dimanche 5 novembre 2017

Marc 7,1-23 et Matthieu 15,1-20



Yéshoua , le Kashrout et les « traditions d’hommes »

Jésus ayant purifié tous les aliments, les lois diététiques que Dieu a prescrites dans l’Ancien Testament sont aujourd’hui obsolètes. Ces propos ne sont pas les nôtres, mais celles des chrétiens qui pensent que l’on peut aujourd’hui manger du porc ou quelque autre animal considéré impur sous le régime de la loi mosaïque sans s’ « sans s’enquérir de rien par motif de conscience ». Marc 7 :19 , disent-ils,  est explicite :

« Ne comprenez-vous pas que rien [de ce qui vient] de l’extérieur,  [et] qui pénètre dans l’homme, ne peut le souiller,  puisque cela pénètre, non pas dans [son] cœur,  mais dans [ses] intestins, puis s’en va dans la fosse d’aisance ? Ainsi il déclarait purs tous les aliments »
(Marc 7 :18-19 , Traduction des Témoins de Jéhovah)

Mais il n’en est rien. Pour le comprendre, il serait tout d’ abord nécessaire de signaler que les mots « il déclarait » ne figurent pas dans les textes sources. Les autres traductions de l’évangile de Marc disent plutôt :

« Car cela n'entre pas dans son coeur,  mais dans son ventre, puis s'en va dans les lieux secrets,  qui purifient tous les aliments »  (LSG voir aussi Darby et Martin)

Notons que l’on parle ici d’ « aliments ». De même que dans la société moderne, personne ne qualifiera le plastique d’ « aliment », pour les juifs de l’époque, seuls les choses que la Torah permettait à la consommation, ce qui n’est pas le cas du porc, étaient des «  aliments ». D’ autant plus que le contexte du passage étant le lavement rituel des mains avant de manger (Matthieu 15:1-5, Marc 7:1-2), il serait tout à fait inadéquat d’y voir une allusion à l’abolition des prescriptions diététiques de la Torah. Le chapitre 15 de l’évangile de Matthieu qui rapporte le même récit est d’autant plus précis:

«  N'entendez-vous pas encore que tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre, et passe ensuite dans le lieu secret? Mais les choses qui sortent de la bouche viennent du coeur, et ces choses-là souillent l'homme. Car du coeur viennent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les injures: ce sont ces choses qui souillent l'homme; mais de manger avec des mains non lavées ne souille pas l'homme  »  (Matthieu 15:15-20)

Yéshoua n’a donc fait que répondre aux pharisiens que manger des « aliments », autrement dit de la nourriture kasher , avec des mains non lavées ne souille personne et non que les règles diététiques de la Torah  sont obsolètes .

Mais que voulait-il dire par : « rien [de ce qui vient] de l’extérieur, [et] qui pénètre dans l’homme, ne peut le souiller » ? Voici comment Rashi explique la distinction entre les animaux purs et impurs exposée dans Lévitique chapitre 11 :

« Et ceci est pour vous ce qui est impur : Toutes les affirmations ne concernent pas l’interdiction de manger, mais sont des impuretés véritables, qui rendent impur « par contact » empêchent ainsi de consommer la terouma et les offrandes, et d’entrer dans le sanctuaire »
וזה לכם הטמא: כל טומאות הללו אינן לאיסור אכילה אלא לטומאה ממש, להיות טמא במגען ונאסר לאכול תרומה וקדשים וליכנס במקדש
(Rashi sur le lévitique 11 :29)

En d’autres mots, une personne ne contracte l’impureté rituelle qu’en touchant la carcasse d’un animal impur et pas en la mangeant. Le fait d’en manger, même si c’est interdit, ne rend personne rituellement impur. Certes, quand on mange, on touche, mais l’impureté, dans ce cas, est dû au fait d’avoir touché l’animal impur et non à l’absorption de sa chair. Apparemment, le contact de la matière impure avec le système digestif, contrairement aux parties externes du corps, ne peut rendre une personne rituellement impure. De ce fait, si par exemple, du porc a été inséré dans la bouche d’une personne sans qu’elle l’ait touché, cette personne n’est pas considérée impure par la loi rabbinique. C’est ce qu’explique Rashi dans un autre endroit :

Et celui qui mange de sa charogne J’aurais pu penser qu’en manger rend impur. Mais lorsqu’il est écrit à propos du cadavre d’un oiseau pur : « Une charogne ou un animal déchiré, il ne les mangera pas pour s’en rendre impur » (infra 22, 8), c’est donc celle-ci qui rend les vêtements impurs par la consommation, mais la charogne d’un animal ne rend pas les vêtements impurs par la consommation sans qu’il y ait « transport », comme par exemple lorsqu’on en fait avaler une à quelqu’un en l’enfonçant dans la gorge. Dans ce cas, que veut dire : « et celui qui mange » ? Cela sert à fixer la mesure pour celui qui « transporte » ou qui « touche », qui est celle de la consommation, à savoir le volume d’une olive (Nidda 42b).
והאכל מנבלתה: יכול תטמאנו אכילתו, כשהוא אומר בנבלת עוף טהור נבלה וטרפה לא יאכל לטמאה בה, אותה מטמאה בגדים באכילתה, ואין נבלת בהמה מטמאה בגדים באכילתה בלא משא, כגון אם תחבה לו חבירו בבית הבליעה, אם כן מה תלמוד לומר האוכל, ליתן שיעור לנושא ולנוגע כדי אכילה והוא כזית:
(Rashi sur le lévitique 11 :40)

Yéshoua n’a donc pas enseigné quelque chose que les pharisiens ne savaient pas déjà lorsqu’ il dit que « rien [de ce qui vient] de l’extérieur, [et] qui pénètre dans l’homme, ne peut le souiller ». Il est vrai que la loi rabbinique dit aussi qu’une personne peut contracter une impureté spirituelle en mangeant des animaux impurs. Cependant, ce n’est pas littérallement la matière « impure » qui souille spirituellement la personne, mais la rebelion contre Dieu et le rejet de son autorité par la transgression consciente et volontaire du commandement divin qui prescrit de s’en abstenir. C’est ce qu’exprime en ces termes le Rabban Yohannan ben Zakkay qui était grand sage pharisien et un contemporain de Yéshoua :

« Ce n'est pas le mort qui souille et ce n'est pas l'eau qui purifie, mais la parole du Saint Béni Soit-Il qui a dit : Des ordonnances j'ai ordonné et des décrets j'ai décrété »
לא המת מטמא ולא המים מטהרים ,אלא אמר הקדוש ברוך הוא: חוקה חקקתי גזירה גזרתי
(Bamidbar Rabbah 19)

Lorsque, par la suite, Yéshoua dit en référence à la pureté du cœur que « les choses qui sortent de la bouche viennent du cœur, et ces choses-là souillent l'homme. Car du coeur viennent les mauvaises pensées, les meurtres, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les injures: ce sont ces choses qui souillent l'homme », cela est également conforme avec la philosophie rabbinique. Le Rambam, dans le même esprit, enseigne:

« La propreté des habits, le nettoyage du corps et le débarrassage de la saleté constituent également un des buts de la Torah, mais seulement après la purification des actes, et la purification du coeur des principes impurs et des attributs impurs. Il serait extrêmement mal pour quelqu'un de s'efforcer de laver son apparence extérieure en se lavant et en nettoyant ses vêtements tout en étant voluptueux et sans retenue dans les aliments et la luxure. Ceux là sont décrits par Isaïe comme (Isaïe 66:17): « Ceux qui se sanctifient et se purifient au milieu des jardins, l'un après l'autre, qui mangent de la chair de pourceau » ... Ils paraissent propres à l'extérieur mais leurs coeurs se soumettent à leurs désirs et à la jouissance corporelle, et ceci n’est pas le but de la Torah. Car le but principal [de la Torah] est de diminuer la luxure de l’homme, et de laver son apparence extérieure après qu'il ait purifié son intérieur. Ceux qui lavent leurs corps et nettoient leurs vêtements alors qu'ils restent impurs de leurs mauvaises actions et [de leurs mauvais] attributs, sont décrits par Salomon comme (Proverbes 30:11-12): La génération qui se prétend pure et qui ne s'est pas lavée de ses souillures! La génération aux yeux démesurément hautains et au regard altier! »
אשר לניקיון הבגדים ורחיצת הגוף וסילוק הלכלוכים, גם זה ממטרות התורה הזו, אבל לאחר טיהור המעשים וטיהור הלב מן ההשקפות המטמאות והמידות המטמאות אבל ההסתפקות בניקיון החיצוני, ברחיצה וטהרת הבגדים עם התאוותנות בתענוגות וההפקרות במאכלים ובתשמיש, יש בו תכלית התיעוב אמר ישעיה בכך המתקדשים והמטהרים אל הגנות אחר אחת בתוך אוכלי בשר החזיר וגו ... כי חיצוניותם נקיה מפורסמת הנקיות והטהרה, אבל פנימיותם הרי הם עם תאוותיהם ותענוגי גופותיהם. ואין זו מטרת התורה. אלא המטרה הראשונית צמצום התאוות, וניקיון החיצוניות אחר ניקיון הפנימיות. וכבר העיר שלמה על מי שעושה העיקר רחיצת הגוף וטהרת הבגדים, בעוד המעשים מטונפים והמידות רעות, ואמר, דור טהור בעיניו ומצאתו לא רחץ, דור מה רמו ועפעפיו יינשאו
    (Guide des Perplexes 3 :33)

Beaucoup voient également dans cet épisode le rejet de la tradition rabbinique par Yéshoua. La question que les pharisiens lui posèrent – « Pourquoi tes Disciples transgressent-ils la tradition des Anciens? Car ils ne lavent point leurs mains quand ils prennent leur repas » (Matthieu 15:2) –  laisse entrevoir cependant que contrairement à ses disciples,  Yéshoua s'est conformé à la tradition des Anciens puisque ses agissement ne font l'objet d'aucune critique. Marc est plus précis en rapportant que seulement « quelques-uns de ses disciples prirent leurs repas avec des mains impures, c'est-à-dire, non lavées » (Marc 7 :2). Il est à rappeler qu’à l’époque de Yéshoua, cette pratique n’a pas encore été rendue obligatoire pour tout le peuple :

« L’ablution avant de manger est facultative, l'ablution après le repas est obligatoire »
מים ראשונים רשות אחרונים חובה
              (Tossefta Bérakhoth 7 :14)

Selon le Tamud, il aura fallu attendre la deuxième moitié du premier siècle pour que la tradition du lavage des mains avant de manger soit acceptée universellement dans le judaïsme rabbinique (Talmud de Babylone Shabbath 14b - 15a).  Même si elle n’était pas observée par tous les juifs du commun du peuple, le lavage rituel des mains avant de manger semble avoir été la norme parmi les rabbins et leurs disciples, qui, comme en atteste la Tossefta, prenaient leurs repas dans un état de pureté rituelle שיהא אוכל חולין בטהרה (Tossefta Démai 2 :2). Selon Rabbi Ovadia de Bartenoura dans son commentaire sur la Mishnah Hagigah ii.7, « les perushim (pharisiens) sont ceux qui mangent leur nourriture ordinaire dans un état de pureté rituelle » פרושים - לאוכלי חוליהם בטהרת חולין. C’est également ce que dit le Rambam : « les perushim sont ceux qui mangent de la nourriture ordinaire dans un état de pureté rituelle » פרושים הם אוכלי חולין בטהרה (commentaire sur la Mishnah Hagigah ii. 7). Comme en atteste l’évangile de Marc, Yéshoua et la plupart de ses disciples étaient de ceux qui observaient cette tradition pharisienne qui, d’ailleurs, est mentionnée dans l’épître de Jacques :

« Approchez-vous de Dieu, et il s'approchera de vous; pécheurs, nettoyez vos mains; et vous qui êtes doubles de cœur, purifiez vos cœurs » (Jacques 4 :8)

Ce verset résume bien le message de Yéshoua en Matthieu 15 : 1-15 et Marc 7 :1-7 qui enseigne que la pureté rituelle doit s’accompagner de la pureté du cœur. Les Esséniens, qui étaient plus strictes, ne prenaient aucun repas sans s’être lavé tout le corps  (Flavius Josèphe, Antiquités Juives II : 8 :5). C’est ce que confirment en ces termes les manuscrits de la mer morte :

« Ils (les gens extérieurs à la communauté) n’iront pas dans les eaux pour partager les aliments purs des hommes de sainteté, car nul n’est purifié que s’il se repent de sa méchanceté, car tous ceux qui transgressent sa parole sont impurs »
אל יבוא במים לגעת בטהרת אנשי הקודש כיא לוא יטהרו כי אם שבו מרעתם כיא טמא בכול עוברי דברו
(Règle de la communauté 5 :13-14)

Contrairement aux Esséniens, Yéshoua ne se lavait cependant que les mains, conformément à la « tradition des Anciens ».
A ce stade, il serait nécessaire d’éclaircir le sens de Luc 11, 37-38 :

« Pendant que Jésus parlait, un pharisien le pria de dîner chez lui. Il entra, et se mit à table. Le pharisien vit avec étonnement qu'il ne s'était pas lavé avant le repas »

Pour certains, ceci est la preuve du rejet de la tradition pharisienne du lavement des mains par Yéshoua. Cependant, nous lisons dans la suite :

« Mais le Seigneur lui dit: Vous, pharisiens, vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et à l'intérieur vous êtes pleins de rapine et de méchanceté. Insensés! celui qui a fait le dehors n'a-t-il pas fait aussi le dedans ?   »  (Luc 11  :39-40 )

Pourquoi parler du lavage de la coupe alors qu’il est question du lavage des mains ? Le Talmud nous apprend que les pharisiens eux-mêmes étaient divisés quant à la question de quoi laver en premier. Pour Shammai, qui était d’avis qu’une coupe dont l’extérieur était sale rendait impure le liquide qu’elle contenait, c’était l’extérieur qu’il fallait nettoyer premièrement tandis que pour Hillel, qui pensait que l’état extérieur de la coupe n’était d’aucune conséquence sur la pureté du liquide qui s’y trouve, c’était l’intérieur qu’il fallait laver en premier (Talmud de Babylone, Bérakhot 52a-b). Ce désaccord avait des conséquences pratiques. La Mishnah (Bérakhot 8 :2) nous apprend les pharisiens de Shammai étaient d’avis que pour ne pas rendre le vin impur,  il fallait nettoyer ses mains  avant de toucher la coupe et verser le vin. Pour les pharisiens d’ Hillel, qui pensaient que la saleté externe de la coupe ne souillait pas le vin qui s’y trouvait, il fallait d’ abord verser le vin avant de se laver les mains. 

L’on comprend ainsi que Yéshoua, qui s’est conformé à la pratique d’ Hillel, s’est bien lavé les mains, mais seulement durant le repas, après que le vin a été servi. Son hôte, qui était de ceux qui se lavaient les mains avant de servir le vin, donc « avant le repas », suivait l’interprétation Shammaienne. La controverse ne portant pas sur la validité de la tradition du lavage des mains, mais sur le débat qui opposait Hillel et Shammai , l’on comprend mieux pourquoi il est fait mention par la suite du lavage de la coupe qui, à première vue, semblait totalement être étrangère au contexte.  Notons que dans le parralèle thomacien de cet épisode, Yéshoua parle avec un ton moins aggressif et ne prononce pas la formule «  vous, pharisiens » qui semble avoir été rajoutée tardivement à la tradition évangélique :

« Pourquoi lavez-vous le dehors de la coupe et ne pensez-vous pas que celui qui a fait l'intérieur, c'est lui aussi qui a fait l'extérieur ? » (Thomas, logion 89)

Lorsque Yéshoua condamne dans le reste du chapitre 7 de Marc et du chapitre 15 de Matthieu les « traditions d’hommes », il ne s’agit pas, comme on l’entend dans les milieux chrétiens, de la Torah orale ou de la tradition rabbinique.  Pour savoir de quoi il est question, il faut revenir à ce que dit le texte :

« Jésus leur répondit : Hypocrites, Esaïe a bien prophétisé sur vous, ainsi qu'il est écrit: Ce peuple m'honore des lèvres, Mais son coeur est éloigné de moi. C'est en vain qu'ils m'honorent, En donnant des préceptes qui sont des commandements d'hommes. Vous abandonnez le commandement de Dieu, et vous observez la tradition des hommes. Il leur dit encore: Vous anéantissez fort bien le commandement de Dieu, pour garder votre tradition. Car Moïse a dit: Honore ton père et ta mère; et: Celui qui maudira son père ou sa mère sera puni de mort. Mais vous, vous dites: Si un homme dit à son père ou à sa mère: Ce dont j'aurais pu t'assister est corban, c'est-à-dire, une offrande à Dieu, vous ne le laissez plus rien faire pour son père ou pour sa mère, annulant ainsi la parole de Dieu par votre tradition, que vous avez établie. Et vous faites beaucoup d'autres choses semblables » (Marc 7 :6-9 , LSG = Matthieu 15 :3-9)

Nous lisons cependant dans l’une des versions Araméennes de Marc :

« Et Yéshoua leur dit: Esaïe a bien prophétisé sur vous, comme c’est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est éloigné de moi.  Et c’est en vain qu’ils me craignent, en enseignant des commandements d’hommes.  Vous abandonnez bien le commandement d’Eloha (Dieu) pour établir vos propres commandements. Car Moïse a dit : Honore ton père et ta mère et : celui qui maudira son père ou sa mère mourra. Et vous vous dites que si (quelqu’un) dit à son père ou sa mère : Ce dont j’aurais put t’assister est qorban, vous ne le laissez pas honorez son père ou sa mère, et vous rejettez la parole de Dieu pour votre commandement. Et vous faites d’autres choses semblables. »
אמר להון ישוע שפיר אתנבי עליכון אשעיא נביא איכנא דכתיב דאמר הוא דעמא הנא בספותה מיקר לי בלבה דין רחיק מני
סריקאית דין דחלין לי דמלפין יולפנא דפּוקדנא דבני אנשא
שפּיר עבדין אנתון דשבקין אנתון פוקדנא דאלהא דתקימון פּוקדניכון
מושא גיר אמר דיקר אבוך ואמך ומן דמשחא לאבוהי ולאמה ממת נמות
אנתון דין אמרין אנתון דאן נאמר לאבוהי ולאמה קורבן דתתהנא מני
ולא שבקין אנתון לה דניקר לאבוהי או לאמה
ומסלין אנתון מלתא דאלהא מטל פוקדניכון וסגיאתא איך הלין עבדין אנתון
(Marc 7 :6-9 , syriaque sinaïtique)

Contrairement à ce que l’on peut lire dans le texte grec, dans cette version, Yéshoua ne traite personne d’ « hypocrite ». De plus, il n’est pas précisé ici, comme dans certains textes grecs, que les « traditions d’hommes » qui annulent la parole de Dieu sont les ablutions qu’effectuent les Juifs. Le texte syriaque ne parle même pas de « tradition », mais plutôt de « commandements ». Il en est de même dans les versions syriaques (curétonien et sinaïtique) du parralèle matthéen où Yéshoua ne dit pas « vos traditions », mais «  vos commandements » פוקדניכון. Un manuscrit hébreu de Matthieu (Dutillet) contient également, au lieu de « tradition », le terme « décret » גזרה.

Quoi qu’il en soit, les textes disent que ce que Yéshoua condamne ne sont pas les prescriptions rabbiniques comme le lavement des mains, qu’il a lui-même observé, mais le fait de prétendre ne plus pouvoir intervenir après qu’un homme ait fait le vœu de consacrer la totalité de ses biens à Dieu afin d’éviter d’honorer ses parents, c'est-à-dire de les assister materiellement (Marc 7:10-13, Matthieu 15:4-9). Le Talmud de Jérusalem enseigne cependant en harmonie avec les évangiles :

« Qu'en est-il si un fils [prête serment] en ces mots : « toute assistance financière venant de moi est interdite à mon père »,  Rabbi Ya'aqov bar Aḥa et Rabbi Shmouel bar Nahman dirent au nom de Rabbi Yonatan: nous obligeons le fils à assister le père »
מה אנן קיימין אם באומ' הנייתי על אבא הדא היא דמר רבי יעקב בר אחא רבי שמואל בר נחמן בשם ר' יונתן כופין את הבן שיזון את האב
(Talmud de Jérusalem Nédarim 29b)

Pour reprendre l’explication fournie par l’encyclopédie juive : «  Le terme qorban était fréquemment utilisé dans les vœux. En disant, « que ma propriété soit qorban » – c'est-à-dire un don consacré à Dieu – un homme  pouvait empêcher un autre de tirer bénéfice de ce qu’il possédait (Néd. i.4). Ceci, bien entendu, à conduit à d’importants abus comme à vrai dire tout vœu inconsidéré et, ainsi,  les sages y étaient fermement opposés (voir Ecc. v.1-5). Jésus s’est référé à ce genre de vœu lorsqu’il dit : « Si un homme dit à son père ou à sa mère: Ce dont j'aurais pu t'assister est corban, c'est-à-dire, une offrande à Dieu, vous ne le laissez plus rien faire pour son père ou pour sa mère, annulant ainsi la parole de Dieu par votre tradition » (Grec). Mais la charge de l’hypocrisie et du service des lèvres, dirigés à ce sujet contre les Pharisiens est entièrement infondée ; puisque la tradition pharisienne a en réalité fourni un remède contre les vœux inconsidérés en habilitant tout sage consulté de dissoudre le vœu dans le cas où il est démontré que le vœu n’a pas été fait en prenant pleinement toutes ses conséquences en considération ; le pouvoir même de « lier et délier » étant déclaré être le privilège des Rabbins , [pouvoir] dérivé de l’esprit de la loi tout en étant apparemment contraire à la lettre (« hetter nedarim » ; Hag. i.8). Il est déclaré expressément  par Rabbi Eliezer que si un vœu contrevient à l’honneur dû au père ou à la mère, la bonne procédure est de convaincre celui qui a fait le vœu qu’il n’a pas suffisamment considéré les conséquences, et ensuite de dissoudre le vœu ; d’autres, cependant, s’y opposaient en soutenant que l’honneur de Dieu doit être considéré en premier (Ned. ix.1). Contre cela, Rabbi Méïr déclare (Ned. ix.4) qu’ à chaque fois qu’un vœu enfreint les lois de l’humanité, le vœu doit être dissolu par le sage. Ainsi, le code mishnique montre que le cas cité par le Nouveau Testament est, au lieu d’un reproche à l’encontre du pharisianisme, comme le prétend Oort dans le "Theol. Tijdschrift," xxxviii. , la défense de l’esprit compatissant prévalant parmi les rabbins ;  Jésus ayant probablement eu seulement la classe rigoureuse des enseignants à l’esprit tandis qu’il partageait avec d’autres ses points de vue compatissants »  (« Korban » Jewish encyclopedia)

Yéshoua, en condamnant les pratiques qui annulent la parole de Dieu,  n’a ainsi pas critiqué tout le rabbinisme, puisqu’il était d’accord avec les rabbins modérés, mais seulement les interprétations de certains groupes de l’époque. Notons que l’expression « vous annulez la parole de Dieu par votre tradition, que vous avez établie », ou plutôt  « vous abandonnez le commandement de Dieu pour établir vos propres commandements  »  (version syriaque)  se retrouve dans le Talmud  de Babylone qui enseigne que Jérusalem n’a été détruite que « parce qu’ils  ont établis leurs propres lois au dessus des lois de la Torah » העמידו דינהם על דין תורה (Baba métsia 30b).

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