Le Tg (Targoum), où il est parlé de la « memra », la parole, est la
preuve, disent les missionnaires chrétiens et les messianiques, que les
juifs de l’époque du deuxième Temple croyaient en l’existence d’une personne
divine distincte à laquelle Jean fait référence lorsqu’il dit que la
« Parole », traditionnellement considéré dans le christianisme comme
le Christ pré incarné, était « au commencement avec Dieu et était
Dieu » (Jn 1,1). Les rabbins ne sont cependant pas de cet avis. Parlant du
Tg Onkélos, Maïmonide affirme :
« Onkélos le prosélyte, qui possédait parfaitement la langue
hébraïque et l’araméen, a fait tous ses éfforts pour écarter la corporification
de Dieu ; de sorte que, toutes les fois que l’écriture se sert (en parlant
de Dieu) d’une épithète pouvant conduire à la corporéité, il l’interprète selon
son (véritable) sens. Chaque fois qu’il trouve un de ces mots qui indiquent une
des différentes espèces de mouvement, il prend le mouvement dans le sens de
manifestation, de lumière créée, je veux dire la Shékhinah ou la
Providence » (Guide des égarés 1:27)
Maïmonide dit aussi concernant l’usage d’expressions telles que Mémra
(Parole), Shékhinah ou Yékara dans le Tg d’ Onkélos :
« Et je te couvrirai des mains jusqu’à ce que je sois passé (Ex 33,22)
Onkélos , en traduisant ce verset , fait ici ce qu’il fait habituellement dans
ces sortes de choses ; car toutes les fois qu’il rencontre comme attribué
à Dieu quelque chose qui est entaché de corporéité ou de ce qui tient à la
corporéité, il suppose l’omission d’ un nomen regens , et attribue la relation
à quelque chose de sous entendu qui est le nom regens (du nom) de Dieu. Ainsi,
par exemple, Onkélos rend les mots : « Et voici l’Eternel se tenant dessus »
(Gn 28,13) par ceux ci : « Et voici la Yékara (gloire) de l’Eternel
se tenant prête au dessus » ; les mots : « Que l’Eternel
regarde entre toi et moi » (Gn 36,49), il les rend par ceux ci :
« Que la Mémra (parole) de l’Eternel regarde ». C’est ainsi qu’il
procède continuellement dans son explication ; et il en a fait de même
dans ces mots : « Et l’Eternel passa devant sa face » (Ex
34,6); « Et l’Eternel fit passer sa Shékhinah devant sa face », de
sorte que ce qui passa était sans doute, selon lui, quelque chose de créé. Le
pronome « sa face », il le rapporte à Moïse notre Maître de sorte que
les mots « devant sa face » signifient « en sa présence »
ou « devant lui », comme dans ce passage : « Et le présent
passa devant sa face » (Gn 32 :22), ce qui est également une
intérprétation bonne et plausible. Ce qui confirme l’explication d’Onkélos le
prosélyte ce sont ces paroles de l’Ecriture : « Et quand ma gloire
passera » (Ex 32,22), où l’on dit clairement que ce qui passera est
quelque chose d’attribué à Dieu, et non pas Dieu lui même ; et c’est de
cette gloire qu’il aurait dit : « Jusqu’à ce que je sois passé »
(Ibid) ; « Et l’Eternel passa devant sa face ». Mais s’il
fallait absolument supposer un annexe sous entendu – comme le fait toujours
Onkélos, en admettant comme sous entendu tantôt la Yékara, la Shékhinah ou la
Mémra, selon ce qui convient à chaque passage, nous admettrions
ici, comme l’annexe sous entendu, le mot « voix » et il y aurait
virtuellement dans le dit passage : « Et la voix de l’Eternel passa
devant sa face et cria ». Nous avons déjà expliqué que la langue hébraïque
emploie le verbe ‘abar, passer, en parlant de la voix, comme par exemple :
« Ils firent passer une voix dans le camp » (Ex 26,6). Ce serait donc
une voix qui a crié, et tu ne dois pas trouver invraissemblable que le cri soit
attribué à la voix, car on se sert précisément des mêmes expressions pour
parler de la parole de Dieu adressée à Moïse : « Et il entendit la
voix qui lui parlait » (Nb 7,89) ; de même que le verbe parler a été
attribué à une voix. Quelque chose de semblable se retrouve expréssement dans
les écritures, je veux dire qu’on attribue à une voix les verbes dire et
crier : « Et une voix dit : crie, et on a répondu que crierai
je ? » (Esaïe 40,6). Il faudrait donc, selon cette élipse, expliquer
le passage en question : « Et une voix de la part de Dieu passa
devant lui et cria : l’Eternel ! L’Eternel » ; la
répétition du mot « Eternel » est pour le vocatif, Dieu
étant celui à qui s’adresse l’appel, comme on trouve ailleurs :
Moïse ! Moïse ! – Abraham ! Abraham ! – C’est là également
une interprétation très bonne » (Guide des égarés 1,21)
Pour reformuler plus simplement, lorsque l’écriture attribue des
expressions de corporéité ou de limitation à « Dieu » , il ne faut
pas entendre « Dieu » , mais « quelque chose de Dieu »
qui , selon le contexte , peut être la « Voix (qol) de Dieu »,
« la manifestation lumineuse créée ( Shékhinah ou Yéqara) de Dieu »
ou encore « la Parole de Dieu ». Un cas similaire se retrouve dans
l’écriture lorsqu’ il est parlé de « sacrifier la Pâque » לזבח
את־הפסח -
lizboa'h et hapassa'h - (Deutéronome 16 :5), ce qui ne veut non pas dire qu’il
faille sacrifier la fête, comme si cela était faisable, mais de
« sacrifier l’agneau de la Pâque ». Bien que Maïmonide ne parle ici
que du Tg Onkélos, cette explication peut aussi s’appliquer au Tg de
Jonathan qui déclare emphatiquement que ce que les prophètes ont perçus dans
leurs visions n’était pas Dieu, mais quelque chose d’autre :
« L'oeil ne t'as pas vu, ce que ton peuple vit fut la Shékhinah
(présence) de ta Yéqar (splendeur).O Eternel, voilà qu'il n'existe nul
autre à part toi, car toi, dans le futur, tu accompliras la justice pour tes
serviteurs qui espèrent en ta rédemption » עין לא חזת מא דחזו עמך שכינת יקרך
יוי ארי לית בר מנך דאת עתיד למעבד לעבדך צדיקיא דמסברין לפורקנך (Tg-J sur
Esaïe 64,3)
Si donc il faillait considérer les différents intermédiaires, telle que la
Gloire, la Parole ou la Voix, que Dieu, selon le Targoum, utilise pour
intéragir avec les hommes, comme se référant au Messie, cela serait de nouveau
la preuve que les Juifs anciens ne croyaient pas en la « Divinité du
Christ ». Nous ne croyons cependant pas que le Targoum, lorsqu’ il y est
parlé de la « mémra », désigne par ce terme le Messie ou un être
divin distinct. En effet, l’araméen « mémra » peut signifier
« parole » ou « commandement » tout comme il peut être se
référer à l’ « être » à l’instar de تأمور (tamûr), du
radical امر (amr)
signifiant « commandement » ou « parole », qui, en arabe,
langue sœur de l’araméen, fait référence à l’« être », la
« pensée » ou le « cœur », considéré comme le siège de la
personnalité dans la pensée sémitique. Relevons ces passages dans le
Tg:
Ruth 3,8 : « Il contrôla son penchant et s’abstint de s’approcher
d’elle comme Joseph le juste qui avait refusé de s’approcher de la femme
égyptienne de son maître et comme Paltiel , fils de Laish le juste , qui avait
planté une épée entre sa mémra (« son être » / « lui
même ») et Michal , fille de Saul » ולא
קריב לותה היכמא דעבד יוסף צדיקא דסרב למיקרב לות מצריתא איתת ריבוניה והיכמא דעבד
פלטיאל בן ליש חסידא דדעץ סייפא בין מימריה ובין מיכל בת שאול
(Tg-J)
Job 7,8: « L'oeil qui me regarde ne me reverra plus; tes yeux sont sur
moi, et je ne suis plus » לא תשורני עין ראי עיניך בי ואינני
(hébreu massorétique) = « L'oeil qui me regarde ne me reverra
plus; tes yeux sont sur ma mémra, et je ne suis plus » לא
תסכי יתי עינא דחמיא יתי עינך במימרי ולאיתי (Tg-J)
Job 27,3: « Tant que mon souffle est en moi et l'esprit d'Eloah
dans mes narines » כי כל עוד נשמתי בי ורוח אלוה באפי (hébreu massorétique) =
« Tant que mon souffle est en ma mémra et l'esprit d'Elaha dans mes
narines » ארום פסק תוב נשמתי במימרי ורוחא דאלהא בנחירי (Tg-J)
En somme, l’expression « mémra », dans le Tg, peut signifier
« personne » ou « parole » suivant le contexte. Ceci étant
précisé, procédons maintenant à l’analyse des passages targoumiques cités par
les missionaires pour appuyer la « divinité » du Messie.
Gn 19,4 : « Alors l'Eternel
fit pleuvoir du ciel sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu, de par
l'Eternel , des cieux » ויהוה המטיר על סדם ועל עמרה גפרית ואש מאת יהוה מן השמים (texte
hébreu massorétique). Selon les missionnaires, le Targoum de Jonathan dirait à
cet endroit : « Et la Parole de l’Eternel fit descendre sur les gens
de Sodome et Gomorrhe du souffre et du feu de la part de l’Eternel, du
ciel ». Les missionnaires prétendent que la deuxième occurrence du nom
YHWH (l'Eternel) du texte hébreu est identifié à la parole de l'Eternel dans le
Targoum , ce qui démontrerait ainsi l'existence d'une deuxième personne
personne divine appelée la Parole. Apparemment, les missionnaires se sont
trompé de Targoum. En effet, c’est le Targoum Néofiti et non le Targoum de
Jonathan qui dit que « la mémra Eternel a fait pleuvoir sur Sodomme
et Gomorrhe du souffre et du feu de devant l’Eternel, du ciel » וממריה
דייי אחת על סדם ועל עמרה גפרית ואשא מן קדם ייי מן שמיא. Le Targoum de Jonathan
dit que « la mémra de l’Eternel fit descendre sur les habitants de Sodome
et Gomorhe des pluies de plaisir pour qu’ils se repentent de leurs mauvaises
actions, mais ils ne se sont pas repentis. Mais quand ils virent les pluies de
plaisir, ils dirent : les mauvaises actions ne sont donc pas manifestes
devant l’Eternel. Voilà donc que maintenant du souffre et du feu sont descendus
sur eux de devant la mémra de l’Eternel venue des cieux » ומימרא
דייי אחית מיטרין דרעווא על סדום ועל עמורא על מנת דיעבדון תתובא ולא עבדו ארום
אמרו לא גלי קדם ייי עובדין בישיא הא בכן נחתו עליהון כבריתא ואישא מן קדם מימרא
דייי מן שמייא. Il n'est pas difficile de comprendre la raison de la paraphrase: Etant donné que le texte hébreu parle de גפרית ואש מאת יהוה מן השמים (gafrith
vaèsh méet Adonaï min hashamayim); une phrase ambigüe susceptible d’être
entendue comme « du souffre et du feu de la part de l’Eternel venu des
cieux » , une interprétation qui suggère que l’ Eternel n’est pas
omniprésent car descendant du ciel, l’auteur du Targoum « attribua »
, pour reprendre les mots de Maïmonide, « la relation à quelque chose de sous
entendu qui est le nom regens (du nom) de Dieu » et donc traduit le texte
comme suit : « du souffre et du feu sont descendus sur eux de devant
la Parole de l’Eternel venue des cieux ». Dans le Targoum Néofiti,
l’expression « du ciel » (min shamayim) a été comprise en référence
au « souffre » et au « feu », raison pour laquelle il n’y
avait nul besoin d’interpréter la deuxième occurrence du nom divin comme
voulant dire autre chose que l’Eternel. Dans les deux targoums, la première
partie du verset a été paraphrasé comme « la Parole de l’Eternel a fait
descendre », ce qui, en soit, est tout à fait logique étant donné que
selon les écritures, il suffit à Dieu de dire « soit » pour les
choses existent ou se produisent. Ce que les Targoums veulent dire ici est donc
que c’est Dieu qui décréta la destruction de Sodome et Gomorrhe et c’est par ce
décret ou « mémra » de Dieu que du feu et du souffre sont venus sur
ces deux villes pècheresses. Notons que l’hébreu n’implique pas forcément
l’existence de deux êtres divins. En effet, des cas similaires se retrouvent
dans les écritures : « Jacob appela ses fils, et dit: Assemblez vous,
et je vous annoncerai ce qui vous arrivera dans la suite des temps. Rassemblez-vous,
et écoutez, fils de Jacob! Ecoutez Israël, votre père! » ויקרא
יעקב אל בניו ויאמר האספו ואגידה לכם את אשר יקרא אתכם באחרית הימים׃ הקבצו ושמעו
בני יעקב ושמעו אל ישראל אביכם׃ (Gn 49,1 2) ;
« Lémec dit à ses femmes: Ada et Tsilla, écoutez ma voix! Femmes de Lémec,
écoutez ma parole » ויאמר למך לנשיו עדה וצלה שמען קולי נשי למך (Gn 4,23),
ou encore : « Salomon assembla les anciens d'Israel et tous les chefs
des tribus, les princes des pères des fils d'Israël, aupres du roi Salomon à
Jerusalem » אז יקהל שלמה את זקני ישראל את כל ראשי המטות נשיאי האבות
לבני ישראל אל המלך שלמה ירושלם (1 Rois 7,1).
Ex 24 ,1 : Les missionnaires
prétendent que le Tg de Jonathan sur Ex 24,1 enseigne que la mémra, qui est dit
« parler », est une deuxième personne divine. Ceci est tout
simplement faux. En effet, rien de tel n’est dit dans le Tg de Jonathan sur Ex
20,1 où nous lisons simplement : « Et l’Eternel dit toutes ces
paroles en disant » ומליל ייי ית כל דביריא האיליין למימר. En Ex 24,1 le Targoum de
Jonathan dit : « Et Michaël, le Prince de la Sagesse, dit à Moïse et
au septième jour du mois lunaire : Monte vers l’Eternel » ולות
משה אמר מיכאל סרכן חכמתא ביומא שביעאה בירחא סק לקדם ייי. A moins que les missionnaires ne
soient prêts à reconnaître en l’Archange Michaël la parole divine ou le messie,
le Tg-J n’enseigne clairement pas l’existence d’une deuxième entité divine. Il
faut reconnaître cependant que le Tg fragmentaire contient ce que les
missionaires attribuent au Tg-J : « Et la mémra de l’Eternel dit
toutes ces paroles glorieuses en disant » ומלל מימרא דה׳ ית כל שבח דביריא
האילין למימר ou selon un autre
manuscrit : « Et le davar (verbe) de l’Eternel dit toutes ces paroles
glorieuses en disant » ומליל דיבריה דייי ית כל שבח דיבריא האיליין למימר. Mais cela
ne prouve rien étant donné que la Bible, comme l’a noté le Rambam, dit la
même chose concernant des paroles et des voix impersonnelles. Citons par
exemple : « Et la parole de l’Eternel est venue à moi en
disant » ויהי דבר יהוה אלי לאמר (Ezéchiel 34,1), « une voix
crie : dans le désert préparez le chemin de l’Eternel » קול
קורא במדבר פנו דרך יהוה (Esaïe 40,3), « Et une voix dit :
crie, et on a répondu que crierai je ? » קול
אמר קרא ואמר מה אקרא (Esaïe 40,6). Ceci est analogique à l’expression
« la Bible dit ». Lorsqu’ un occidental dit que la Bible dit ceci ou
cela, il ne se représente clairement pas la Bible comme un être vivant, mais se
réfère simplement au contenu de la Bible. De même, lorsque le Targoum affirme
que la « mémra de l’Eternel » a « dit » quelque chose, il veut
parler du contenu des paroles que Dieu a exprimé.
Gn 15,6 : Les missionnaires citent
encore le Tg Onkélos sur Gn 15,6 : « Et Abraham crut dans la Parole
de L’ETERNEL et cela lui fut imputé à justice ». A cela, nous répondrons
simplement que la « mémra » (parole) se réfère dans ce contexte non
pas une personne mais à la promesse que Dieu fit à Abraham dans le verset
5 : « Regarde vers le ciel, et compte les étoiles, si tu peux les
compter. Et il lui dit: Telle sera ta postérité » הבט
נא השמימה וספר הכוכבים אם תוכל לספר אתם ויאמר לו כה יהיה זרעך. C’est
suite à cela que le texte hébreu dit qu’Abraham « crut l'Eternel et il lui
compta cela à justice » והאמן ביהוה ויחשבה לו צדקה que le Tg Onkélos traduit : « Et il crut
dans la mémra de l’Eternel et cela lui fut compté à justice » והימין
במימרא דיוי וחשבה ליה לזכו. Le texte hébreu, tel qu’il est, peut s’interpréter
comme voulant dire que ce n’est qu’après cet évènement qu’Abraham crut en Dieu,
ce qui viendrait en contradiction avec ce que la Torah dit ailleurs. Le Targoum
d’Onkélos « attribua » donc , comme à l’accoutumée, « la
relation à quelque chose de sous entendu qui est le nom regens (du nom) de
Dieu » et n’explique pas le texte comme voulant dire qu’Abraham ne
serait devenu monothéiste qu’à cet instant, mais qu’il crut en la « parole
de l’Eternel » qui vient juste de lui être adressée. En conséquence,
l’Eternel « lui imputa cela à justice ».
Gn 22,14 : Les missionaires disent
concernant le Tg Néofiti sur ce passage qu’ « Abraham pria au Nom de la
parole de l’Eternel». La clé pour comprendre l’expression « Nom de la
parole de l’Eternel » est donnée dans la paraphrase targoumique d’Ex 23,1
où l’expression « mon Nom est en lui » שמי בקירבו, qui signifie que l’ange est
désigné par Dieu comme son émissaire investi de son autorité, est rendu
« en mon nom est sa mémra (parole) » ארי בשמי ממריה (Tg-J et
Onkélos), autrement dit , « il parle en mon nom ». A la lumière de
ceci, l’expresison « Nom de la parole de l’Eternel » en référence au
tétragramme ne signifie pas que la parole est une personne nommée l’Eternel,
mais se réfère au Nom ou à l’autorité divine par laquelle la parole de Dieu est
adressée par ses émissaires humains ou célestes. Ainsi, lorsqu’ il est dit
qu’Abraham pria « au Nom de la parole de l’Eternel », cela signifie
simplement qu’Abraham invoqua le Nom divin par l’autorité duquel la parole qu’a
prononcée l’ange lui a été adressée.
Gn 28 :20-21 : Les missionaires citent également le Tg d’Onkélos sur Gn 28,20-21 où Jacob
aurait dit que la parole de l'Eternel est son Dieu. Néanmoins, loin d’enseigner
qu’il existe plusieurs divinités ou que Dieu est capable de s’incarner, le Tg
d’Onkélos, dans sa parapharse, vise justement à écarter ces notions. En effet,
étant donné que le texte hébreu peut s’entendre comme voulant dire que Dieu
n’est pas omniprésent car se déplaçant avec Jacob, Onkélos a voulu mettre en
évidence le fait que c’est l’instrument de la provision divine, la parole, qui
sera le support de Jacob et non que Dieu serait littéralement « avec »
Jacob. La dernière phrase a également semblé problématique pour Onkélos. En
effet , en déclarant , après avoir dit que « si l’ Eternel est avec moi et
me garde sur le chemin où je vais aller , et me donne du pain à manger, et des
habits pour me vêtir, pour que je retourne en paix dans la maison de mon
père » , que « l’ Eternel sera mon Dieu », une lecture littérale
du texte donne l’impression que Jacob fait du chantage avec Dieu et n’avait
l’intention de le reconnaître comme Dieu que s’il agit favorablement avec lui.
Pour contourner cette difficulté, Onkélos a rendu « l’Eternel » par
« mémra de l’Eternel » : « viyhé mémra d’adonai li l’-élah » ויהי
מימרא דיוי לי לאלה, comme dans Exode 4:17 : ואתה תהיה לו לאלהים ( ve-attah tihyeh lo le-lohim ) ( Tu seras pour lui elohim ) en référence à Moïse.
Psaumes 62,9 : Le
missionnaires citent également leur traduction du Tg sur Ps 62,9 : « Ayez
confiance en tout temps en la parole de Yah, ô gens de la maison
d’Israël ! Déchargez votre cœur devant lui ; dites : Dieu
est notre confiance pour toujours ! ». Voici une traduction plus
exacte de l’araméen : « Ayez confiance en tout temps en Sa parole, ô
gens de la maison d’Israël ! Déchargez votre cœur devant lui et
dites : Dieu est notre confiance pour les âges » סברו
במימריה בכל עידן עמא דבית ישראל שדו קדמוי זהוהי לבכון אמרו אלהא סבר לנא לעלמין. Il ne fait
aucun doute que le « il » se réfère à Dieu et que la dernière phrase אמרו
אלהא סבר לנא לעלמין - élaha savar lana lé’alamîn - Dieu est notre
confiance pour les âges - est à propos de Dieu. Lorsque le Tg traduit
« confiez-vous en lui » par « ayez confiance en sa
parole », la paraphrase s’explique par le fait qu’avoir confiance en
quelqu’un c’est croire en sa parole.
Gn 1,27 : Les missionnaires
s’appuient aussi sur le Tg de Jonathan, sur Gn 1,27 : « Et la mémra
de l’Eternel fit l’homme à sa ressemblance, selon l’image de devant
l’Eternel elle le créa » וברא ממרה דייי ית בר נשא בדמותיה
בדמו מן קדם ייי ברה יתיה. Ce passage s’explique cependant par le fait
Dieu fit toutes choses en leur ordonnant d’exister. Dans le présent passage, la
mémra (parole) se réfère à ce que Dieu a dit dans le verset précédent : «
Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance ». D’après le Tg
Néofiti, c’est par cette parole que Dieu a prononcée que l’homme vint à
l’existence et fut créé selon « la ressemblance de l’Eternel »,
c'est-à-dire la « ressemblance » ou « image » « de
devant l’Eternel ». L’ajout du terme מן קדם (min kadam), « de
devant », est ici un procédé anti-anthropomorphique. En effet, l’hébreu דמות
אלוהים (démout
élohim), « ressemblance de Dieu », est ambigü et peut être déformé
comme voulant dire que Dieu est corporel. En disant que cette image était מן
קדם (min kadam),
« de devant » Dieu, le Tg vise à écarter toute conception
anthropomorphique et indique que cette « ressemblance » n’était que
l’image prototypique de l’homme conçue par Dieu et non la forme même du Dieu
immatériel et invisible. Il en est de même pour l’expression « mémra de
l’Eternel » qui vise à éclaircir le fait que ce n’est pas par « une
main » que l’Eternel modela l’homme à partir de l’argile, mais en
ordonnant qu’il en soit ainsi. Compte tenu de l’obsession
anti-anthropomorphique des auteurs des targoums, il est étonnant de voir que
les missionnaires chrétiens font usage de ces mêmes targoums pour démontrer que
Dieu a pris forme humaine . Les missionaires citent encore le Tg fragmentaire
sur Ex 3,14 où l’on peut lire : « Et la mémra de l’Eternel dit à
Moïse, celui qui dit au monde « soit » et il fut, et qui, dans le
futur, lui dira « soit » et il sera » ואמר
מימרא דה׳ למשה דין דאמר לעלמא הווי והווי ועתיד למימר ליה הווי והווי. Qu’ il
soit dit ici de la « mémra » qu’ elle « parle » ne devrait
pas nous conduire à la conclusion que la « mémra » est un être vivant
, vu que , comme nous l’avons dit plus haut , la même chose est dite dans les
écritures concernant des voix impersonnelles et le message prophétique. Ici, le
« mémra » n’est rien d’autre que les propos adressés à Moïse. Notons
qu’un autre manuscrit de ce Tg présente la « mémra » comme distincte
de Dieu et donne à comprendre que l’émétteur est Dieu et non la
« mémra » qui n’est que le message que Moïse a reçu : « Et
l’Eternel envoya la mémra à Moïse, celui qui dit au monde « soit » et
il fut, et qui, dans le futur, lui dira « soit » et il sera » ייי שלח
מימרה דייי למשה דן דאמר לעלם הווי והווה ועתיד למימר ליה הוי והווי. Pour les
missionnaires, le Tanakh même enseigne que la Parole de l’Eternel est le
créateur. Cela est faux. Au contraire, le Tanakh enseigne que l’Eternel
fit seul les cieux et la terre. La parole est seulement le moyen par lequel
Dieu créa. En effet, il a suffit à Dieu de parler pour que le monde soit. La
parole impersonnelle n’est évidemment pas un deuxième être divin auprès de
Dieu.
Gn 9,17 : Les missionaires citent
également des passages où la « mémra » apparaît dans le contexte de
l’établissement d’alliances : « Et l’Eternel dit à Noé : voici
le signe de l’Alliance que j’ai établi entre ma mémra et toute chair »ואמר
יוי לנח דא את קים דאקימית בין מימרי ובין כל בסרא דעל
ארעא (Tg
Onkélos sur Gn 9,17), « Et j’établirais mon alliance entre ma mémra et
toi » ואיתן קימי בין מימרי ובינך (Tg Onkélos sur Gn 17,2). Ils
semblent ignorer que la « mémra » d’autres personnes que Dieu sont
aussi présentées dans le Tg comme impliquées dans des alliances :
« Et Dieu dit à Noé : voici le signe de l’alliance que j’ai établi
entre ma mémra et la mémra de toute chair sur la terre » ואמר
אלקים לנח דא את קים דקיימית בין מימרי ובין מימר כל ביסרא דעל ארעא (Tg-J sur Gn
9,17), « Et Asa fit sortir de l'argent et de l'or des trésors du saint
sanctuaire de l’Eternel et de la maison du roi , et il envoya des messagers
vers Bar-Hadad , roi de Syrie , qui habitait à Damas en disant : qu' il y ait
Alliance entre ta mémra et ma mémra » ואפיק אסא סימא ודהבא מן תסברי בית
מוקדשא דייי ומבית מלכא ושדר לבר הדד מלכא דארם דיתיב בדרמשק למימר ׃ קיימא בין
מימרי ובין מימרך. De toute évidence, ni la mémra de Benhadad, ni celle
d’Asa ni même celle de toute chair ne sont des êtres distincts d’eux. La mémra
de Dieu ne fait pas excéption à la règle. Dans ces passages, l’araméen
« mémra » peut désigner l’ « être » comme il peut désigner
la « parole ». L’une ou l’autre tarduction sont possibles étant donné
que, dans ces passages, « mémra » traduit l’hébreu
« néfesh » - personne ou âme - et des pronoms personnels et que, dans
l’antiquité, les accords étaient conclus, non pas par des contrats écrits comme
à l’époque actuelle, mais par la « parole ».
Gn 48,18 : Les missionaires
déclarent que « c’est vers la parole que Jacob s’est tourné pour le salut ».
Ils citent, pour appuyer ce qu’ils avancent, leur propre traduction du Tg-J sur
Gn 48,18: « Notre père Jacob dit : Mon âme n’attend pas de salut
comme celui qui a été fait par Gidéon , le fils de Joash , car ce n’était que
temporaire , ni de salut comme celui de Samson , qui n’était que transitoire ,
mais le salut que tu as promis qu’il viendrait , par ta parole, à ton peuple ,
les enfants d’Israël ; mon âme epère en ton salut ». Mais le Tg-J ne
mentionne pas la mémra dans ce passage: « Lorsqu’ il vit Gidéon bar Yoash et
Shimshon bar Manoah, lesquels ont été désignés comme des sauveurs, Ya’akov
dit : Je n’attends pas le salut de Gidéon , et je ne cherche pas le salut
de Shimshon, car leur salut n’est que temporaire, mais j’attends et recherche
ton salut , ô l’Eternel, car ton salut est un salut éternel » אמר
יעקב כד חמא ית גדעון בר יואש וית שמשון בר מנוח דקיימין לפרוקין לא לפורקניה
דגדעון אנא מסכי ולא לפורקניה דשמשון אנא מודיק דפורקנהון פורקן דשעתא אלהין
לפורקנך סכיית ואודיקית ייי דפורקנך פורקן עלמין. Le seul Tg qui ressemble à ce
que décrivent les missionnaires est le Tg fragmentaire. Cependant, le texte
araméen ne dit pas ce que les missionnaires lui font dire : « Ya’akov
notre père dit : mon âme n’attend pas le salut de Gidéon bar Yoash , qui
n’est qu’un salut temporaire, et mon âme n’attend pas le salut de Shimshon bar
Manoah, qui n’est qu’un salut éphémère, mais en ton salut à propos duquel tu as
dit dans ta mémra qu’elle viendra pour ton peuple, les enfants d’Israël , c’est
ce salut que j’attends » אמר יעקב אבונן לא לפורקניה דגדעון
בר יואש סכיית נפשי דהוא פורקן שעה ולא לפורקניה דשמשון בר מנוח סכיית נפשי דהוא
פורקן עבר אלא לפורקנא די אמרת במימרך למייתי לעמך בני ישראל ליה לפורקנך סכיית
נפשי. La
« mémra » à laquelle ce texte se réfère n’est de toute évidence pas
une personne, mais la promesse de Dieu de sauver Israël. Quand le texte affirme
que Dieu « a dit dans sa parole » que ce salut viendra pour le peuple
juif, cela signifie, ni plus ni moins, que Dieu a promis de sauver Israël. En
ce sens, les phrases comme « Israël sera sauvé par la mémra de
l’Eternel » ישראל אתפריק במימרא דיוי ou « je les sauverais par la mémra de l’Eternel leur Dieu » אפרוקינון
במימרא דיוי אלההון veulent dire que les juifs seront
sauvés parce que Dieu lui-même l’a dit ou que Dieu, en temps voulu, décrètera
la fin de l’exil et la délivrance nationale d’Israël qui ne sera plus assujetti
aux nations. Dans ces textes, la « mémra » se traduit par
« promesse » ou « décret ».
Indiquons, pour finir, que la théologie du Tg ne diffère guère de ce
qu’enseigne le judaïsme rabbinique officiel. En effet, le Tg néofiti, le Tg-J
et le Tg fragmentaire sur Gn 3,22 disent que Dieu est יחידיי
(yéhidaï),
l’équivalent araméen de l’hébreu יחיד (yahid) que le Rambam, des
siècles plus tard, utilisera pour parler de l’unicité de Dieu. Les chrétiens et
les messianiques l’admettent lorsqu’ils affirment, dans leur calomnie contre le
Rambam, qu’il substitua le terme « ehad », qu’ils interprètent comme
désignant une unicité composée, par « yahid » qui désigne une
singularité absolue. Ironiquement, l’Evangile de Jean, près d’un millénaire
avant le Rambam, atteste que l’incarnation et l’idée d’une pluralité divine
étaient déjà considérés comme blasphématoires par les juifs contemporains de
Jésus (Jn 10,33). Le fait que les targoums sont des paraphrases
anti-anthropomorphiques de la Bible atteste que leurs auteurs refusaient
d’attribuer un corps à Dieu et démontre la bêtise de la tentative qui vise à
prouver, à partir des targoums, qu’une « partie » de Dieu est littéralement
apparue aux prophètes ou que le Messie est l’incarnation de Dieu. En outre, le
Tg rejoint l’explication talmudique des versets bibliques que les chrétiens et
les messianiques interprètent comme indiquant une pluralité divine :
« Et Dieu dit aux anges qui servent devant lui, qui furent créés au
deuxième jour de la création du monde : faisons l’homme à notre image,
selon notre ressemblance » ואמר אלקים למלאכייא דמשמשין קומוי
דאיתבריין ביום תניין לבריית עלמא נעבד אדם בצילמנא כדייוקננא (Tg-J sur Gn
1,26)
« Et l’Eternel dit aux soixante-dix anges qui se tiennent devant
lui : Venez, nous allons descendre et y confondre leur language » אמר
ייי לשבעין מלאכיא דקימין קומוי איתון כדון וניחות ונערבבא תמן לישנהום (Tg-J sur Gn
11,7)
« Car les Anges de l’Eternel se sont révélés à lui là bas » רום
תמן אתגליו ליה מלאכייא דייי (Tg-J sur Gn 35,7)
« La seule nation de la terre que les émissaires de devant l’Eternel
sont venus racheter, pour [en faire] son peuple » עמא
חד בחיר בארעא דאזלו שליחין מן קדם יי למפרק ליה עם (Tg-J sur Samuel 7,23)
Alors que selon les chrétiens et les messianiques, Gn 1:26, 11:7,
35:7 et Samuel 7:23, où Dieu est référé au pluriel, font allusion à la Trinité,
ou du moins, à l’existence d’une autre personne divine, qu’ils identifient
comme le « fils », aux côtés de Dieu, le Targoum, à l’instar des
rabbins du Talmud, interprète ces versets comme des cas où Dieu « parle à
sa cour céleste » (Talmud Sanhédrin 38b) ou comme se référant à ses
émissaires.
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