ne doit pas faire la lecture [ publique] de la Torah à cause de l’honneur de la congrégation " (אמרו חכמים אשה לא תקרא בתורה מפני כבוד צבור) ( Talmud Bavli Mégillah 23a ) 



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire