dimanche 1 octobre 2017

Réponse aux missionaires :


                   Trinité et divinité du Messie dans la Kabbale ?
L
e Zohar 2:43b, où il est parlé de trois noms qui sont un, est cité par les missionnaires chrétiens et les messianiques pour faire accroire aux juifs mal informés que la Trinité est une doctrine juive. Voyons d’abord le texte en question : « Ecoute Israël , l’ Eternel est  Notre Dieu , l’ Eternel est entièrement  un , c’est pourquoi il est nommé l’ UN (Ehad) .Il existe trois noms [ si on lit « l’ Eternel , notre Dieu , l’ Eternel , est un » au lieu de « l’ Eternel est notre Dieu , l’ Eternel est un »] , comment donc peuvent ils être un ?  Et même si nous l’appelons un, comment sont ils un ?  Mais c’est à travers la vision de l’Esprit de sainteté que cela est su, et dans la vision de l’œil fermé que l’on sait que les trois sont un.   Et c’est la fondation de la voix qui se fait entendre. La voix est une, mais il existe trois couleurs, le feu, l’air et l’eau, et tout est un dans le fondement de la voix (et ils ne sont qu’un). Ainsi, l’Eternel, notre Dieu, et l’Eternel sont un, trois couleurs, et elles sont unes. Et c’est la voix de l’homme qui sert l’unicité absolue, et qui accomplit sa volonté depuis l’infini jusqu’ à la fin de tout ; dans cette voix de celui qui sert, les trois son un  Et c’est l’unicité [proclamée] chaque jour, qui est révélé dans le fondement de l’Esprit de sainteté » שמע ישראל יהוה אלהינו יהוה, הא כלהו חד, ועל דא אקרי אחד. הא תלת שמהן אינון, היך אינון חד, ואף על גב דקרינן אחד, היך אינון חד, אלא בחזיונא דרוח קדשא אתיידע, ואינון בחיזו דעינא סתימא, למנדע דתלתא אלין אחד. ודא איהו רזא דקול דאשתמע, קול איהו חד, ואיהו תלתא גוונין אשא ורוחא ומיא, וכלהו חד ברזא דקול (ולאו אינון אלא חד), אוף הכא יהוה אלהינו יהוה אינון חד, תלתא גוונין ואינון חד,  ודא איהו קול דעביד בר נש ביחודא ולשוואה רעותיה ביחודא דכלא מאין סוף עד סופא דכלא, בהאי קול דקא עביד בהני תלתא דאינון חד ודא איהו יחודא דכל יומא דאתגלי ברזא דרוח קודשא

L’on notera premièrement que contrairement à ce que certains prétendent, ce texte n’enseigne pas qu’il s’agit ici de la seule interprétation possible du Deutéronome 6,4 ou que l’enseignement rabbinique traditionnel sur la nature de Dieu est faux. Pour le comprendre, il convient de rappeler qu’il existe selon la tradition rabbinique quatre niveaux d’intérprétation du texte biblique : le Péshat ou sens littéral, le Remez ou allusion, de Dérasch ou interprétation figurée et le Sod ou lecture ésotérique. D’ autre part,  l’un des principes fondamentaux de l’éxégèse rabbinique est qu’ « aucunne lecture ne peut s’écarter du sens litéral » אין מקרא יוצא מדי פשוטו (Talmud Shabbat 63a), c'est à dire que pour être recevable,  aucunne interprétation, qu’elle soit Dérasch, Remez ou Sod,  ne peut contredire le sens littéral ou Péshat. Pour illustrerce principe, prenons l’exemple de Genèse 1,1. Nous lisons dans le texte hébreu : בראשית, ברא אלוהים, את השמיים, ואת הארץ - béréshit bara Elohim et hashamayim véet haarets -. Selon la lecture de niveau Péshat, ceci veut dire qu’ « au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Cependant, étant donné que dans le livre des proverbes, la sagesse est le «  commencement » (Réshit) et que la Torah est sagesse, une lecture de niveau Drasch permet d’entendre Genèse 1,1 comme : « A travers la Torah, Dieu créa le ciel et la terre ». Ici, les deux lectures, Péshat et Dérasch, ne sont pas mutuellement exclusives et l’un n’empêche pas l’autre en ce que le fait que Dieu créa le monde « à travers la Torah » n’exclut pas que la création se fit « au commencement ». En fait, l’on peut dire que les deux interprétations se complètent puisqu’ on peut dire qu’au commencement, Dieu créa le monde à travers la Torah. Le Dérasch est donc recevable puisqu’ il complète et ne vient pas en contradiction avec le Péshat qui dit qu’ « au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Pour en revenir au Deutéronome 6 :4, les cantillations massorétiques, qui donnent le Péshat, articulent le texte de la sorte : « Ecoute Israël ! L’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est un ». Ainsi, peu importe ce qu’ont voulu dire les auteurs du Zohar dans leur interprétation du Deutéronome 6 :4, leur intention n’était certainement pas de donner une lecture alternative qui viendrait remplacer ou conterdire le Péshat qui déclare que l’Eternel est le Dieu d’ Israël et qu’ « il est un en tout point, ne contenant aucunne pluralité ou d’éléments superposés à son essence » (Rambam, Guide des perplexes 1,62). A vrai dire, le Zohar, dans le folio 42b du même volume, réitère la compréhension rabbinique traditionelle de la nature de Dieu en tant qu’Etre immatériel et numériquement un et unique – yahid   :

« Avant que le Saint béni soit il créa toute forme et toute représentation dans le monde, il était yahid, sans forme et sans similitude. Ainsi , il est interdit à celui qui le comprend tel qu’ il était avant la création , sans forme , de le représenter sous une forme ou une image quelle qu’ elle soit , pas même sous la lettre He et la lettre Vav , ni par son Saint Nom , ni par aucun signe ni aucun point quel qu’ il soit . Et c’est ce que dit la Bible : « vous n'avez vu aucune ressemblance [au jour où l’Eternel votre Dieu vous parla à Horeb, au milieu du feu] « (Deut 4,15). Mais après qu’ il créa la forme du chariot de l’ homme céleste , il y est descendu et fut appelé à tarvers cette image par le Tétragramme afin qu’ on le connaisse dans chaque attribut , et fut appelé El , Elohim , Shadday , Tsévaot , le Tétragramme et Ehyeh , afin qu’ il soit rendu manifeste que le monde est gouverné par la Miséricorde et la Justice suivant les œuvres des fils des hommes. Car s’il n’a pas répandu sa lumière sur toute créature, comment l’auraient ils connu et comment s’accomplirait ce que dit l’Ecriture : « Car toute la terre est remplie de Sa Gloire « (Isaïe 6,8) ? Mais malheur à celui qui ose le comparer à un attribut, même à ceux qui sont siens, et encore moins aux fils des hommes, les fondements desquels est dans la terre et qui sont destinés à périr. Mais il doit être conçu comme souverain sur chaque attribut, et sur toute la création, et au dessus de chaque attribut » דהא קדם דברא קודשא בריך הוא דיוקנא בעלמא וציי צורה, הוה הוא יחידאי בלא צורה ודמיון, ומאן דאשתמודע ליה קדם בריאה דאיהו לבר מדיוקנא, אסור למעבד ליה צורה ודיוקנא בעלמא, לא באות ה' ולא באות י', ואפילו בשמא קדישא, ולא בשום אות ונקודה בעלמא, והאי איהו כי לא ראיתם כל תמונה, מכל דבר דאית ביה תמונה ודמיון לא ראיתם. אבל בתר דעבד האי דיוקנא דמרכבה דאדם עלאה, נחית תמן ואתקרי בההוא דיוקנא יהו״ה,בגין דישתמודעון ליה במדות דיליה בכל מדה ומדה. וקרא אל אלקים שדי צבאות אהיה, בגין דישתמודעון ליה בכל מדה ומדה, איך יתנהג עלמא בחסד ובדינא, כפום עובדיהון דבני נשא, דאי לא יתפשט נהוריה על כל בריין איך ישתמודעון ליה, ואיך יתקיים (ישעיה ו ג) מלא כל הארץ כבודו ווי ליה מאן דישוה ליה לשום מדה, ואפילו מאלין מדות דיליה, כל שכן לבני האדם (איוב ד יט) אשר בעפר יסודם דכלים ונפסדים, אלא דמיונא דיליה כפום שלטנותיה על ההיא מדה, ואפילו על כל בריין (Zohar 2,42b)

Le texte est clair sur le fait que l’essence et la nature de Dieu sont au dessus de toutes choses, même de ses attributs et de ses noms qui ne se réfèrent qu’à ses divers modes d’interaction avec le monde. En d’autres termes, la pluralité de noms et de caractères que les hommes atribuent à Dieu et par lesquels il se laisse désigner n’affectent en aucun cas son unicité. Ainsi, lorsque le Zohar, dans le folio suivant, dit que l’Eternel, notre Dieu et l’Eternel sont trois noms qui sont un, il n’enseigne pas qu’il existe trois êtres divins ou que Dieu est pluriel dans son essence, contrairement à ce qu’il vient juste d’expliquer, mais que ces trois noms, qui expriment trois modes d’interaction de Dieu avec le monde (Sévérité , Miséricorde et l’ Equilibre ), sont un, car ils désignent une unicité singulière: Dieu qui est un.

Il semble même que cet extrait du Zohar soit une polémique à l’encontre du Christianisme.  En effet, le Zohar introduit le passage par une curieuse objection à l’encontre de l’unicité de Dieu : « Il existe trois noms, comment donc peuvent ils être un ?  Et même si nous l’appelons un, comment sont ils un ? ». Comme si le Zohar citait, afin de mieux la réfuter, l’objection chrétienne à la doctrine rabbinique de Dieu. Que les chrétiens, dans leur débat avec les rabbins, tenaient des propos similaires, on le sait de par « traité sur la résurrection des morts » (Maamar teḥiyyat hamétim) du Rambam:

« Il n’est pas rare que quelqu’un se propose d’expliquer un certain sujet simplement, clairement et d’une manière précise afin de se débarrasser du doute et de tout malentendu, mais que des gens malades d’esprit déformeront ses propos comme voulant dire l’opposé de ce qu’il a voulu dire.  C’est le cas même avec la parole d’Hashem, béni soit il. En effet, lorsque le maître des prophètes (Moïse) a voulu nous informer par la parole d’ Hashem, béni soit il, qu’il est un, et qu’il n’y a pas d’autres comme lui, et pour se débarrasser de l’opinion paresseuse des dualistes, il dit pour expliquer ce fondement : « Ecoute Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est un ». Ils interprètent cependant ceci comme voulant dire que Dieu est trois, et disent : « Il est dit « l’Eternel », puis « Notre Dieu », puis « l’Eternel », il y a là trois noms, et après il est dit : « un », ce qui démontre qu’ils sont trois et que les trois sont un ». A Dieu ne plaise ! » איננו רחוק שיכוון אדם לבאר עניין הקדמה מן ההקדמות בלשון מבואר פשוט, וישתדל בו לדחות הספקות ולהסיר הפירושים, ויבינו חולי הנפשות מן הלשון ההוא היפך ההקדמה אשר כיון לבארה. והנה אירע כיוצא בזה בדברי השם יתברך, והוא כאשר כיוון אדון הנביאים להודיענו בדבר ה' יתברך, שהוא אחד ואין שני לו, ולהסיר מנפשותינו הדעות הנפסדות אשר האמינום המשניים, אמר מבאר לזאת הפינה «שמע ישראל ה' אלוהינו ה' אחד». והביאו ראיה מזה הפסוק על שהאל הוא שלשה ואמרו, אמר «ה' אלוהינו» ואמר «ה'»   הרי אלו שלושה שמות. ואמר אחר כך «אחד» ראיה שהם שלושה, והשלושה אחד. וחלילה לאל (Introduction au traité sur la Résurrection) 

La réponse du Zohar pourrait donc être reformulée comme suit: « En supposant qu’il faille lire Deutéronome 6,4 comme : « Ecoute Israël ! L’Eternel, notre Dieu, l’Eternel, est un » comme le font les chrétiens et non « Ecoute Israël ! L’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est un », comme le font les juifs, cela ne voudrait pas dire que Dieu est pluriel, mais que Dieu, qui est un, est simplement appelé par divers noms qui sont un, car se référant tous au Dieu un ». L’analyse du contexte appuie cette interprétation. En effet, le Zohar, dans la page précédente, s’oppose à la théologie qui compare Dieu à un homme. D’après l’Evangile de Jean, les juifs accusèrent Jésus de se « faire l’égal de Dieu » (Jn 5 ,18). Pour les chrétiens de la grande Eglise, il ne s’agissait pas d’une simple accusation mensongère, mais d’une vérité qui exprime une doctrine fondamentale de la foi chrétienne : la divinité du Fils de Dieu aussi Fils de l’homme et son égalité avec le Père. Il est intéressant de noter que dans la version araméenne (Peshitta) de Jn 5:18 , le mot utilisé pour exprimer le terme « se faire l’ égal » est משוה, « maswheh » ou « mashveh » , dont une forme conjuguée est ישוה « yashveh » , le même terme que l’on retrouve dans le Zohar 2,42b : «  Malheur à celui qui compare ישוה (yashveh) Dieu aux fils de l’homme ».  Il apparaît donc que le Zohar 2,42b à 2,43b est dirrigé contre la doctrine de l’incarnation et de la Trinité chrétienne. L’affirmation du Zohar selon laquelle la compréhension de l’unicité de Dieu s’atteint par « la vision de l’Esprit saint » est clairement une polémique contre l’affirmation chrétienne selon laquelle la Trinité est un mystère qui ne peut être appréhendée que par la révélation de la troisième personne de la Trinité. En d’autres termes, ce que le Zohar veut dire est que ce ne sont non pas les chrétiens trinitaires qui possèdent l’Esprit saint, qui est interprété dans la mystique juive comme un état d’esprit exalté juste en dessous de la prophétie, mais les juifs qui professent l’unicité absolue de Dieu et qui le proclament chaque jour lorsqu’ ils se cachent les yeux avec la main droite en récitant le Dt 6:4, le fondement de la religion d’Israël.

Les chrétiens et les messianiques citent encore un autre texte du Zohar qui mentionne un « pilier central », un  « pilier gauche » et un « pilier droit », et affirment que ces trois pilliers sont les trois personnes de la Trinité. Cependant, ces trois pilliers sont, à en croire le Zohar, non pas des personnes, mais les attributs divins du « Ḥessed » ou « Raḥamim », la miséricorde, du « Dîn » ou « Gévourah », le jugement ou la sévérité, et du « Tiferet », l’attribut médian qui, dans l’arbre séfirotique, représente l’équilibre entre les deux autres :

« Le pilier central unit le jugement et la grâce » עמודא דאמצעיתא דאיהו כליל דינא ורחמי (Zohar 2:118b Ra’aya Méhémna)

« Le pilier central unit la droite et la gauche, qui sont la miséricorde et la sévérité, comme un corps qui unit les deux bras d’un homme » עמודא דאמצעיתא אחיד ביה ימינא ושמאלא, דאינון חסד וגבורה, כגופא דאחיד בין תרין דרועין דבר נש, (Zohar 3 :28a Ra’aya Méhémna)

Si donc il fallait considérer, comme le font les missionnaires, le pilier central et les deux autres, lesquels ne sont que trois attributs (séfirot) parmi les dix énumérés dans la Kabbale juive, comme des personnes qui composent Dieu ou des êtres divins distincts, l’on aboutirait à la conclusion qu’ il existe un Dieu qui serait dix et un à la fois , une théologie que ni les chrétiens , qui disent que Dieu est une Trinité,  ni les juifs , qui disent que Dieu est absolument un, ne trouveraient acceptable. 

Le Zohar, il est vrai, appelle ce « pilier central » le « Fils de Dieu ». Le Zohar, toutefois, ne dit pas que le « Fils de Dieu » est Dieu. En fait, de nombreux passages du Zohar donnent à comprendre que le « Fils de Dieu » est en réalité la collectivité Israël, appelée « Fils » dans les écritures,  laquelle, en ce qu’elle manifeste l’attribut du « Tiféret » qui est le « pilier central », est identifiée au « pilier central » :

« Israël est le pilier central,  il unit la Shékhinah supérieure et inférieure » דאיהו ישראל עמודא דאמצעיתא, כליל שכינתא עלאה ותתאה, (Zohar 1 :21b)

« Le pilier central, à propos duquel il est dit : Mon fils, mon Premier né, Israël (Ex 4,22) » עמודא דאמצעיתא, דאתמר ביה בני בכרי ישראל (Tiqounéi Zohar 76b)

« Ceci est le Pilier central, ainsi le Juste est à son image et à sa ressemblance, et par son nom Israël, « Mon fils, mon premier né, Israël » (Exode 4,22), est appelé. Et par le nom de Juste ils sont appelés justes comme il est écrit : Et quant à ton peuple, ils seront tous justes; ils posséderont éternellement la terre (Isaïe 60,21) » דא עמודא דאמצעיתא, והכי צדיק בצלמיה וכדמותיה, ועל שמיה אתקריאו ישראל בני בכורי ישראל, ועל שם צדיק אתקרון צדיקים, הדא הוא דכתיב (ישעיה ס') ועמך כלם צדיקים לעולם ירשו ארץ: (Tiqounéi Zohar 79b)

La suite de la référence biblique citée par le Zohar identifie Israël qui est « Fils », à un arbre  planté par Dieu :  « rejeton que j'ai planté, œuvre de mes mains, dont je me fais honneur.» נצר מטעי מעשה ידי להתפאר (Isaïe 60,21).  Lors donc que le Zohar enseigne que « le Saint, béni soit Il, a un fils qui luit d’une extrémité du monde à l’autre. Il est un arbre grand et puissant dont la tête atteint les cieux, et dont les racines s’enfoncent dans la terre sainte »ברא חד דנהיר מסייפי עלמא עד סייפי עלמא אית ליה לקודשא בריך הוא, והוא אילנא רבא ותקיף, רישיה מטי לצית שמיא, וסופיה מתחין שרשוי, ואשתרשן בעפר קדישא. ו'מספר' שמיה, ותליא בשמים עלאין et que sans le Fils, « il n’ y aurait eu ni armée ni générations dans le monde » דאלמלא מספר דא לא ישתכחון חיילין ותולדין לעלמין (Zohar 2 :106a) , le Zohar veut parler du peuple juif qui est représenté allégoriquement en Isaïe 60:21 comme un arbre et pour lequel , à en croire la tradition rabbinique, Dieu créa toute chose :

«  Les cieux et la terre n’ont été créés que pour Israël , comme il est écrit : Béréshit (Pour / dans / à travers le Réshit) , Dieu créa le ciel et la terre (Gn 1,1), et ce Réshit est Israël comme il est dit : Israël était consacré à l'Eternel, Il était les prémices (Réshit) de son revenu » שמים וארץ לא נבראו אלא בזכות ישראל, דכתיב: בראשית ברא אלהים, ואין ראשית אלא ישראל, שנאמר: (ירמיה ב)קדש ישראל לה' ראשית תבואתה.  (Midrash Vayikra rabbah 34:4)

L’identification d’Israël au « Fils » est explicite dans ce passage du Zohar :

« Quel est son Nom, quel est le nom de son fils ? Son est connu : « L’Eternel des armées est son nom » (Isaïe 54,5). Et le nom de son fils ? Israël est son nom, comme il est écrit : « mon fils, mon premier né, Israël » (Exode 4,22). Toutes les clés de la foi dépendent d’Israël. Il se glorifie lui même lorsqu’ il dit : « L’Eternel m’a dit : tu es mon fils » (Psaumes 2,7). C’est en effet le cas, car le Père et la Mère (Dieu dans ses dimensions masculine et féminine) l’ont couronnés et l’ont bénis par des bénédictions innombrables et ont dit et donné l’ordre à tous : « Embrassez le fils » (Psaumes 2 :12) » מה שמו ומה שם בנו כי תדע ההוא שם ידיעא יי' צבאות שמו. שם בנו ישראל שמו דכתיב בני בכרי ישראל והא ישראל כל מפתחן דמהימנותא ביה תליין ואיהו משתבח ואמר יי' אמר אלי בני אתה. והכי הוא ודאי דהא אבא ואמא אעטרו ליה ובריכו ליה בכמה ברכאן ואמרו ופקידו לכלא (שם) נשקו בר (Zohar 3 :191b)

Les missionnaires prétendent que puisque le pilier central est le Fils et que Métatron est appelé pilier central, Métatron et le Fils ne sont donc qu’une seule personne nommée le pilier central. Mais cette conclusion trop simpliste est erronée premièrement parce que, comme nous en avons parlé, le pilier central n’est pas une personne mais un attribut divin et deuxièmement parce que le Zohar ne désigne jamais Métatron comme le Fils. Lorsque le Zohar dit que Métatron est le pilier central, il veut dire que « Tiféret » qui est le pilier central  est l’attribut divin à l’image duquel des êtres comme le Fils (Israël) et Métatron ont été créés et que ceux-ci incarnent. Autrement dit, le Pilier central qui est « Tiféret » est la qualité que l’on retrouve aussi bien en Dieu qu’en Métatron et en le Fils. Cette idée est exprimée comme suit dans le Zohar :

« Le Pilier central est Métatron, qui a fait la paix en haut, selon l’aspect du Tiféret. Son nom est comme celui de son Maître et à son image et sa ressemblance il a été créé » עמודא דאמצעיתא איהו מטטרון לאשלמא לעילא כגוונא דתפארת שמיה כשם רביה בצלמו כדמותו אתברי (Zohar Ra’aya Méhémna 3 :227a)
Les missionnaires aiment à citer la première partie du texte, mais omettent de mentionner la partie qui dit que Métatron a été « créé à l’image et à la ressemblance » de Dieu בצלמו כדמותו אתברי (bétsalmo kidmouto itbéri). Métatron est donc, selon le Zohar, une créature et pas Dieu. Cette idée est réitérée dans le Zohar 1 :126b où Métatron est dit être le תחלת בריותיו של מקום (taḥalath bériotav shel maqom), ce se traduit non pas comme « premier né de Dieu » comme l’entendent les missionnaires, mais le « premier des créatures de Dieu », une expression qui ne convient pas à Dieu. En effet, Dieu, n’ayant ni commencement ni fin, ne peut être relegué au rang de « créatures » et ne peut donc pas être qualifié de « premier » de ceux ci.  Certes, Métatron est dit porter le même nom que Dieu, mais cela ne prouve rien étant donné que le Zohar explique :
« Les êtres vivants (hayoth) célestes sont appelés par les lettres du Saint Nom comme il est écrit : « Chacun qui est appelé par mon nom, je l’ai créé pour ma gloire, je l’ai formé, je l’ai créé » (Is XLIII,7) , y compris les créatures qui ont été formées selon elles. Et il n’existe pas de créature qui ne sont pas scellées de ce Nom afin qu’elles proclament qui les ont créé. Le Yod symbolise la tête des créatures, les deux Hé représentent les cinq doigts de la droite et de la gauche et le Vav symbolise le corps. Cependant Dieu dit : « A qui me compareriez-vous pour que je sois son égal ? », «  Parmi toutes les choses créées, aucune, y compris celles qui ont été créées à la ressemblance de mon Saint Nom, ne peut être comparée à moi car je peux effacer la forme et en créer une nouvelle encore et encore, mais il n’y a pas d’autre Dieu au dessus de moi qui puisse effacer ma ressemblance » ל חיון דאינון חיות הקודש, באתוון דשמא קדישא אתקריאו. הדא הוא דכתיב (ישעיה מג ז) "כל הנקרא בשמי ולכבודי בראתיו"-- אפילו כל בריין דאתבריאו בהון. ולית בריאה דלא אתרשים בהאי שמא, בגין לאשתמודעא למאן דברא ליה. והאי יו"ד איהו דיוקנא דרישא דכל בריין. ה' ה' דיוקנא דה' אצבעאן דימינא וה' דשמאלא. ו' דיוקנא דגופא. ובגין דא אמר (שם ם כה) "ואל מי תדמיוני ואשוה יאמר קדוש"-- לית בכל בריה דאשוה כוותי, ואף על גב דבראתי לה כדמות אתוון דילי. דאנא יכיל למחאה ההיא צורה, ולמעבד לה כמה זמנין, ולית אלוה אחרא עלי דיכיל לממחי (Zohar 2,42a)

Métatron, en tant qu’être « créé à l’image et à la ressemblance » de Dieu dont il porte les lettres du Nom, ne participe donc pas à la divinité mais appartient plutôt à la catégorie des « créatures » formées « à la ressemblance du Saint Nom » et qui « sont appelées par les lettres du Saint Nom ».

Ainsi, si l’Ange que le Zohar appelle Métatron  était l’esprit préexistant du Messie comme le laissent accroire les missionnaires, cela ne ferait que confirmer l’idée que le Zohar envisage le Messie comme n’étant pas Dieu, mais une créature.

 Le Arizal , qui est considéré comme l'un des plus grands maîtres de la Kabbale de tous les temps et celui qui révéla ce que le Zohar enseignait en des termes voilés , considère cependant le Messie comme simplement homme. Il tient en effet ce propos :

 «  Le Messie Roi sera indubitablement un homme né d’ un homme et d’ un femme , mais sa justice  s’ accroitra jusqu’ à la fin des temps , et il méritera , par ses actes , le Néfesh , le Rouah , la Néshamah , la Hayah et la Yé’hidah . Et alors , ce jour là , au temps de la fin , viendra l’ âme de son âme qui a été préparée dans le jardin d’ Eden et qui sera donnée à cet homme juste qui méritera alors de devenir le Rédempteur » המלך המשיח יהיה ודאי אדם צדיק נולד מאיש ומאשה, אלא שביום ההוא יגדל צדקתו עד קץ הימין ויזכה במעשיו לנפש, רוח, נשמה, חיה, יחידה ה׳ בחינות אלו של קדושה, ואז ביום ההוא בזמן הקץ תבוא נשמה של נשמה שלו הנתונה בגן עדן ותנתן לאיש הצדיק ההוא ואז יזכה להיות גואל (Arba’ méot sheqel késef p. 68)

C'est aussi ce que disaient la plupart des Hébreux , c'est à dire les premiers croyants d' origine juive de l'Eglise de Jérusalem, qui, d'après Théodore de Cyr, exprimaient leur conceptions messianiques comme suit :

« Jésus est né d’une manière naturelle, d’un homme et d’une femme, de Joseph et de Marie, mais qu’il a excellé en sagesse, en justice ainsi que dans toutes les autres chose » (Théodore de Cyr, Fables hérétiques II :1-3)

L’identification de Jésus à Métatron a toutefois déjà été faite par certains courants du « judéo-christianisme » ancien sous l’influence de la doctrine mystique des Esséniens qui attendaient la venue d’un Messie-Ange. Une prière juive, qui, à en croire le professeur Yéhoudah Liebes est de provenance « judéo-chrétienne » (cf. « Malakhéi qol hashofar vi-yshoua’ sar hapanim » par Yéhoudah Liebes), parle de « Yéshoua (Jésus) le Prince de la Face et le Prince Métatron » ישוע שר הפנים ושר מטטרון .  Par contre dans la version de la même prière qui est récitée au  premier jour de Rosh Ha shanah, « Prince de la Face » est le qualificatif de « Métatron » : « Métatron le Prince de la Face » מטטרון שר הפנים, ce qui suggère que pour les judéo-chrétiens à l’origine de cette prière, l’un des noms de Yéshoua (Jésus) est Métatron. L’épître aux Hébreux, au premier siècle, réfute déjà la christologie angélique des croyants d’origine juive auxquels il s’adresse. L’identification, dans le cadre de la christologie angélique, de Jésus à Métatron est étayée par le fait que les « judéo-chrétiens » ont ramené à Jésus la description kabbalistique de Métatron. Epiphane, parlant des « Ebionites », tient en effet ce propos :

« Ils disent qu’il (Jésus) n’a pas été engendré par Dieu le Père, mais créé en tant qu’un des Archanges, qu’il est Maître sur les anges et sur toutes les créatures du Tout puissant » (Epiphane, Panarion 30,16:4)

La correspondance avec ce que dit le Zohar à propos de l’Archange Métatron est frappante

« Et il est écrit : « Abraham a dit son serviteur », c’est Métatron, le serviteur de Dieu ;  « le plus ancien de sa maison » ; car il est le premier des créatures de Dieu ; « l'intendant de tous ses biens », car le Saint Béni soit il lui a donné la domination sur toute son armée »  ויאמר אברהם אל עבדו, זה מטטרון עבדו של מקום, זקן ביתו, שהוא תחלת בריותיו של מקום, המושל בכל אשר לו, שנתן לו קודשא בריך הוא ממשלה על כל צבאותיו, (Zohar 1,126b Midrash Hane’elam)

L’on voit que même si l’identification de Jésus à Métatron est un concept très ancien, ceux qui maintenaient cette identification, contrairement aux missionnaires actuels, n’en ont pas pour autant conclus que le Messie était Dieu fait chair, mais fut simplement, avant de devenir homme, un Archange « créé » .

Les missionnaires prétendent aussi que l’idée kabbalistique de l’« Adam qadmon » démontre la divinité du Christ. A cela nous répondrons que l’ « Adam qadmon » est, dans la kabbale, l’image archétypique d’Adam, le premier homme, qui est aussi l’image de Dieu: « Comme cette image (celle d’Adam) est l’image de tout ce qui est en haut et en bas, le Saint Ancien l’a choisi comme sa propre image » בגין דהאי דיוקנא כליל עלאין ותתאין אתקין עתיקא קדישא תקונוי (Idra rabbah 127b cf Zohar 2,42b). Etant donné donc qu’« Adam qadmon » n’est qu’une « image », la totalité des qualités spirituelles que l’on retrouve aussi bien en l’homme et qu’ en Dieu, l’on ne peut pas dire à son propos qu’il est un être capable de prendre forme humaine ni affirmer, lorsqu’ un homme le revêt, que Dieu s’est fait chair, mais simplement qu’à l’instar d’Adam, une telle personne, tout en étant simplement humaine, est « à l’image » et « à la ressemblance » de Dieu.

   


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