lundi 17 août 2020

Réponse aux objections rabbiniques à la messianité de Yéshou`a, Partie 4

Objection :

Eliahou, dont l’avènement doit précéder celui du Mashiah,  n’est pas venu avant Yéshou. Et même si les évangiles disent que Jean le Baptiste était Eliahou (Matthieu 11:14, 17 :11-13, Marc 9 :11-12), il a lui-même nié l’être (Jean 1:21). Yéshou ne peut par conséquent pas avoir été le Mashiah

Réponse :

La réponse à cela est donnée dans l’évangile de Luc :

« Il (Jean) marchera devant lui, dans l'esprit et la puissance d'Elie, pour ramener les cœurs des pères vers les enfants, et les indociles à la sagesse des justes, afin de préparer au Seigneur un peuple parfait » (Luc 1:7)

Jean n’était ainsi pas le prophète Elie descendu du ciel, mais en était simplement revêtu de la « puissance » et de l’ « esprit ». C’est en ce sens qu’il peut être dit que « Jean est Elie ». Cette manière métaphorique de s’exprimer n’est pas sans précédent, puisqu’on la retrouve dans la prophétie d’Ezéchiel :

והושעתי אתם, מכל מושבתיהם אשר חטאו בהם, וטהרתי אותם והיו-לי לעם, ואני אהיה להם לאלהים ועבדי דוד מלך עליהם, ורועה אחד יהיה לכלּם

« Je les délivrerai de toutes les demeures où ils ont péché, et je les purifierai ; et ils seront mon peuple, et je serai leur Dieu : et mon serviteur David sera leur roi, et leur seul pasteur pour eux tous »  (Ezéchiel 37 :23-24)

Le Talmud dit à ce sujet :

עתיד הקדוש ברוך הוא להעמיד להם דוד אחר שנאמר (ירמיהו ל) ועבדו את ה' אלהיהם ואת דוד מלכם אשר אקים להם הקים לא נאמר אלא אקים

« Dans le futur, le Saint Béni Soit-il suscitera un autre David, comme il est dit : « ils serviront l’Éternel, leur Dieu, et David, leur roi, que je leur susciterai. » (Jérémie 30 :9). Il n’est pas qui a été suscité (heqim) dit mais que je susciterai (aqim) » (Talmud de Babylone, Sanhédrin 98b)

Joseph Albo, dans son séfer Ha-`iqarim, nous permet d’y voir plus clair :

השמות יושאלו על המושאלים אליהם משני צדדים, אם מצד שידמו אליהם בדבר מה ואף על פי שלא ידמו מכל אופן אלא דמיון רחוק, ואם מצד שיורו עליהם בהוראה רחוקה כהוראת הכלי על בעל הכלי, כי יאמר הכתוב על המשיח ועבדו את ה׳ אלהיהם ואת דויד מלכם אשר אקים להם, בעבור שידמה מלך המשיח במלכותו או בנשיאותו אל דוד

« Les noms sont appliqués (allégoriquement)  à ceux qu’ils désignent pour deux raisons. Soit en raison d’une ressemblance, et ce, même si la ressemblance n’est pas en tout point, mais n’est qu’une ressemblance éloignée, soit parce qu’il existe un lien éloigné entre les deux choses identifiées, comme lorsque l’instrument désigne le propriétaire du dit instrument. L’Ecriture dit en rapport au Mashiah qu’ « ils serviront Adonaï leur Dieu et David leur roi que je susciterai » (Jérémie 30 :9) car le Mashiah ressemblera à David en sa qualité de Roi et de Prince » (Ezéchiel 37 :23) »  (Séfer Ha-`iqarim 2 :28)

Les commentaires de Maïmonide nous donnent à comprendre qu’il en va de même lorsque Malachie a prophétisé l’avènement d’Elie :

יעמוד נביא לישראל ליישר ישראל ולהכין ליבם:  שנאמר "הנה אנוכי שולח לכם, את אלייה הנביא" (מלאכי ג,כג).

« Un prophète se lèvera pour les Israélites afin de préparer leur cœur, ainsi qu'il est dit : " Voici, je vous enverrai Élie, le prophète  " (Malachie 3,23) »  (Yad ha-hazaqah, Hilkhoth Mélakhim 12,3) 

Notons que Maïmonide ne dit pas qu’ « Elie viendra », mais qu'un « prophète se lèvera ». Il déclare également que l’interprétation littérale de la prophétie de Malachie n’était ni admise par tous ni forcément exacte :

ויש מן החכמים שאומרים שקודם ביאת המלך המשיח, יבוא אלייהו.  וכל אלו הדברים וכיוצא בהן--לא יידע אדם היאך יהיו, עד שיהיו

« Il y a certains parmi les sages qui disent qu'Eliahou viendra avant l'avènement du Roi Messie. Cependant, toutes ces choses et tout ce qui s'y rapporte, personne ne peut savoir comment ils se produiront, jusqu'à ce qu'ils se produisent » (Hilkhoth Mélakhim 12,4)

Dire au sujet de Jean, qui a poursuivi l’œuvre d’Elie et qui était animé des mêmes sentiments, qu’il  était l’ « Elie qui devait venir » (Matthieu 11:14), sans qu’il l’ait été en personne (Jean 1:21), est donc parfaitement plausible compte tenu du langage métaphorique qu’ont parfois employé les auteurs de la Bible hébraïque.

Qu’est ce qui prouve alors que ce second Elie était réellement Jean et que son avènement n’est pas encore futur ? Un élément de réponse nous est donné dans l’oracle même de Malachie: 

הנה אנכי שלח לכם, את אליה הנביא--לפני, בוא יום יהוה, הגדול, והנורא.  והשיב לב-אבות על-בנים, ולב בנים על-אבותם--פן-אבוא, והכיתי את-הארץ חרם

« Voici, je vous enverrai Élie, le prophète, avant que vienne le jour de l’Éternel, jour grand et redoutable. Et il ramènera le cœur des pères vers les enfants, et le cœur des enfants vers leurs pères, afin que je ne vienne pas, et ne frappe pas le pays d’interdit » (Malachie 3:23)

En d’autres mots, des malheurs surviendront au lieu de la rédemption si la nation ne se repent pas et ne répond pas à l’appel d’ « Elie » au repentir.  Daniel, qui s’exprime en ces termes, nous en dit davantage :

שבעים שבעים נחתך על-עמך ועל-עיר קדשך, לכלא הפשע ולחתם חטאות ולכפר עון, ולהביא, צדק עלמים; ולחתם חזון ונביא, ולמשח קדש קדשים

« Soixante-dix semaines sont dispensées sur ton peuple et sur ta ville sainte, pour que le crime soit consommé, et la mesure du péché comblée, et l’iniquité expiée, et pour amener une justice éternelle, et sceller la vision et le prophète, et oindre le Saint des saints »  (Daniel 9 :24)

Comme Malachie, Daniel nous apprend que si les Israélites ne mettent pas un terme à leurs fautes afin de « sceller la vision et le prophète », c'est-à-dire, afin de provoquer la délivrance, c’est l’opposé qui se produira. La clé de compréhension de l’annonce de Malachie d’après laquelle l’« Eternel frappera le pays » en l’absence d’une repentance complète de la part du peuple se trouve en Daniel 9,26 : 

והעיר והקדש ישחית עם נגיד הבא

« La  ville et le Temple seront ravagés par le peuple d’un prince qui vient »

Le terme fixé étant comme on peut le voir la ruine de Jérusalem, il faut donner raison à Ibn `Ezra qui affirma que « tous les prophètes » dont les promesses sur la rédemption étaient conditionnelles comme nous l’avons amplement développé dans la première partiede nos réfutations, « n’ont prophétisé qu’au sujet du second Temple » כל הנביאים התנבאו על דבר בית שני (Commentaire sur Daniel 9,26). L’on doit en inférer que le personnage annoncé par Malachie comme devant appeler les Israélites à la repentance afin qu'ils échappent aux catastrophes qui se produiront s’ils persistent dans leurs transgressions, aurait dû se manifester avant le siège de Jérusalem par les romains et la destruction du deuxième Temple. Or, si Jean le baptiste n’était pas l’« Elie qui devait venir », qui pourrait-ce être d’autre ?

Objection :

Aucun des midrashim que vous citez ne parle de Yéshou, ni ne dit qu’il est le Mashiah. Qui plus est, la chronologie qu’ils présentent, comme le Mashiah ben Yossef qui se fait tuer après avoir rassemblé les exilés et  reconstruit le Temple (Téchouva de Hay Gaon), contredit vos croyances. Pourquoi piocher comme vous le faites et ne pas ou tout accepter, ou tout rejeter ?

Réponse :

Il ne faut pas oublier le midrash a deux composantes, l’une interprétative, donc de provenance humaine, et l’autre héritée de la Tradition. Or, comme l’a affirmé Maïmonide :

וכל אלו הדברים וכיוצא בהן--לא יידע אדם היאך יהיו, עד שיהיו:  שדברים סתומים הן אצל הנביאים.  גם החכמים אין להם קבלה בדברים אלו, אלא לפי הכרע הפסוקים; ולפיכך יש להם מחלוקת בדברים אלו.  ועל כל פנים, אין סידור הוויית דברים אלו ולא דקדוקן, עיקר בדת

« Ces choses là et tout ce qui s’y rapporte, aucun homme ne peut savoir comment elles se produiront jusqu’à ce qu’elles se produisent, puisqu’il s’agit de choses scellées dans les paroles des prophètes et que les Sages n’ont reçu aucune tradition les concernant. Plutôt, chacun n’a fait qu’interpréter les écritures, et c’est la raison pour laquelle les Sages eux-mêmes ne sont pas d’accord entre eux.  En tout cas, la succession de ces évènements, ainsi que les détails, ne sont pas des fondements de la foi » (Yad ha-hazaqah, Hilkhoth Mélakhim 12,4)

Le concept de ce qui a été plus tard appelé  Mashiah ben Yossef  par les sages du Talmud, en revanche, provient de la Tradition prophétique.  Par conséquent, accepter l’idée d’un messie souffrant ainsi que sa mort expiatoire n’implique pas nécessairement dadhérer à l’élément interprétatif, donc discutable, des midrashim portant sur le déroulement des évènements et l’identité de ce messie.

Objection :

Votre explication selon laquelle les hakhamim de la Yéshiva de Yavné rejetèrent Yéshou simplement en raison du fait qu’il a prétendu que ses enseignements étaient inspirés n’est pas cohérente. Celui qui rapporte l’histoire de la bat qol qui s’est prononcée en faveur de l’école d’Hillel est Shmouel (Erouvin 13b). Or, Shmouel dit aussi qu’il ne faut pas se fier à la bat qol et  attribue la même opinion aux disciples de Shammay (Yévamot 14a). D’ailleurs, comme vous le reconnaissez vous-même, beth Shammay n’a pas été intimidé par les miracles de Yéshou. Rabbi Yéhoshou`a n’a clairement pas inventé l’idée que l’on ne doit pas avoir recours au surnaturel pour trancher la halakhah.

Réponse :

Il s’agit bien au contraire d’un principe que Rabbi Yéhoshou`a a inventé sur le coup pour éviter de donner raison à Rabbi Eli`ezer. Sinon, comment expliquer que Rabbi Eli`ezer ait fait appel à Dieu pour tenter de convaincre les rabbins de Yavné s’il savait que cela ne ferait pas changer d’avis ses antagonistes ?

Quant à Shmouel, la contradiction ne provient pas de notre interprétation personnelle, mais des deux affirmations que la Guémara lui attribue. Dire, en effet, que les académies d’Hillel et de Shammay se disputèrent « pendant trois ans », implique que la controverse n’a pas duré plus longtemps et cessa lorsque la voix céleste proclama que « la Halakhah suit beth Hillel »  הלכה כבית הלל (Talmud de Babylone `Erouvin 13b) Il ne faut pas perdre de vue que les opinions ne sont jamais statiques, surtout dans le contexte des « controverses au Nom du Ciel » מחלוקת שהיא לשם שמיים  (Mishnah Avoth 5 :17) dont le principe même est la confrontation des idées pour parvenir à la vérité et non le fait de persister  dans des points de vues qui se sont avérés erronés. Si l’on se fie à la conjecture du Talmud de Babylone, Shmouel a selon toute vraisemblance fini par adopter l’opinion de Rav au sujet de l’autorité de la « bat qol ». Une autre explication transparaît cependant de ce passage du Talmud de Jérusalem : 

רבי יוסי בי רבי בון אמר רב ושמואל חד אמר אילו ואילו כהלכה היו עושין.  וחד אמר אילו כהילכתן ואילו כהילכתן.  ממזרות בנתיים ואת אמר הכין.  המקום משמר ולא אירע מעשה מעולם.  כהדא דתני כל הרוצה להחמיר על עצמו לנהוג כחומרי בית שמאי וכחומרי בית הלל על זה נאמר (קוהלת ב) והכסיל בחושך הולך.  כקולי אילו ואילו נקרא רשע אלא או כדברי בית שמאי כקוליהם וכחומריהם.  או כדברי בית הלל כקוליהם וכחומריהם.  הדא דתימר עד שלא יצאת בת קול.  אבל משיצאת בת קול לעולם הלכה כדברי ב"ה.  וכל העובר על דברי בית הלל חייב מיתה.  תני יצאתה בת קול ואמרה אילו ואלו דברי אלהים חיים הם אבל הלכה כבית הלל לעולם.  באיכן יצאת בת קול.  רב ביבי בשם רבי יוחנן אמר ביבנה יצאת בת קול

« Rabbi Yossé, le fils de Rabbi Boun dit : Rav et Shmouel [ne sont pas d’accord] : L’un dit que les deux camps agissaient selon la Halakhah [c'est-à-dire, suivaient la majorité]. L’autre dit que les deux camps agissaient chacun selon sa propre halakhah […] La tradition tannaïtique enseigne : Quiconque souhaite adopter les rigueurs de l’école de Shammay et les rigueurs de l’école d’Hillel, l’écriture dit à propos de lui : « le fou chemine dans les ténèbres » (Ecclésiastes 2:14). Celui qui adopte le laxisme de l’un ou de l’autre est un impie. Mais il faut adopter soit les rigueurs et le laxisme de Beth Shammay, soit les rigueurs et le laxisme de Beth Hillel. Ceci a été dit avant que la voix céleste est sortie. Mais  depuis qu’une voix céleste est sortie, la Halakhah suit toujours l’école d’Hillel et quiconque déroge aux  paroles de l’école d’Hillel est passible de mort. Il a été enseigné qu’une voix céleste sortit et dit que celles-ci et celles-là sont les paroles du Dieu vivant, mais la Halakhah suit toujours l’école d’Hillel. Où la voix céleste est-elle sortie ? Rav Bibi dit au nom de Rabbi Yohannan : C’est à Yavné que la voix céleste est sortie» (Talmud de Jérusalem, Yévamoth 1:6)

Ainsi, selon la version jérusalémite, si Shmouel a affirmé que les disciples de Shammay ont suivis leurs propres halakhoth כהילכתן, c’est parce qu’il se référait à la situation d’avant l’émission de la voix céleste. Que Shmouel ait ailleurs affirmé que les disciples d’Hillel et Shammay cessèrent la dispute lorsque la voix céleste s’est prononcée n’est donc pas contradictoire. Notons avec intérêt que la Barayta que reprend le Talmud de Jérusalem est plus emphatique encore sur l’autorité de la révélation divine puisqu’il y est déclaré que « quiconque déroge aux paroles de l’école d’Hillel est passible de mort » כל העובר על דברי בית הלל חייב מיתה.

Cet enseignement du Talmud de Jérusalem selon lequel en l’absence d’une révélation divine explicite, chacun est libre d’agir selon ses propres convictions donne raison à Rabbi Eli`ezer, lequel non seulement a refusé de se soumettre à la position majoritaire, mais fit appel à Dieu lors de l’incident du four de `Akhnay. Signalons en anticipation de toute objection additionnelle que le Talmud de Jérusalem situe le lieu où la bat qol a été entendue « à Yavné » ביבנה, l’emplacement où Yohanan ben Zakkay a déplacé le Tribunal et la maison d’étude après la ruine de Jérusalem. Il est vrai que le traité Sanhédrin du Bavli, au folio 88a, qui reprend l’explication de Rav Kahana selon lequel le Grand Tribunal de Jérusalem n’a pas l’autorité de trancher entre deux lois orales contradictoires, fait remonter la dissension entre les académies d’Hillel et de  Shammay à l’époque du second Temple. Y est cependant aussi rapporté l’opinion de Rabbi Ele`azar, qui estime que le Grand Sanhédrin a l’autorité de trancher n’importe quelle dispute, y compris celles qui portent sur le contenu des explications orales, et même d’annuler une tradition.  Il semble que Shmouel, lorsqu’il relate que les académies d’Hillel et de Shammay ne se sont disputé que pendant « trois ans » après la ruine du Temple fut du même avis que Rabbi Ele`azar et pensait qu’à l’époque du Temple où le Grand Tribunal de Jérusalem était en fonction, il n’existait encore aucune dispute d’école. Il est à noter que le Talmud de Jérusalem ne précise aucune durée lorsqu’il fait état des controverses entre ces deux branches du pharisaïsme antique.

Nous pensons  que si les sages de l'école de Shammay rejetèrent les miracles de Yéshou`a comme étant de la sorcellerie, ce n'est pas parce qu' ils croyaient comme les rabbins de Yavné que Dieu ne peut pas se prononcer ou  que le fait qu'un prophète attribue ses interprétations halakhiques à l'inspiration Divine le disqualifie d'office, mais parce qu'ils refusaient d'admettre que Dieu, auquel ils reconnaissaient bien le droit de trancher les disputes portant sur la Loi, n'agrée pas leurs préceptes. D'où le fait que, sans doute par souci de cohérence par rapport à la Tradition  qu'ils enseignaient eux-mêmes, ils n'eurent d'autre choix que de se rétracter définitivement quand publiquement, ils se sont trouvé face à un signe explicite qu'ils ne pouvaient plus  nier et sur laquelle la mauvaise foi ne pouvait plus l'emporter, à savoir Dieu Lui-même qui fait retentir sa Voix depuis les Cieux. Du moins, c'est ce qui ressort de la narration talmudique quand on ne cherche pas à en dénaturer le sens par des interprétations artificieuses. Rien ne permet, en somme, d'inférer que le refus d'écouter Dieu  était déjà enseigné comme un précepte par les Sages de l'ère du deuxième Temple.

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