dimanche 8 décembre 2019

Le péché originel

Si nous en croyons la doctrine augustinienne  du péché originel, le premier couple, qui a violé le commandement divin de ne pas consommer du fruit de l'arbre défendu,  aurait transmis la culpabilité de cette faute à toutes les générations futures. Tous les membres du genre humain, sans même avoir participé au péché de leurs premiers parents,  sont ainsi voués à la perdition éternelle en raison du seul fait qu'ils descendent d'Adam et Eve. La plupart des chrétiens, en particulier les catholiques, maintiennent que le seul moyen d'être délivré du châtiment résultant de ce péché héréditaire  est de croire en le sacrifice expiatoire de Jésus.
Non seulement cette théorie, qui maintient comme compatible avec la notion de justice divine l’idée que Dieu punit les uns pour les méfaits des autres, est une insulte au bon sens – L’Eglise catholique, qui n’est pas capable de l’expliquer, en parle comme d’un « mystère que nous ne pouvons pas comprendre pleinement » (Catéchisme de l’Eglise Catholique 389) – mais contredit l’enseignement explicite des Saintes Ecritures : 
לא־יומתו אבות על־בנים ובנים לא־יומתו על־אבות איש בחטאו יומתו 
« Les pères ne seront pas mis à mort pour les fils, et les fils ne seront pas mis à mort pour les pères: ils seront mis à mort chacun pour son péché » (Deutéronome 24 :6) 
לא־יומתו אבות על־בנים ובנים לא־יומתו על־אבות כי אם־איש בחטאו ימות 
 « Mais il ne fit point périr les enfants des meurtriers, suivant en cela ce qui est écrit dans le livre de la Loi de Moïse, promulguée par l’Éternel : "Les parents ne seront pas mis à mort à cause des enfants, ni les enfants à cause des parents ; mais chacun subira la mort pour son seul méfait » (2 Rois 14 :6) 
הנפש החטאת היא תמות בן לא־ישא ׀ בעון האב ואב לא ישא בעון הבן צדקת הצדיק עליו תהיה ורשעת הרשע  עליו תהיה
  
« C’est la personne qui pèche qui mourra : le fils ne portera pas la faute du père, ni le père la faute du fils ; la justice du juste est imputable au juste, la méchanceté du méchant au méchant. » (Ezéchiel 18:20)  
Nous lisons dans le Talmud :  
אמר רב אמי אין מיתה בלא חטא ואין יסורין בלא עון אין מיתה בלא חטא דכתיב (יחזקאל יח, כ) הנפש החוטאת היא תמות בן לא ישא בעון האב ואב לא ישא בעון הבן צדקת הצדיק עליו תהיה ורשעת הרשע עליו תהיה וגו' אין יסורין בלא עון דכתיב (תהלים פט, לג) ופקדתי בשבט פשעם ובנגעים עונו
« Rav Ammi dit : Il n'y a pas de mort sans péché et pas de souffrances sans péché. Il n'y pas de mort sans péché, ainsi qu'il est écrit : C’est la personne qui pèche qui mourra : le fils ne portera pas la faute du père, ni le père la faute du fils ; la justice du juste est imputable au juste, la méchanceté du méchant au méchant (Ezéchiel 28:20). Et il n'existe pas de souffrances sans péchés, ainsi qu'il est écrit : Je punirai de la verge leurs transgressions, Et par des coups leurs iniquités (Psaume 89:33). » (Talmud de Babylone, Shabbath 55a) 
Autrement dit, si les hommes meurent, ce n’est pas à cause d’une culpabilité héritée, mais parce que tous, sans exception, ont eux-mêmes péché au moins une fois.  L'on notera cependant que cette explication est contredite par une autre :  
ארבעה מתו בעטיו של נחש ואלו הן בנימין בן יעקב ועמרם אבי משה וישי אבי דוד וכלאב בן דוד וכו׳ ש"ם יש מיתה בלא חטא ויש יסורין בלא עון ותיובתא דרב אמי תיובתא 
« Quatre sont mort à cause du conseil du serpent. Les voici : Benjamin le fils de Jacob, Amram le père de Moïse, Jessé le père de David, et Caleb le fils de David [...] Cela constitue la preuve que les décès et les souffrances sans péchés existent. Cela est une réfutation totale de la position de Rav Ammi » (Talmud de Babylone, Shabbath 55b, Baba Batra 17b) 
Rashi, dans sa glose, explique : 

בעטיו של נחש - בעצתו של נחש כלומר לא היו ראוין למות אלא שנגזרה גזירת מיתה על כל תולדותיו של אדם הראשון בעצתו של נחש 
« A cause du conseil du serpent : En d'autres termes, ils sont morts, non pas parce qu'ils le méritaient, mais parce que la mort a été décrétée à toute la descendance du premier homme en raison du conseil du serpent »  (Rashi sur Bava Batra 17b) 

Il est parfois avancé, sur la base d'une opinion rapportée dans le Shémoth Rabbah selon laquelle les âmes des générations à naître  se trouvaient dans le corps d’Adam (Shémoth Rabbah 40:3), que tous les hommes fautèrent avec lui.  Exprimé autrement : Si les hommes, y compris les justes,  meurent, ce n’est pas parce qu’ils ont hérité du péché de leurs premiers parents, mais parce qu’ils ont eux-mêmes commis avec Adam le premier péché de l’histoire.  Ce n’est toutefois pas ce que dit le Talmud qui affirme que ceux qui sont morts uniquement à cause du « conseil du serpent » étaient sans péchés בלא חטא ; chose que confirme Rashi lorsqu’il déclare qu’ils ne méritaient pas la mort לא היו ראוין למות. Cela va clairement à l'encontre de  la doctrine du péché originel qui veut que tous les hommes, sans exception, ont hérités du péché d'Adam qu’ils n’ont pas commis.  
Mais que signifie exactement « mourir à cause du conseil du serpent » ?  Il peut être lu  dans le Midrash  :  
 א"ל רבי יונתן א"כ יגזור מיתה על הרשעים ואל יגזור מיתה על הצדיקים אלא שלא יהו הרשעים עושים תשובה של רמיות, ושלא יהו הרשעים אומרים כלום הצדיקים חיים אלא שהן מסגלין מצות ומעשים טובים אף אנו נסגל מצות ומעשים טובים נמצאת עשיה שלא לשמה 

« Rabbi Yonathan dit : Si la mort n’a été décrétée qu’aux méchants et non aux justes, c’est pour que les méchants ne fassent pas de fausse repentance et qu’ils ne disent pas : «   puisque les justes ne vivent que parce qu’ils accumulent des actes pieuses et des bonnes œuvres, nous aussi, accomplissons les commandements et faisons des bonnes œuvres », et ne fassent des choses pour des motifs ultérieurs »  (Béréshith Rabbah 9:5) 
Rabbi Shime`on ben Laqish, dans la suite du passage, explique  que les justes, dans le monde futur, hériteront d’une part double pour avoir accepté une mort qu’ils n’ont pas méritée (Isaïe 61:7). Les méchants pour leur part , souffriront d'une « double ruine » (Jérémie 17:18)  en raison non seulement des leurs mauvaises œuvres,  mais aussi parce que les justes ont dû goûter à la mort à cause d'eux. Rabbi Yohannan, cependant, avance une autre explication : 
רבי יוחנן אמר מפני מה נגזרה מיתה על הרשעים אלא כל זמן שהרשעים חיים הם מכעיסים להקב"ה הה"ד (מלאכי ב) הוגעתם ה' בדבריכם, כיון שהן מתים, הן פוסקים מלהכעיס להקב"ה, שנאמר (איוב ג) שם רשעים חדלו רוגז שם חדלו מלהכעיס להקב"ה, מפני מה נגזרה מיתה על הצדיקים אלא כל זמן שהצדיקים חיים הם נלחמים עם יצרן, כיון שהם מתים הם נחין, הה"ד (שם) ושם ינוחו יגיעי כח, דיינו מה שיגענו 

«  Pourquoi la mort fut-elle décrétée contre les méchants ? Parce que tant qu’ils vivent, ils irritent le Saint Béni Soit-il, ainsi qu’il est écrit : « Vous fatiguez l’Eternel par vos paroles » (Malachie 2:17), mais lorsqu’ils meurent, ils cessent d’irriter le Saint Béni Soit-Il, ainsi qu’il est écrit : « Là, ne s’agitent plus les méchants » (Job 3 :17) ; c’est-à-dire que lorsqu’ils meurent, ils n’irritent plus le Saint Béni Soit-Il. Et pourquoi la mort a-t-elle été décrétée pour les justes ? Car tant qu’ils vivent, ils luttent contre leur penchant au mal. Lorsqu’ils meurent, ils peuvent enfin se reposer, ainsi qu’il est dit : « Et là se reposent ceux qui sont fatigués et sans force » (ibid.). Ils disent : Nous avons assez œuvré ! » (ibid.) 
Il est à noter que même si selon certains sages, le penchant au mal a existé en l’homme depuis sa création (Talmud de Babylone, Bérakhoth 61a), pour d’autres, il s’agit d’une corruption résultante de la faute d’Adam et Eve (Talmud de Babylone, Shabbath 146a).  Yesha`yah Horowitz explique qu’ «  Adam et Eve ne péchèrent pas en raison du penchant au mal […] mais simplement par erreur en croyant le serpent » לא חטאו מחמת יצר  וכו׳  רק טעו והאמינו לנחש (Shéné louhoth ha-bérith 1 :24). L’on comprend que même si la mort, selon l’avis de Rabbi Yohannan, fait parfois office de punition destinée aux fauteurs pour les transgressions qu’ils ont eux-mêmes commises – la privation de la vie étant une forme de sanction pour ceux qui en usent pour satisfaire le plaisir de faire le mal – , elle constitue aussi et surtout l’antidote au mauvais penchant dont Adam et Eve ont empoisonné tous leurs descendants après avoir mangé du fruit de l’arbre. Voilà pourquoi même les justes doivent mourir, puisque c'est la mort physique qui met fin au yétser ha-ra`. C’est également ce qu’enseignent en ces termes les « Antiquités Bibliques » du Pseudo-Philon (1er siècle) : 
« Il arriva, lorsqu' approchèrent les jours de sa mort, que Déborah envoya réunir tout le peuple ; elle leur dit : « Écoutez-moi, mon peuple. Voici que je vous avertis en tant que femme de Dieu, et je vous éclaire en tant que [représentante] du genre féminin. Prétez-moi l'oreille comme à votre mère, et faites attention à mes paroles comme à ceux mêmes qui s'en vont vers la mort. Voici que je m'en vais aujourd'hui par le chemin de toute chair ", que vous prendrez vous aussi. Seulement, maintenez vos cœurs droits vers le Seigneur tout le temps de votre vie, car après votre mort vous ne pourrez revenir sur ce que vous  sur ce que vous aurez (suivi) durant votre vie […] Si même, en enfer, vous cherchiez à mal faire après votre mort, vous ne le pourriez pas, car la passion de pécher cessera et le penchant au mal perdra son pouvoir » (Antiquités Bibliques chapitre XXXIII ) 
En ce sens, la mort physique est, pour ceux qui n’ont pas commis de fautes passibles de mort, un remède, non un châtiment. Il y a lieu de penser que seul le penchant au bien se relèvera avec le corps au jour de la résurrection, laissant le penchant au mal dans la tombe. Les justes ressuscités retrouveront ainsi la perfection et la gloire d’Adam avant la faute.  
En somme, l’idée que les enfants héritent des péchés ou des fautes de leurs parents, et que, peu importe leurs œuvres, tous les hommes sont privés du monde futur pour la simple raison qu’ils descendent d’Adam, est étrangère aux Saintes Ecritures.  La tradition juive nous offre trois explications quant à la raison pour laquelle tous les hommes meurent : 
1) Le penchant au mal a existé dès le début en l’homme. Puisqu’il n’existe pas de mort sans transgression, si les humains meurent, c’est parce que tous, sans exception, ont fauté et  méritent la mort. D’après une théorie populaire dans les cercles kabbalistiques , tous les hommes, dont les âmes furent créées dès la fondation du monde,  se trouvaient dans le corps d’Adam, et fautèrent avec lui. 
2) Le penchant au mal n’a commencé à exister en l’homme qu’après la faute du premier couple. Si les justes, qui dominent sur ce penchant et s'efforcent de le réprimer, ne mourraient pas et recevaient leur récompense dans ce monde , les méchants, qui s’en rendront compte, se mettraient hypocritement à accomplir des bonnes œuvres. Pour laisser libre cours à l'impiété des méchants et  mieux les châtier au jour du jugement, Dieu décréta ainsi la mort à tous les hommes. Les justes, dans le monde futur, hériteront d’une part double. 
3) La mort, qui s’avère parfois être le châtiment imposé aux malfaiteurs pour les péchés qu’ils ont eux-mêmes commis, est aussi le remède au penchant au mal qu’Adam, suite à la faute, transmit à  sa postérité.  La mort, aussi bien pour les justes que pour les méchants, n’est donc pas la punition d’une quelconque culpabilité héréditaire et personne ne sera éternellement damné pour le simple fait d’avoir été humain. 
En tout état de cause, la doctrine du péché originel, en plus d’être contraire à l’enseignement des Saintes Ecritures, n’est pas apostolique. L’apôtre Jean déclare en effet dans sa première épître : 
« Quiconque pèche transgresse la loi, et le péché est la transgression de la loi. » (1Jean 3 :4) 
Cela nous apprend que le péché est quelque chose que l’on fait. L’on n’est pécheur que  lorsqu’on commet une infraction à la Loi. Nul ne peut naître pécheur dès lors que personne n’a choisi de naître et que naître n'est pas une faute. Jacques enseigne pareillement que le péché n’est pas une chose que nous héritons de nos parents, mais l’acte qui résulte du désir de fauter : 
« Chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise. Puis la convoitise, lorsqu'elle a conçu, enfante le péché; et le péché, étant consommé, produit la mort. » (Jacques 1 :14-15)

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