lundi 28 octobre 2019

Ni à droite ni à gauche (Deut 17:11)

Comment comprendre l’injonction de faire « tout ce que disent  » les Sages (Mat 23:3)  ? Cela signifie-t-il qu’il faut leur obéir même lorsqu’ils contredisent la Torah ?

Penchons-nous, pour répondre à cette question, sur ce qu’enseigne la tradition pharisienne au sujet de l’autorité rabbinique.  L’on peut lire dans la Mishnah :

 הורו בית דין לעקור את כל הגוף--אמרו אין נידה בתורה, אין שבת בתורה, אין עבודה זרה בתורה--הרי אלו פטורין; הורו לבטל מקצת ולקיים מקצת, הרי אלו חייבין.  כיצד:  אמרו יש נידה בתורה, אבל הבא על שומרת יום כנגד יום פטור, יש שבת בתורה, אבל המוציא מרשות היחיד לרשות הרבים פטור, יש עבודה זרה בתורה, אבל המשתחווה פטור--הרי אלו חייבין:  שנאמר "ונעלם דבר, מעיני הקהל" (ויקרא ד,יג)--"דבר", ולא כל הגוף.

« Si le Tribunal a prescrit de déraciner l’entièreté du corps [du commandement] et dit [par exemple]  qu’il  n’existe pas de prohibition de la Niddah dans la Torah, que le commandement d’observer le Shabbath n’existe pas dans la Torah ou que la Torah n’interdit pas l’idolâtrie, ils sont exemptés  [du sacrifice].  Si les Anciens du Tribunal ont décidé d’abolir une partie et d’accomplir une partie, ils  sont obligés [d’apporter le sacrifice prescrit par la Torah]. Comment ? S’ils disent par exemple que l’interdit de la Niddah existe dans la Torah mais que celui qui a une relation avec une femme qui observe [un jour d’abstinence] qui correspond au jour [où elle a eu un écoulement de sang après sa purification menstruelle] est absout, ou  que  l’idolâtrie est interdite, mais que celui qui se prosterne devant une idole est absout ou encore que  le Shabbath est prescrit par la Torah mais celui qui transporte un objet du domaine privé au domaine public est absout, ils sont  obligés [d’apporter] le sacrifice comme il est dit : « Que la chose n'a pas été aperçue » (Lévitique 4 :13) – une chose et non l’entièreté du corps [du commandement] »  (Mishnah Horayoth 1:3)

Le texte auquel se réfère la Mishnah est le verset du Lévitique 4 :13 en lequel nous retrouvons :

ואם כל־עדת ישראל ישגו ונעלם דבר מעיני הקהל ועשו אחת מכל־מצות יהוה אשר לא־תעשינה ואשמו׃ ונודעה החטאת אשר חטאו עליה והקריבו הקהל פר בן־בקר לחטאת והביאו אתו לפני אהל מועד

« Et si toute l’assemblée d’Israël a péché par erreur, et que la chose n’ait pas été aperçue par l’assemblée, et qu’ils aient violé quelque commandement de l’Eternel, en commettant des choses qui ne se doivent point faire, et se soient rendus coupables; Et que le péché qu’ils ont fait vienne en évidence, l’assemblée offrira en offrande pour le péché un veau pris du troupeau, et on l’amènera devant le Tabernacle d’assignation. Les anciens d’Israël poseront leurs mains sur la tête du taureau devant l’Eternel, et on égorgera le taureau devant l’Eternel. »

En somme, si  le Sanhédrin « déracine », c’est à dire, annule,  un commandement, ses membres sont exempts du sacrifice prescrit à cet effet par la Torah,  dès lors que la Loi ne prévoit aucun rituel d’expiation pour un péché aussi grave. C’est uniquement dans le cas d’une interprétation erronée d’un commandement qu’ils sont tenus d’apporter le sacrifice afin d’expier leur faute.  Dans l’un ou l’autre de ces deux cas, la Mishnah prescrit la désobéissance :

הורו בית דין לעבור על אחת מכל מצות האמורות בתורה והלך היחיד ועשה שוגג על פיהם -- בין שעשו ועשה עמהן, בין שעשו ועשה אחריהן, בין שלא עשו ועשה -- פטור, מפני שתלה בבית דין. הורו בית דין וידע אחד מהן שטעו או תלמיד והוא ראוי להוראה והלך ועשה על פיהן -- בין שעשו ועשה עמהן, בין שעשו ועשה אחריהן, בין שלא עשו ועשה -- הרי זה חייב מפני שלא תלה בבית דין

« Si le Tribunal a pris la décision de violer l’un des commandements énoncés dans la Torah, et si un individu fauta conformément à leur décision, qu’ils aient agis et qu’il ait agi avec eux, qu’ils aient agis et qu’il ait agi après eux, ou qu’ils n’aient pas agis et qu’il ait agit, il est exempté (d’apporter son propre sacrifice) car il dépendait du Tribunal (et donc sa faute est couverte par le sacrifice qu’apporte le Tribunal). Si toutefois, le Tribunal a rendu une telle décision et que l’un d’entre eux ou un disciple qui est capable de décider savait qu’ils se sont trompés et qu’il a ensuite agi conformément à leur décision, qu’ils aient agis et qu’il ait agi avec eux , qu’ils aient agis et qu’il ait agi après eux, ou qu’ils n’aient pas agis et qu’il ait agit, il est obligé (d’apporter son propre sacrifice) car il ne dépendait pas du Tribunal »  (Mishnah Horayoth 1,1)

Relevons également dans le Talmud de Jérusalem:

יכול אם יאמרו לך על ימין שהיא שמאל ועל שמאל שהיא ימין תשמע להם ת"ל ללכת ימין ושמאל שיאמרו לך על ימין שהוא ימין ועל שמאל שהוא שמאל

« Est-il possible que s’ils te disent que ta droite est ta gauche et que ta gauche est ta droite, tu devrais encore les écouter ? L’écriture enseigne que tu ne dois marcher à droite ou à gauche que quand ce qu’ils te disent être la droite est la droite et que la gauche est gauche » (Yéroushalmi Horayoth 2b)

Le Talmud de Babylone, traité Horayoth 2b, rejoint l’avis de la Mishnah et du Talmud de Jérusalem, et  dit de l’individu qui pense qu’il a à obéir au Sanhédrin même lorsque celui-ci contredit la Loi qu’il commet en cela une erreur טעי במצוה לשמוע דברי חכמי. D’où, d’après le Talmud, l’obligation pour un tel individu d’apporter un sacrifice individuel afin d’expier sa faute.

Le Sifri enseigne toutefois :

אפילו מראים בעינך על שמאל שהוא ימין ועל ימין שהוא שמאל שמע להם

« Et tu ne dévieras ni à gauche ni à droite - Même s'il apparaît à tes yeux que la gauche est la droite ou que la droite est la gauche, écoutes-les » (Sifri Devarim 152)

Comment expliquer cela ? Il n’y a, en réalité, aucune contradiction quand on sait que le passage du Deutéronome 17:9-11, que commente présentement le Sifri, n’évoque que les « affaires trop difficiles à juger » » et qui relèvent de la juridiction des « Prêtres, des Lévites et du Juge qu’il y aura à cette époque »,  en d'autres mots, la détermination de la Halakhah dans les circonstances sans précédentes qui n’ont pas été abordées dans la Torah Orale et où décider de l'application de la Loi revient au Sanhédrin :

אם שמעו אמרו להם ואם לאו אלו ואלו באין ללשכת הגזית ששם יושבין מתמיד של שחר עד תמיד של בין הערבים ובשבתות ובימים טובים יושבין בחיל נשאלה שאלה בפניהם אם שמעו אמרו להם ואם לאו עומדין למנין רבו המטמאים טמאו רבו המטהרין טהרו

« S'ils ont reçu une tradition, ils la leur communiquaient, sinon, ils venaient dans la chambre des pierres taillées où les anciens du Sanhédrin siégeaient depuis le sacrifice du tamid du matin jusqu’au sacrifice du tamid du soir – pendant le Shabbath et les fêtes, ils siégeaient dans le ‘hel.  La question était alors posée aux anciens du Sanhédrin. Si ceux-ci ont reçu une tradition, ils la leur communiquaient, sinon, ils procédaient à un vote. Si la majorité déclarait  impur, le Sanhédrin déclarait  impur. Si la majorité déclaraient pur, le Sanhédrin déclarait pur » (Talmud de Babylone, Sanhédrin 88b)

C’est à ce domaine précis, où décider de la droite et de la gauche  revient aux  Sages du  Sanhédrin, que le Sifri se réfère lorsqu’il y est stipulé que l’on  doit se plier à leurs décisions quand bien même celles-ci nous paraissent contraires à la raison humaine, laquelle doit s’annuler devant la Torah sur laquelle se fonde la décision du Grand Tribunal, ou lorsque l’on estime qu’il existe une autre manière toute aussi légitime de trancher la Halakhah ; la décision revenant entièrement au Sanhédrin.

Le Talmud de Jérusalem, par contre, se réfère aux cas où la décision du Tribunal annule la Torah ou est fondée sur une compréhension erronée du commandement à appliquer dans le cas inédit. En de telles circonstances, la désobéissance est un devoir dès lors que la tradition rabbinique n’accorde à aucun homme le pouvoir d’annuler ou de changer les préceptes mosaïques en leur donnant une signification autre que ce qui a été stipulé dans la Loi Orale, laquelle n’est pas sujette à la juridiction du Sanhédrin (Talmud de Jérusalem Méguilah 1:7, Talmud de Babylone Yoma 80a, Shir Ha-shirim Rabbah 5:12). Le Talmud de Babylone rapporte à ce propos au nom de Rav Kahana :

אמר רב כהנא הוא אומר מפי השמועה והן אומרין מפי השמועה אינו נהרג הוא אומר כך הוא בעיני והן אומרין כך הוא בעינינו אינו נהרג וכל שכן הוא אומר מפי השמועה והן אומרין כך הוא בעינינו אינו נהרג עד שיאמר כך הוא בעיני והן אומרים מפי השמועה תדע שהרי לא הרגו את עקביא בן מהללאל

« S’il déclare : « selon la tradition », et qu’ils  disent la même chose, il n’est pas exécuté ; s’il déclare « il me semble qu’il en est ainsi » et qu’ils disent «  il nous semble qu’il est ainsi », il n’est pas exécuté. A fortiori quand il dit : « selon la tradition » et qu’eux ils disent «  il nous semble qu’il en est ainsi » ! Il est exécuté seulement quand il déclare « Il me semble qu’il est ainsi » et que eux ils disent « selon la tradition ». La preuve en est que `Aqavia ben Mahalalel n’a pas été exécuté » (Talmud de Babylone, Sanhédrin 88a)

En un mot, en cas de désaccord sur le sens d’un commandement, la dispute ne peut être tranchée que par  l’autorité de la seule tradition, c’est à dire la Loi Orale.  Rabbi Ele`azar,  lequel considère l’honneur du Tribunal et l’unité religieuse d’Israël comme plus importants que la vérité torahique, ne partage pas cet avis. Il déclare en effet :

אפילו הוא אומר מפי השמועה והן אומרין כך הוא בעינינו נהרג כדי שלא ירבו מחלוקות בישראל ואם תאמר מפני מה לא הרגו את עקביא בן מהללאל מפני שלא הורה הלכה למעשה

« Même lorsqu’ il dit : " Selon la tradition " et que eux ils disent " Il nous semble qu’il en est ainsi ", il doit être exécuté afin que les controverses ne multiplient pas en Israël. Et si tu dis : Pourquoi `Aqavia ben Mahalalel n’a pas été exécuté ? Car il n’a pas donné de guidance pratique » (ibid.)

A quoi Rav Kahana rétorqua :

תנן כך דרשתי וכך דרשו חבירי כך למדתי וכך למדו חבירי מאי לאו דהוא אמר מפי השמועה והם אומרין כך הוא בעינינו לא הוא אומר כך הוא בעיני והם אומרים מפי   השמועה

« Nous avons appris: « Il (celui qui désobéit au Sanhédrin, après qu'une décision a été tranchée ) dit : J’ai expliqué de telle manière et mes collègues ont expliqué de telle manière, j’ai enseigné de telle manière et mes collègues ont  enseigné de telle manière » (Mishnah Sanhedrin 11:2). Est-ce que cela ne signifie pas qu’il a dit : « Selon la tradition » et qu’ils dirent : « Il nous semble qu’il en est ainsi »? Non.  Cela signifie qu’il a dit : « Il me semble qu’il en est ainsi » et qu’ils dirent : « Selon la tradition » » (ibid.)

En d’autres termes,  la Torah ne condamne que l'individu qui maintient une opinion contraire à la Tradition.  Rabbi Ele`azar répond :

 ת"ש דאמר רבי יאשיה שלשה דברים סח לי זעירא מאנשי ירושלים בעל שמחל על קינויו קינויו מחול בן סורר ומורה שרצו אביו ואמו למחול לו מוחלין לו זקן ממרא שרצו בית דינו למחול לו מוחלין לו וכשבאתי אצל חבירי שבדרום על שנים הודו לי על זקן ממרא לא הודו לי כדי שלא ירבו מחלוקת בישראל תיובתא

« Viens et écoute : « Rabbi Yoshi`ah dit :  Zé`ira, l’un des hommes de Jérusalem, m’a dit : Si le mari a renoncé à ses avertissements, ceux-ci sont nuls, si le père et la mère voulurent pardonner au fils indocile et rebelle , ils peuvent le faire et le Tribunal peut pardonner à un ancien rebelle, si ses membres le veulent.  Mais lorsque je suis venu vers mes collèges du sud, ils étaient d’accord au sujet des deux premiers cas cités, mais pas  au sujet de l’ancien rebelle, afin que les controverses ne se multiplient pas en Israël ». Tiouvta ([Voilà] une réfutation) » (ibid.)

Maïmonide, qui s’est apparemment fondé sur la dernière phrase («tiouvta»), codifia la Halakhah conformément à l’opinion de rabbi Ele`azar. Voici ce qu’il dit dans sa « Mishneh Torah » :

אפילו היה הוא אומר מפי הקבלה, ואמר כך קיבלתי מרבותיי, והן אומרים כך נראה בעינינו, שהדין נותן--הואיל וחלק עליהן בדבר, או עשה או הורה לעשות--הרי זה חייב מיתה.  ואין צריך לומר, אם היו הם מורים מפי הקבלה

 « Puisqu’il divergea d’eux sur un point, en agissant ou en prescrivant d’agir, il est passible de mort même lorsqu’il dit « selon la Tradition » et déclare: « Ainsi j’ai reçu de mes maîtres », et que les Sages du Tribunal disent : « Il nous semble qu’il en est ainsi ». Il est inutile d’insister sur le fait que cela s’applique aussi si c’est eux qui dirent : « Selon la Tradition » » (Mishneh Torah, Hilkhoth Mamrim 4 :1)

Considérons cependant ces mots de l’Encyclopédie talmudique :

שנאמר "תיובתא דפלוני תיובתא" אין הלכה כאותו פלוני, והיא מבטלת ההלכה בראיה ברורה ובטלו דבריו של מי שהתיובתא עליו לגמרי ואין עושים כמותו, מלבד במקום שהתלמוד עצמו מתרץ את התיובתא [עי’ ב"ק טו ב וסנהדרין כז א. ועי’ שבת כ ב ומהרש"א שם וגיטין כח א וזבחים פה א שיש איבעית אימא אחר תיובתא.  ופוסקים הלכה כמותו

« Lorsqu’il est dit que «  la réfutation de tel ou tel est une réfutation » (tiouvta dé-ploni tiouvta), cela veut dire que la Halakhah ne suit pas l’avis de cette personne […] sauf dans les endroits où le Talmud réfute la réfutation  [...] auquel cas la Halakhah est fixée selon son avis »  ( Encyclopédie talmudique volume 9 , page 7 )

Il peut aussi être lu dans le Séfer Kéritout :

לפעמים מקשה התם מקשן תיובתא לפי סברתו ואינו כן אבל גבי תיובתא דפלוני תיובתא אין הלכה כל עיקר

« Parfois, le contradicteur émet ce qu’il estime être une réfutation sans que cela soit le cas. Lorsque, cependant, il est dit « la réfutation d’un tel est une réfutation », son avis est rejeté par la Halakhah »  (Séfer Kéritout 5 :3 :68)

Dans la sougya qui nous occupe, non seulement est-il simplement dit תיובתא  « tiouvta », ce qui suppose qu’il ne s’agit pas d’une déclaration du Talmud, mais d’une affirmation de Rabbi Ele`azar, lequel estime que la preuve qu’il a avancé réfute l’avis de Rav Kahana, mais la « tiouvta » est immédiatement contredite par le Talmud qui poursuit en reprenant une Barayta qui relate comment, contrairement à ce qu’a dit Rabbi Ele`azar, les «controverses se sont multipliées en Israël » à l’époque du deuxième Temple   :

תניא אמר רבי יוסי מתחילה לא היו מרבין מחלוקת בישראל וכו׳ משרבו תלמידי שמאי והלל שלא שמשו כל צרכן רבו מחלוקת בישראל ונעשית תורה כשתי תורות

« Il a été enseigné : Rabbi Yossé dit : A l’origine, il n’y avait pas beaucoup de controverses en Israël [...] Après que les disciples de Shammay et de Hillel, qui n’avaient pas suffisamment étudié auprès de leurs maîtres, furent devenus nombreux, les controverses se multiplièrent en Israël, et la Torah est devenue comme deux torot »

Il est à noter qu’ Hillel, selon le Talmud,  a vécu une centaine d’années avant la destruction du Temple  (Shabbath 15a). Le Sanhédrin siégeait donc encore au mont du Temple quand les «dissensions se multiplièrent » et que « la Torah est devenue comme deux toroth ». La négligence des disciples d’Hillel et de Shammay entraîna apparemment une erreur dans la transmission de la Loi Orale au point que des traditions divergentes sont apparues. En conséquence, chaque camp pouvait, lors des disputes portant sur le sens des commandements, se prévaloir d’avoir la tradition de son côté et n’être ainsi pas tenu d’accepter l’opinion du camp adverse, quand bien même celui-ci représenterait la majorité au sein du Sanhédrin. La Halakhah est ainsi clairement comme l’a énoncé Rav Kahana. Le Talmud de Jérusalem, qui reprend la même tradition, ira jusqu’à qualifier les écoles de Shammay et d’Hillel de « deux sectes » dans le traité Hagigah dont reprenons ci-après le passage :

בראשונה לא הייתה מחלוקת בישראל אלא  על הסמיכה בלבד, ועמדו שמאי והלל ועשו אותן ארבע. משרבו תלמידי בית שמאי ותלמידי בית הלל,  ולא שימשו את רביהן כל צורכן, ורבו המחלוקות בישראל, ונחלקו לשתי כיתות. אלו מטמאין ואלו מטהרין, ועוד אינה עתידה לחזור למקומה עד שיבוא בן דוד

« Au début, il n’y avait pas de controverses en Israël, sauf au sujet de l’imposition des mains. Shammay et Hillel en engendrèrent quatre. Et lorsque les disciples de Shammay et d’Hillel, qui n’ont pas étudié comme il se doit auprès de leurs maîtres, se multiplièrent, les controverses se multiplièrent aussi en Israël et ils se divisèrent en deux sectes. Les uns déclaraient purs et les autres déclaraient impurs. Les choses ne seront rétablies qu’à l’avènement du fils de David » (Yéroushalmi Hagigah 10:2)

L’on remarquera avec intérêt qu’étant donné qu’après l’an 70, c’est l’opinion de l’école d’ Hillel qui a prévalu, il s’en suit que ce passage, selon lequel les disputes qui opposaient Beth Hillel à Beth Shammay battaient encore leur plein et ne seraient tranchées que par l’autorité prophétique du Messie, reproduit une tradition antérieure à la destruction du deuxième Temple. A noter, également, que le Talmud évoque d'autres cas où une partie de la Loi Orale a été oubliée mais fut par la suite rétablie par les prophètes (Talmud de Babylone Yoma 80b, Soukkah 44a, Commentaire de Rashi sur `Erouvîn 21b).  Relevons encore dans la Tossefta :

אף על פי שנחלקו בית שמאי [כנגד בית הלל] ... לא נמנעו בית שמאי לישא [נשים] מבית הלל, ולא בית הלל מבית שמאי, אלא נהגו האמת והשלום ביניהן, שנאמר (זכריה ח’) "האמת והשלום אהבו אף על פי שאלו אוסרין ואלו מתירין, לא נמנעו עושין טהרות אלו על גבי אלו, לקיים מה שנאמר (משלי כ"א) "כל דרך איש  ישר בעיניו ותכן לבות ה"‘. רבי שמעון אומר: מן הספק לא היו נמנעין, אלא  מן הוודאי.

« Quand bien même Beth Shammay divergea de Beth Hillel [...]  Beth Shammay n'empêchait pas d'épouser des femmes de Beth Hillel et Beth  Hillel d'épouser des femmes de Beth Shammay [...] Même si ceux-là interdisaient et  ceux-là permettaient,  les uns n'empêchaient les autres de préparer leurs taharot (nourritures  pures)  [...] Rabbi Shime`on dit : Ils n'empêchaient pas en cas de doute. Mais ils empêchaient en cas de certitude » (Tossefta Yevamot 1:3)

Cet extrait de la Tossefta implique que les écoles d’Hillel et de Shammay appliquaient leurs traditions respectives. En effet, si la Halakhah avait été fixée conformément à la position du  courant majoritaire et que la pratique était uniforme,  la notion de « doute » ספק et de « certitude »  וודאיpar rapport à la permissibilité de ce que fait l’autre n’aurait pas lieu d’être. Cela n’aurait été possible que si la résolution de certaines controverses dépassait le cadre de juridiction du Tribunal et que, comme le rapporte Rav Kahana, la minorité, en cas de divergence portant sur la signification de la Loi, pouvait agir selon sa propre opinion  tant que la majorité au sein du Sanhédrin n’avait pas de tradition pour appuyer ses dires ou si deux ou plusieurs traditions contradictoires, sur lesquels chaque camp pouvait s’appuyer, coexistaient. Ceci est étayé par les deux Talmoudim et la Tossefta qui rapportent de la manière suivante ce qui fut la règle  avant qu’une  voix céleste (bat qol) a tranché  en faveur de l’école d’Hillel peu après la catastrophe de 70 :

והרוצה לעשות כדברי בית שמאי עושה כדברי בית הלל עושה מקולי ב"ש ומקולי ב"ה רשע מחומרי ב"ש ומחומרי ב"ה עליו הכתוב אומר (קוהלת ב) הכסיל בחשך הולך אלא אי כב"ש כקוליהון וכחומריהון

« Si quelqu’un souhaite agir selon Beth Shammay, il le peut et s’il souhaite agir selon Beth Hillel, il le peut. Celui, cependant, qui n’adopte que les indulgences de Shammay et d’Hillel est un impie, tandis que celui qui n’adopte que les rigueurs de Shammay et d’Hillel, à propos de lui l’écriture dit : « L'insensé marche dans les ténèbres » (Ecclésiastes 2 :14). L’on doit plutôt suivre Beth Shammay tant dans ses indulgences que ses rigueurs ou Beth Hillel tant dans ses indulgences que ses rigueurs » (Talmud de Babylone, Rosh Ha-shanah 14b ; Talmud de Jérusalem, Bérakhoth 1 :4 ; Tossefta Yevamot 1 :3)

L’on comprend ainsi que le « tout », en Mat 23 :2-3, ne se réfère qu’à ce qui relève du « siège de Moïse », c’est-à-dire, l’enseignement de la Loi Orale authentique, comme le confirme dans ces termes la tradition pétrinienne :

« Interroge ton père, et il te l’apprendra; et tes Anciens, et ils te le diront (Deut 32:7). Ce père, ces anciens doivent être interrogés. Mais tu n’as pas demandé à qui appartient le temps du royaume, et à qui appartient le siège de la prophétie, quoique lui-même [les] a désigné en disant: les scribes et les Pharisiens sont assis sur le siège de Moïse, écoutez-les dans tout ce qu’ils vous disent (Matthieu 23:2-3). Ecoutez-les dit-il, comme étant les détenteurs de la clé du royaume, qui est la connaissance et qui est la seule qui peut ouvrir le portail de la vie, la seule à travers qui on peut entrer dans la vie éternelle » (Hom Ps-Cl 3:18)

Et, d’autre part, la formulation et l’adaptation, en adéquation avec la Torah, de la Halakhah selon l’évolution du contexte; une autorité que la Loi écrite et la « clé du royaume », c’est-à-dire la « Tradition de Moïse » (Rec Ps-Cl 10 :42 et 3 :75),  elles-mêmes reconnaissent aux Sages du Grand Tribunal ainsi que nous l’avons amplement développé.

A l’instar des affaires sans rapport avec la pratique religieuse, émettre des décisions qui abrogent la Torah Ecrite et Orale ou qui la contredisent n’entre cependant pas dans le cadre de juridiction du « siège de Moïse » et n’est de ce fait pas inclus dans le « tout » à « écouter, faire  et observer » (Mat 23 :2, syr-c).

Voilà pourquoi  Yeshou`a rejettera dans la suite de Matthieu chapitre 23 les traditions et les décisions halakhiques contraires aux « points les plus importants de la Loi, c’est à dire la justice, la miséricorde et la fidélité » (Mat 23:23-24). Il a, pour reprendre les expressions employées par le Talmud de Jérusalem, indiqué à ses disciples les cas où la « gauche » de ceux qui étaient « assis sur le siège de Moïse », lesquels, au premier siècle, appartenaient pour la majorité à l’école de Shammay, était la « droite »  et où leur « droite » était la « gauche ». Il a, en somme, rétablit  en tant que Messie et « prophète comme Moïse » (Deut 18 :18-20)  le véritable sens de la Torah.



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