vendredi 15 novembre 2019

Défense de l'Evangile de la circoncision, partie II

Les sources extra rabbiniques


Les témoignages extra rabbiniques révèlent également à notre lecture que le judaïsme de toute la période antique ne savait rien du noahisme.  

La Littérature Essénienne

Certains, sur la base du  livre des Jubilés (IIè siècle avant l’ère chrétienne),  font remonter la théologie Noa'hide à l’époque du deuxième Temple.  Il peut être lu dans le passage en question : 

« Et dans le 28e jubilé Noé commença d’enjoindre les fils de ses fils aux ordonnances et commandements et à tous les jugements qu’il connaissait et il recommanda à ses fils d’observer la justice et de couvrir la honte de leur chair et de bénir leur créateur et d’honorer père et mère et d’aimer leur prochain et garder leurs âmes contre la fornication et l’impureté et toute iniquité » (Jubilés 7,20)

Non seulement, cependant, la liste des lois noa’hides que donne le Livre des Jubilés n’est pas la même que celle qui est aujourd’hui communément admise, mais l’ouvrage précise ailleurs que croire en Dieu est un privilège que les Israélites ne partagent pas avec les Gentils : 

« Il y a beaucoup de nations et beaucoup de peuples, et ils sont à lui et sur tous il plaça des esprits autorisés de les écarter de lui. Mais sur Israël il n’appointa aucun ange ou esprit, car lui seul est leur directeur et il les préservera, et les requerra de la main de ses anges et de ses esprits et de la main de tous ses pouvoirs afin qu’il puisse les préserver et les bénir et qu’ils puissent être à lui et qu’il puisse être à eux à partir de maintenant et à toujours »  (Jubilés 15 :30-32 ) 

L’idée que Dieu « plaça des esprits autorisés de les écarter [les Gentils] de Lui » suppose l’abrogation de l’alliance noahide. 

 Le livre des Jubilés, d’ailleurs,  ne connait que deux catégories d’hommes : « les enfants de l’Alliance que l’Eternel a conclu avec Abraham », qui portent en leur chair la marque de la circoncision, et « les enfants de la destruction » qui seront « anéantis et éliminés » car n’ayant pas sur eux le « signe qu’ils appartiennent  à Dieu »  (Jubilés 15,26). Le 4Q458, découvert parmi les manuscrits de la mer morte, déclare dans  la même veine :

« Toi (l’Eternel), tu consumeras tous les incirconcis » ותבלע את כל הערלים

Les Hodayot classent les incirconcis dans la catégorie des infidèles :

« Marchant dans ta sainte voie, en laquelle l’incirconcis, l’impur et le vicieux ne marchent pas » בדרך קו[דשכה אשר ילכו] בה וערל וטמא ופריץ בל יעוברנה (Hodayot  14 :20-21)

La tradition essénienne atteste clairement de l’antiquité de l'idée de l’abrogation de l’alliance noa'hide et de l’impossibilité d’être sauvé ou de plaire à Dieu en dehors de l’alliance de la Loi.  

Flavius Josèphe

Flavius Josèphe relate en ces termes le récit de la conversion d'Izatès, le Roi du royaume d'Adiabène, au premier siècle : 

« Au temps où Izatès vivait au Camp de Spasinès, un commerçant juif, nommé Ananias, qui avait accès dans le gynécée royal, apprit aux femmes à adorer Dieu selon la coutume nationale des Juifs. Grâce à elles il se fit connaître d'Izatès et le persuada aussi. Lorsque celui-ci fut rappelé par son père en Adiabène, Ananias l'accompagna, obéissant à ses pressantes sollicitations. Or, il était arrivé qu'Hélène, instruite de la même façon par un autre Juif, s'était convertie également à leurs lois. Quand Izatès eut pris la royauté et qu'arrivant en Adiabène il vit ses frères et ses autres parents enchaînés, il fut mécontent de ce qui était arrivé. Regardant comme impie de les tuer ou de les garder enchaînés, mais jugeant dangereux de les laisser libres auprès de lui alors qu'ils se souviendraient des offenses reçues, il envoya les uns comme otages à Rome près de l'empereur Claude avec leurs enfants et il expédia les autres sous un prétexte analogue chez Atabane le Parthe. Ayant appris que sa mère était fort satisfaite des coutumes juives, il s'empressa de s'y rallier également, et croyant qu'il ne serait définitivement juif qu'une fois circoncis, il était prêt à se faire circoncire. Mais sa mère, l'apprenant, tenta de l'empêcher en lui disant que cela le mettrait en danger: en effet, il était roi et il s'aliénerait beaucoup ses sujets s'ils apprenaient qu'il désirait adopter des mœurs étrangères et opposées aux leurs, car ils ne supporteraient pas d'avoir un roi juif. Voilà ce qu'elle disait, s'opposant de toutes ses forces à son dessein, et Izatès rapporta ses paroles à Ananias. Mais ce dernier approuva la mère du roi; il le menaça de le quitter s'il ne lui obéissait pas et de l'abandonner. En effet, il craignait, disait-il, si l'affaire était connue de tous, de risquer de se voir châtié comme responsable de tout cela et comme ayant incité le roi à des actes indignes de lui; d'ailleurs, le roi pouvait adorer Dieu, même sans être circoncis, s'il avait décidé d'observer complètement les lois ancestrales des Juifs, ce qui importait plus que la circoncision. Il lui dit aussi que Dieu lui-même lui pardonnerait d'avoir renoncé à ce vite, contraint à cela par la nécessité et la crainte qu'il avait de ses sujets. Le roi se laissa alors persuader par ses paroles. Mais ensuite, comme il n'avait pas renoncé absolument à son dessein, un second Juif venu de Galilée et nommé Eléazar, qui passait pour très versé dans la loi de ses pères, l'exhorta à accomplir cet acte. En effet, étant entré chez lui pour le saluer et l'avant surpris en train de lire la loi de Moïse: «Tu ignores, dit-il, que tu fais la plus grande offense aux lois et par suite à Dieu: il ne suffit pas de les lire, il faut avant tant faire ce qu'elles ordonnent. Jusques à quand resteras-tu incirconcis ? Si tu n'as pas encore lu la loi sur la circoncision, lis la sur le champ pour savoir quelle est ton impiété.» Après avoir entendu ces paroles, le roi ne différa plus l'opération: se retirant dans une autre chambre et ayant mandé un médecin, il exécuta ce qu'on lui avait prescrit » (Antiquités Juives 20 :2 : 3-4)

Comme le montre ce passage, Ele`azar croyait que le refus de se circoncire,  en d’autres termes, de devenir juif, est une « impiété » et une « offense aux lois et par suite à Dieu ».  Ananias, lui, était d’avis que « Dieu lui-même lui pardonnerait (au roi) d'avoir renoncé » à la circoncision, « contraint à cela par la nécessité et la crainte qu'il avait de ses sujets ». Ces propos d’Ananias n’ont de sens que si la notion que les Gentils peuvent plaire à Dieu sans se convertir était étrangère au Judaïsme de l’époque du deuxième Temple et que même pour  le libéral Ananias, l’incirconcis encoure en principe le châtiment divin. Si tel n'était pas le cas, l’on ne verrait pas comment Dieu « pardonnerait » ce qui n’est pas une faute. L’on notera d’ailleurs avec beaucoup d’intérêt  qu’Ananias n’a pas prescrit à Izatès de devenir « noahide » mais d’observer « complètement les lois ancestrales des Juifs » à défaut de pouvoir se faire Prosélyte.  Ce passage nous permet aussi de constater que le  missionnariat auprès des Gentils était  monnaie courante à l’époque. Considérons encore cet extrait des Antiquités judaïques :

« Hyrcan prit aussi les villes d'Idumée, Adora et Marissa, soumit tous les Iduméens et leur permit de rester dans le pays à la condition de se soumettre à la circoncision et aux lois des Juifs. Par attachement au sol natal, ils acceptèrent de se circoncire et de conformer leur genre de vie à celui des Juifs. C'est à partir de cette époque qu'ils ont été des Juifs véritables … Hyrcan changea la forme du gouvernement des Iduméens pour leur donner les coutumes et les lois des Juifs » (Antiquités judaïques 8:9, 15:9)

Josèphe dit similairement concernant Aristobule, le fils et successeur d’Hyrcan : 

« On l'appelait Philhellène, et il avait rendu de grands services à sa patrie : il avait fait la guerre aux Ituréens, et annexé une partie considérable de leur territoire à la Judée, forçant les habitants, s'ils voulaient demeurer dans le pays, à se circoncire et à vivre suivant les lois des Juifs. Il était d'un naturel équitable et très modeste, comme en témoigne Strabon, d'après Timagène : « C'était un homme équitable, et qui fut d'une grande utilité aux Juifs ; il agrandit, en effet, leur territoire, et leur annexa une partie du peuple des Ituréens, qu'il leur unit par le lien de la circoncision » (Antiquités 13 :11 :3 ) 

Josèphe relate que sous le règne d’Alexandre Jannée, fils d’Aristobule, « les Juifs possédaient les villes suivantes de Syrie, d'Idumée et de Phénicie. Sur la mer, la Tour de Straton, Apollonia, Jopé, Iamnée, Azotos, Gaza, Anthédon, Raphia, Rhinocoroura. Dans l'intérieur : en Idumée, Adora et Marisa, l’Idumée entière ; Samarie, le mont Carmel, le mont Itabyrion, Scythopolis, Gadara ; en Gaulanitide, Séleucie et Gamala ; en Moabitide, Hesbon, Médaba, Lemba, Oronas, Telithon, Zara, le val des Ciliciens. Pella, qui fut détruite parce que les habitants refusaient d'adopter les coutumes nationales des Juifs ; nombre d'autres villes parmi les plus importantes de Syrie leur furent soumises »  (Antiquités 13 :15 :3-6) 

Il est manifeste que le noahisme était étranger à la théologie des hasmonéens. Dans le cas contraire, l’on ne verrait pas pourquoi Hyrcan et ses successeurs auraient contraint les populations avoisinantes à se convertir au lieu de simplement leur imposer les sept lois de Noé. Il est intéressant de noter que Flavius Josèphe, qui était lui-même un pharisien, voyait dans les campagnes de conversions forcées menées par les souverains hasmonéens un service rendu à la nation juive.  Même si le judaïsme rabbinique aura (plus tard) rejeté la pratique des conversions forcées, la Loi talmudique stipule qu'une conversion de force est après coup valide et ne peut être révoquée  ( Talmud de Babylone, Yévamot 24b ; Yérouchalmi Qidoushin 4:1 )

Philon d'Alexandrie

Pour Philon, la traduction du Pentateuque en Grec au IIIème siècle avant l’ère commune était motivée par le désir de judaïser le monde Hellénistique. Philon pensait en effet que la rédaction de la Septante allait permettre à « chaque nation d’abandonner ses manières et de rejeter ses coutumes ancestrales pour honorer nos lois uniquement » (vie de Moïse 2:43-44). Philon admettait certes l'existence de non juifs vertueux, mais, à l'en croire, cette vertu implique de reconnaître la vérité en la Révélation mosaïque, lorsque l'opportunité d'y adhérer est donnée, et de s'intégrer dans la nation juive :

« Et tous les hommes animés des  mêmes dispositions, qu'ils les aient d'emblée, de naissance, ou qu'ils se soient élevés en accédant par la conversion à un meilleur rang, il les accueille avec faveur, les uns pour n'avoir pas dérogé à la noblesse de leur race, les autres pour avoir pris la résolution de se transporter du côté de la piété — il appelle ceux-ci des « prosélytes » (c'est-à-dire des nouveaux-venus), parce qu'ils sont venus s'intégrer à une nouvelle République, chérie de Dieu —, eux qui dédaignent les fictions légendaires et s'attachent à la pure Vérité.  C’est pourquoi, ayant accordé à tous les nouveaux arrivés un statut d’égalité et autant de faveurs qu’aux citoyens de naissance, il exhorte les membres des anciennes familles à les honorer, non seulement par des égards extérieurs, mais aussi par une amitié toute spéciale et une bienveillance particulière.  Et c'est parfaitement justifié; « car ces gens», rappelle-t-il, « ont quitté leur patrie, leurs amis, leurs parents, par amour de la vertu et de la foi ; il ne faut pas qu'ils soient privés d'autres cités, d'autres parents, d'autres amis ; il faut apprêter des refuges pour accueillir ces volontaires de la piété » ( Lois Spéciales 51-53 )

Philon croyait qu'à l'opposé des prosélytes, tous les gentils qui rejettent la Torah en connaissance de cause seront châtiés  :

« Et il y a certains d'entre les Gentils, qui, parce qu'ils délaissent le culte de l'Unique, pour cet abandon des rangs les plus importants, ceux de la piété et de la foi, méritent d'être frappés des plus sévères châtiments, car ils préfèrent l'obscurité à la plus éclatante lumière » ( Lois Spéciales 54 )

A noter que nul part dans ses écrits Philon ne fait mention d'un ensemble de lois s'appliquant spécialement aux non-juifs croyants.

Le Nouveau Testament 

Il peut être lu en Galates 5:11 : 

« Si je prêche encore la circoncision, pourquoi suis-je encore persécuté ? Le scandale de la croix a donc été levé ! »

« Prêcher circoncision », dans le contexte de l’épître aux Galates,  voulant dire annoncer le salut par soumission à toute la Torah (Galates 5 :1), l’on comprend qu’avant de devenir Chrétien, Paul,  en tant que Pharisien,  prêcha aux païens le salut par la conversion au judaïsme. Cela confirme Matthieu 23 :15 où l’on peut lire au sujet des Pharisiens du premier siècle qu’ils « parcouraient la mer et la terre pour faire un seul prosélyte » et le livre des Actes qui rapporte que « la secte des Pharisiens qui crurent » enjoignirent aux non-Juifs de se circoncire et d’observer la Loi mosaïque s’ils voulaient être sauvés (Actes 15:1,5). Faisons le rapprochement avec l’enseignement du Sifri: 

ואהבת את ה' אלהיך - אהבהו על כל הבריות כאברהם אביך כענין שנא' (בראשית יב) "ואת הנפש אשר עשו בחרן", והלא אם מתכנסים כל באי העולם לבראות יתוש אחד ולהכניס בו נשמה - אינן יכולים לבראותו, ומה ת"ל "ואת הנפש אשר עשו בחרן"? אלא מלמד שהיה אברהם אבינו מגיירם ומכניסן תחת כנפי השכינה

« Tu aimeras l'Eternel ton Dieu - tu feras en sortes qu'il soit aimé par toute créature, comme le fit Abraham ton père, comme il est dit « et les âmes qu'ils ont faites à Haran » (Gn 12,5). Comment cela se fait-il vu que quand bien même tous les hommes se rassembleraient pour faire un moustique et y introduire le souffle de vie, ils n'y arriveraient pas ? Abraham les convertissait et les amenait sous les ailes la Présence de Dieu. »   (Sifri sur le Deut 6 :5)

D’ailleurs, le récit de la rencontre entre Pierre et Corneille ne se comprend que dans l'optique que l’idée qu’aucun Gentil ne peut plaire à Dieu en étant Gentil fut l’opinion normative du judaïsme du premier siècle et qu'elle fut initialement partagée par les judéo-chrétiens de Jérusalem. Les Actes, en effet, relatent que Pierre refusa d'entrer dans la maison de Corneille, lequel était pourtant un « craignant Dieu », « parce que c'est une chose illicite pour un Juif que de se lier avec un étranger » ( Ac 10:28 ) et qu'il lui a fallu une révélation explicite pour apprendre « à ne regarder aucun homme comme souillé et impur » ( Ac 10:2 ) et savoir qu' « en toute nation celui qui craint [ Dieu ] et qui pratique la justice Lui est agréable » ( Ac 10:35 ). Cela rejoint ce que le traité Guerim stipule au sujet du guer toshav : 

 רוקו ומושבו ומשכבו ומי רגליו טמאין

 « Sa salive, son habitation, son  lit et son urine sont impurs »  (Traité Guérim chapitre 3)

Certes, Paul, dans ses épîtres, enseigne que passer par le rituel de conversion au judaïsme n’est pas nécessaire pour qu’un non-Juif soit sauvé et intègre l’Israël de Dieu, que Paul distingue de l’Israël « selon la chair » (légal) (Galates 6:16, Romains 9:6-8, Colossiens 2 :11-12). Il faut garder à l’Esprit, cependant, que selon l’Epître aux Ephésiens,  le salut des Gentils résulte de la mort sacrificielle de Jésus (Eph 2 :14), auquel la plupart des noa’hides et leurs enseignants ne croient pas et de laquelle le noahisme est entièrement indépendant.  Paul est sans équivoque : 

« Oui, il est notre paix, celui qui des deux a fait un, ayant aboli le mur mitoyen de la séparation, la haine, dans sa propre chair; annulant la tora des misvot en ses ordonnances, pour que des deux soit créé en lui un seul homme nouveau par lui artisan de paix, et qu’il réconcilie les deux en un seul corps pour Elohîms, à travers la croix, tuant la haine en lui » (Ephésiens  2 :14-16, Chouraqui) 

Ce qui veut dire qu’ avant la crucifixion,  les Gentils, à moins qu’ils ne deviennent Juifs, n’étaient pas sauvés ou, pour reprendre les mots employés par Paul, « privés du droit de cité en Israël, étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le monde » comme l’enseigne la Tradition (Eph 2 :11-12).  Il est à noter que c'est la Torah elle-même qui stipule que les mitsvoth visent à distinguer Israël des gentils qui ont rejeté la Torah (Exode 19:2 et Lev 20:26) et que lorsque Paul associe « la Torah des mitsvot » à la « haine », il ne fait que reprendre à son compte la tradition reprise dans le Talmud de Babylone, traité Shabbath 89a :

 [הר סיני, הר שירדה שנאה לאומות העולם עליו [רש"י : שלא קבלו בו תורה

 « Pourquoi la montagne est t-elle appelée Sinaï ? Car c'est la montagne sur laquelle la haine (sin'ah) pour les Nations du monde descendit [Commentaire de Rashi: Car elles n'y ont pas accepté la Torah] »  (Talmud de Babylone, Shabbath 89a) 

En clair, ce que Paul dit c'est qu'il n'est plus aucune différence entre Juifs et non-Juifs depuis que ce qui constituait les Juifs comme une peuple à part et la cause de la haine vis à vis des nations, la « Torah des mitsvot », a été abrogée au moment de l’inauguration de la nouvelle alliance sur la croix ; chose que ne peuvent à l’évidence admettre les « noa’hides », lesquels maintiennent que même si les « pieux d’entre les nations » peuvent être sauvés sans se convertir et  pratiquer la Loi entière, il incombe aux Juifs d’observer pieusement les commandements mosaïques. Considérons aussi ce qu’affirme Paul au troisième chapitre de la lettre aux Ephésiens : 

« Comment, par révélation, le mystère m'a été donne à connaitre (ainsi que je l'ai déjà écrit en peu de mots; d'après quoi, en le lisant, vous pouvez comprendre quelle est mon intelligence dans le mystère du Christ), lequel, en d'autres générations, n'a pas été donne à connaitre aux fils des hommes, comme il a été maintenant révèle à ses saints apôtres et prophètes par l'Esprit: savoir que les nations seraient cohéritières et d'un même corps et coparticipantes de sa promesse dans le Christ Jésus, par l'évangile; duquel je suis devenu serviteur, selon le don de la grâce de Dieu qui m'a été donne selon l'opération de sa puissance. A moi, qui suis moins que le moindre de tous les saints, cette grâce a été donnée d'annoncer parmi les nations les richesses insondables du Christ, et de mettre en lumière devant tous quelle est l'administration du mystère cache dès les siècles en Dieu qui a créé toutes choses »  (Ephésiens 3:3-8)

Paul dit ici que le salut des Gentils est un « mystère »  qu'il a connu par « révélation ». Ce mystère, précise-t-il, était inconnu auparavant.  Il ne s'agit donc pas du noahisme qui, soi-disant, serait une tradition millénaire remontant à la révélation du Sinaï ou même au patriarche Noé et qui, de toute manière, était inconnue de Paul.

Somme toutes, Paul enseigne que même si les choses changèrent après l’inauguration de l’alliance nouvelle sur la croix, sous l’ancienne alliance, les Gentils qui ne se convertissaient pas au judaïsme et ne s’intégraient pas dans le peuple élu ne pouvaient pas prétendre au salut. Sachant cela, l’on ne s’étonne pas de ce que Paul considère le fait de « prêcher la circoncision » après le « scandale de la croix » comme contraire à l’œuvre que Jésus a accomplie par sa mort (Galates 5 :11).  

Sources patristiques et romaines

Les sources patristiques attestent aussi que le judaïsme antique considérait la Torah telle qu'elle s'applique aux juifs comme la seule voie agrée par Dieu et faisait, à l'instar du christianisme, du prosélytisme. Considérons cet extrait du Dialogue de Justin de Naplouse avec Tryphon (IIè siècle ) :

« Oui, reprit Tryphon, ce que vous venez de dire en dernier lieu est la seule chose qui nous étonne ; pour les discours de la multitude, ils ne méritent pas d'être répétés et répugnent trop à la nature. Je trouve, au contraire, dans le livre que vous appelez Évangile de très beaux préceptes de, morale, mais si élevés et si sublimes, que je les crois impraticables; car j'ai eu la curiosité de lire ce livre.  Mais n'est-il pas étonnant que des hommes qui se piquent de piété, qui prétendent par là se distinguer des autres, n'en diffèrent en aucune manière et ne vivent pas mieux que les gentils? En effet, vous n'observez ni les fêtes, ni le sabbat, ni la circoncision; vous placez votre espérance dans un crucifié, vous ne suivez aucun des préceptes du Seigneur, et vous osez attendre de lui des récompenses ! Ne lisez-vous pas, dans le Testament qu'il nous a donné, que tout homme qui n'aura pas été circoncis le huitième jour périra d'entre son peuple? La loi comprend jusqu'aux étrangers qui vivent parmi nous, jusqu'aux esclaves que l'on achète.  Vous ne tenez compte ni du Testament, ni de ses conséquences! Comment donc nous persuaderez-vous que vous connaisses Dieu, lorsque vous ne faites rien de ce qu'on voit faire à tous ceux qui le craignent? Montrez-nous, si vous le pouvez, sur quoi se fonde votre espoir quand vous transgressez la loi; donnez-nous une raison qui nous satisfasse: alors nous vous écouterons très volontiers, et c'est avec le même plaisir que nous discuterons tout le reste avec vous » (Dialogue avec Tryphon 10:2)

L'on voit que Tryphon reproche aux Chrétiens non-juifs, non pas leur désobéissance aux lois de Noé, mais leur refus d'observer les préceptes rituels de la Torah dont les fêtes, le Shabbath et la circoncision. D'après Tryphon, les Chrétiens, parce qu'ils ne soumettent pas à la Loi mosaïque, ne doivent espérer aucune récompense de la part de Dieu.  Nous lisons  également dans l'ouvrage :

« Mais, dit Tryphon, si quelqu'un, persuadé de cette vérité, voulait encore garder les observances légales, bien qu'il reconnût Jésus-Christ pour le Christ, qu'il crût en lui et obéit à sa parole, sera-t-il sauvé ? — A mon avis, il le sera, lui répondis-je, pourvu toutefois qu'il ne cherche point à persuader aux autres, c'est-à-dire aux gentils affranchis de l'erreur par Jésus-Christ, qu'ils doivent comme lui pratiquer ces observances, et qu'il ne soutienne pas que sans elles on ne peut obtenir le salut, comme vous le prétendiez vous-même, Tryphon, au commencement de cette discussion : car vous m'avez dit formellement que je ne serais pas sauvé, si je n'observais pas la loi.»  ( Dialogue avec Tryphon 47:1 )

Justin se réfère au propos de Tryphon rapportés au chapitre 8, où l'on peut effectivement lire :

« Quand vous abandonnez Dieu pour croire à la parole d'un homme, quel espoir de salut peut vous rester? Si vous voulez m'en croire, car je vous regarde déjà comme un ami, faites-vous d'abord circoncire, puis observez le sabbat, les fêtes, les nouvelles lunes comme la loi le prescrit; en un mot, faites tout ce qu'elle commande, peut-être alors trouverez-vous grâce devant le Seigneur. Si le Christ est né et demeure quelque part, il est inconnu, il ne se connaît pas lui-même et n'a aucun moyen de se faire connaître. Il faut d'abord que le prophète Elle vienne lui donner l'onction sainte et le révèle à la terre. Sur de vains bruits, vous avez rêvé un Christ qui n'est que dans votre imagination, et dupe de vous-même, vous courez aveuglément à votre perte.»

Origène, en 248 de l’ère commune, rapporte encore :   

« Je me souviens qu'en une dispute que j’eue un jour avec ceux qui portent le nom de sages parmi les Juifs, je me servis de ces prophéties. Le Juif me disait que ces prédications se référaient à la nation toute entière, qui est vue comme un seul individu, et comme les Juifs ont été dispersés parmi diverses nations païennes, il prétendait que le peuple avait été ainsi répandu et frappé afin de faire des prosélytes. C'est de la sorte qu'il expliquait ces paroles : Ta beauté sera en mépris parmi les hommes ; et celles-ci : Ceux à qui on ne l'avait point découvert le verront; et celles-ci encore : C’est un homme tout noirci de coups » (Contre celse 1:55) 

 Le Talmud, de même, enseigne :

אמר  ר"א לא הגלה הקדוש ברוך הוא את ישראל לבין האומות אלא כדי שיתוספו עליהם גרים שנאמר (הושע ב) וזרעתיה לי בארץ כלום אדם זורע סאה אלא להכניס כמה כורין ור' יוחנן אמר מהכא (הושע ב) ורחמתי את לא רוחמה

« Rabbi Elé`azar dit: "Le Saint Béni Soit-il n’exila les Israélites parmi les nations qu’afin d’ajouter à eux des convertis, comme il est dit : Je la sèmerai pour moi dans la terre’  (Osée 2,25). Est-ce qu’un homme ne sème pas une mesure de blé pour en récolter dix ? Rabbi Yo’hannan dit que l'on peut dériver cette idée de ce verset : Et je ferai miséricorde à Lo-rouhama  »  (Talmud de Babylone Péssa’him 87b) 

Insistons sur le fait que la suite du verset cité – « et je dirai à ce qui n’est pas mon peuple, tu es mon peuple; et il me dira, mon Dieu » –ainsi que la glose de Rashi indiquent qu’il ne s’agit pas de faire des « noa’hides » mais d’intégrer des individus au peuple d’Israël : 

 רבי יוחנן אמר מהכא ורחמתי וגו' ואמרתי ללא עמי עמי אתה - אותם שלא היו מעמי ידבקו בהם ויהיו לי לעם

« Rabbi Yo’hannan dit que l'on peut dériver cette idée de ce verset : Et je ferai miséricorde à Lo-rouhama. Et je dirai à ce qui n’est pas mon peuple, tu es mon peuple; et il me dira, mon Dieu  - Ceux qui ne faisaient pas partis de mon peuple s’y attacheront à eux et seront mon peuple » (Rashi sur Pessa’him 87b)

Le Talmud de Babylone est  très clair quant aux conditions d’entrée dans la nation juive : 

לעולם אינו גר עד שימול ויטבול וכמה דלא טבל נכרי הוא

 « Un individu n’est un  Prosélyte que jusqu’à ce qu’il s’est circoncis et immergé ; tant qu’il n’est pas immergé, c’est un étranger (nokhri) »  (Bérakhoth 47b)

 לעולם אינו גר עד שימול ויטבול וכיון דלא  טביל גוי הוא

 « Un individu n’est un  Prosélyte que jusqu’à ce qu’il s’est circoncis et immergé ; tant qu’il n’est pas immergé, c’est un gentil (goy) » (`Avodah Zarah 59a)  

Le judaïsme rencontrait d’ailleurs un tel succès que Sénèque, au premier siècle, s’en agaça et déclara que « les coutumes de cette nation scélérate (les juifs) ont si bien prévalu, qu’elles sont déjà reçues dans tout l’univers. Les vaincus ont imposé leurs lois aux vainqueurs » (Cité de Dieu 4,11). Au IIIè siècle, l’empereur Sévère promulgua un décret interdisant aux païens de se circoncire afin de mettre un terme à l’expansion du judaïsme dans l’Empire Romain.

Le Coran

Le  Coran fait état en ces termes de l'enseignement des rabbins de Médine au 7è siècle de l’ère chrétienne :

 « Ni les Juifs, ni les Chrétiens ne seront jamais satisfaits de toi, jusqu'à ce que tu suives leur religion »  وَلَنْ تَرْضَىٰ عَنْكَ الْيَهُودُ وَلَا النَّصَارَىٰ حَتَّىٰ تَتَّبِعَ مِلَّتَهُمْ  (Coran 2 :120)

« Ils ont dit :  Soyez Juifs ou Chrétiens, vous serez donc sur la bonne voie. »  كُونُوا هُودًا أَوْ نَصَارَىٰ تَهْتَدُوا     (Coran 2 :135) 

 « Et ils ont dit:  Nul n'entrera au Paradis que Juifs ou Chrétiens. » لَن يَدْخُلَ الْجَنَّةَ إِلَّا مَن كَانَ هُودًا أَوْ نَصَارَىٰ.  (Coran 2 :111)


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