L’on prétend souvent que le sermon sur la
montagne est l’expression nouvelle loi promulguée par le Christ, dont les
commandements nouveaux sont introduits par l’expression « Je vous
dit », et qui est venu abroger l’ancienne loi donnée au Sinaï, le « vous
avez entendu dire ». Une telle interprétation , toutefois , ne prend
pas en considération le fait que Yéshoua lui-même , dans son discours , a
déclaré n’être pas venu pour abolir la loi de Moïse dont « un seul iota
ou un seul trait de lettre » , dit-il , « ne disparaîtra
pas tant que le ciel et la terre ne passeront point » (Matthieu
5 :17-20).
Le « vous avez entendu dire … mais je vous
dis » s'inspire en réalité de la manière de s’exprimer des sages
pharisiens. Selon l’usage d’une expression semblable dans la littérature
rabbinique, le verbe « entendre » (shama’), utilisé dans le
sens de « comprendre », sert à introduire une interprétation
erronée de la Torah, et « dire » (amar) sert à
introduire l’interprétation exacte, comme l’illustrent ces extraits de la
Mékhlita :
« Et l'Eternel descendit sur la montagne
de Sinai, sur le sommet de la montagne, et l'Eternel appela Moise au sommet
de la montagne; et Moise monta. (Exode 19 :20) - Je
pourrais l’entendre (shama’) littéralement, mais tu dois dire
(amar) que si le soleil, l’un des nombreux serviteurs de Dieu, peut rester en
son lieu tout en radiant en dehors, combien plus cela devrait-ii être le cas
de la Gloire de celui qui a parlé et le monde fût »
|
וירד יי על הר סיני אל ראש ההר, ויקרא יי למשה אל ראש ההר, ויעל משה. שומע
אני, כשמועו.אמרת, ומה אחד משמש שמשין, הרי הוא בא במקומו ושלא במקומו, קל וחמר
לכבודו שלמי שאמר והיה העולם
|
(Mékhilta de Rabbi Yishmael -
Ba'hodesh 9)
« D’Israël – je pourrais entendre
(shama’) : il sera retranché d’Israël, mais il pourra vivre parmi un
autre peuple. Mais il y a un enseignement qui dit (talmoud
lomar) : « de devant Moi ; Je suis l’Eternel » (Exode
22 :3) –En tout lieu où se trouve mon pouvoir »
|
מישראל. שומע אני, תכרת מישראל ותלך לה לעם אחר? תלמד לומר: מלפני,
אני, בכל מקום שהוא רשותי.
|
(Mékhilta deRabbi Yishmael –
massekhta dépis’ha, bo parashah alef)
L’on comprend ainsi que lorsque Yéshoua utilise
l’expression « vous avez entendu dire … mais je vous dit »,
son intention n’était pas de remplacer l’ « ancienne » loi par
son enseignement mais de rectifier la compréhension erronée ou incomplète de la
Torah qu’ont pu avoir ses contemporains en donnant le sens véritable. En
d’autres termes, le « vous avez entendu dire […] mais je vous
dit » signifie non pas « la Torah dit mais moi je dis autre
chose » , mais plutôt « vous avec compris la Torah en ce sens,
mais voici en réalité ce que veut dire la Torah ». Il est notable que
lorsque Yéshoua donne le sens véritable de la loi en l’introduisant par
l’expression « je vous dit », il ne fait que répéter
l’interprétation pharisienne du texte écrit. Autrement dit, Yéshoua explique la
loi orale à la foule.
Ainsi, par exemple, quand Yéshoua déclare : « vous
avez appris qu'il a été dit : Tu ne commettras point d'adultère. Mais moi, je
vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un
adultère avec elle dans son cœur », il rectifie la compréhension
vulgaire selon laquelle seul l’adultère physique est prohibé en réaffirmant
l’enseignement oral des sages pour lesquels « celui qui commet un
adultère avec ses yeux est appelé adultère » נואף בעיניו נקרא
נואף (Midrash
Vayikra Rabbah 23 :12)
De même, lorsqu’ en Matthieu 5 :33-34, Yéshoua
déclare : « Vous avez encore entendu qu'il a été dit aux anciens:
Tu ne te parjureras point, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de ce que
tu as déclaré par serment. Mais moi, je vous dis de ne jurer aucunement »,
son intention était de réfuter l’interprétation voulant que les vœux ne sont
pas contraire à la volonté de Dieu car règlementés dans la Torah, par
l’enseignement des sages qui expliquent :
« On nous a ordonné de ne pas
prêter serment, comme il est dit : Si tu t'abstiens de faire un voeu, tu ne
commettras pas un péché (Deutéronome 23:23). L'interprétation de ce verset
faite par nos Sages est que si tu prêtes serment, tu commets un péché. Car le
serment est une pierre d'achoppement pour celui qui le prête, car ce dernier
risque de rompre sa promesse ou de tarder à l'accomplir »
|
נצטוינו שלא לנדור נדרים שנאמר וכי תחדל לנדור לא יהיה בך חטא. ורבותינו
דרשו מזה שאם תדור יהיה בך חטא. כי הגדר מכשול לפני הנודר פן יחל דברו או יאחר
לשלם
|
(Sha’aréi Téshouvah 3 :14)
Il en va de même en Matthieu 5 :31 lorsqu’il
reprend l’enseignement de l’école pharisienne de Shammai selon laquelle
l’adultère est le seul motif valable pour un homme de répudier sa femme (Talmud
de Babylone Gittin 90a)
Dans son sermon, il en profite aussi pour réfuter les
interprétations des autres mouvances juives de l’époque. Par exemple, lorsqu’
il dit en Matthieu 5,38-39 : « Vous avez appris qu'il a été dit:
oeil pour oeil, et dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne pas résister au
méchant. Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi
l'autre », il ne faut pas entendre ces affirmations comme voulant dire
que Yéshoua s’oppose à la loi du talion. De même que dans le texte de la
Mékhilta ba'hodesh que l’on vient de citer, dans lequel les expressions « entendre »
et « dire » servent à mettre en contraste l’interprétation
littérale et erronée d’Exode 19 :20 avec la véritable signification selon
laquelle Dieu n’est pas littéralement descendu sur le Sinaï , Yéshoua réfute
ici l’ inteprétation littérale de la loi du talion que faisaient les sadducéens
et les boéthussiens qui , selon la Méguilath Ta’anith , enseignaient que « si
un homme a assommé la dent de son prochain que sa dent soit aussi assommée,
s’il a aveuglé l’oeil de son prochain, que son oeil soit aussi aveuglé »
הפיל אדשן חברו יפיל את שנו סמא עין חברו יסמא את עינו .Les sages pharisiens, pour qui la loi
n’encourage pas la vengeance et qui , comme Yéshoua , louent ceux qui « ceux
qui sont humiliés et n’humilient pas, ceux qui sont insultés et ne
répondent pas » (Talmud de Babylone Shabbath 88b), ont reçu de la
tradition de Moïse que la loi du talion ne signifie nullement « tu m’as
crevé l’œil , donc je te crève l’œil », mais consiste plutôt en une
compensation financière que le fautif offre à l’offensé en réparation au
dommage causé (Talmud de Babylone Bava Qamma 84a-b, Rambam Hilkhoth Hovel
Oumazik 1 :3-6)
Lorsqu’ il dit de ne pas se mettre en colère (Matthieu
5 :21-22 ), il établit, conformément à la tradition pharisienne (Mishnah
Avot 1 :1), une « barrière » autour du commandement « tu
ne tueras point ». En effet, c’est la colère qui conduit au meurtre.
En prescrivant de ne pas se mettre en colère, Yéshoua établit donc une
« barrière autour de la Torah ». Lorsqu’il enseigne que
« quiconque se met en colère contre son frère mérite d’être puni par les
juges; que celui qui dira à son frère: « Raca! » mérite d’être puni
par le sanhédrin; et que celui qui lui dira: « Insensé! » mérite
d’être puni par le feu de la géhenne » (Matthieu 5 :22), ses
propos sont en accord avec l’enseignement des sages :
« Celui qui appellera son prochain
« rasha » (méchant) sera jeté dans le guéhinom »
|
כל מאן דקרי לחבריה רשע, נחתין ליה לגיהנם
|
(Zohar Shémot 122a)
« Celui qui fait honte à son
prochain en public n’a pas de part au monde à venir »
|
והמלבין פני חברו ברבים אין לו חלק לעולם הבא
|
(Mishnah Avot 3 :11)
« Il a été enseigné : si
quelqu’un appelle son prochain « ‘eved » (esclave), qu’il soit
excommunié, « mamzer » (bâtard) qu’il recoive quarante
coups de fouets »
|
הקורא לחביריו עבד יהא בנידוי ממזר סופג את הארבעים
|
(Talmud de Babylone Qiddoushin 28)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire