samedi 25 septembre 2021

Commentaire sur les Evangiles

Marc 1:9-11, Matthieu 13 :13-16, Luc 3 :21-22 

« Tout le peuple se faisant baptiser, Jésus fut aussi baptisé; et, pendant qu'il priait, le ciel s'ouvrit,  et le Saint Esprit descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix fit entendre du ciel ces paroles: Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis toute mon affection » ( Luc 3 :21-22 )

« Alors Jésus vint de la Galilée au Jourdain vers Jean, pour être baptisé par lui. Mais Jean s'y opposait, en disant: C'est moi qui ai besoin d'être baptisé par toi, et tu viens à moi!  Jésus lui répondit: Laisse faire maintenant, car il est convenable que nous accomplissions ainsi tout ce qui est juste. Et Jean ne lui résista plus. Dès que Jésus eut été baptisé, il sortit de l'eau. Et voici, les cieux s'ouvrirent, et il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui Et voici, une voix fit entendre des cieux ces paroles: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection. » (Matthieu 13 :13-16)

« En ce temps-là, Jésus vint de Nazareth en Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain.  Au moment où il sortait de l'eau, il vit les cieux s'ouvrir, et l'Esprit descendre sur lui comme une colombe.  Et une voix fit entendre des cieux ces paroles: Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis toute mon affection » (Marc 1:9-11)


« … Il fut baptisé  … » 

L’on constate que le dialogue entre Yohanan et Yéshou`a que Matthieu intercale n’est pas présent en Marc.  L’ajout, par Matthieu, ou l’omission, par Marc, n’est pas quelque chose d’anodin, puisqu’ on lit dans l’Evangile de Jean :

« Je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser d'eau, celui-là m'a dit: Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et s'arrêter, c'est celui qui baptise du Saint-Esprit » (Jean 1:33)

Ce passage contredit l'idée que Yohanan ait reconnu Yéshou`a comme le Mashiah antérieurement à l'immersion et n’est pas du tout cohérent avec le récit de l’annonciation et de l’enfance,  selon lequel Yéshou`a, encore bébé, a été reconnu par la foule comme le Mashiah, y compris par les parents de Yohanan, lequel aurait  « tressailli d'allégresse » alors qu’il n’était qu’un fœtus en entendant la salutation de Marie (Luc 1 :26-80, Matthieu 2 :1-52).  L’on peut comprendre que l’Evangile canonique de Matthieu, qui fait de Yéshou`a le Mashiah depuis sa naissance, voire même avant, se soit senti obligé d’expliquer le paradoxe  qu’est que le baptême du «  plus fort » par le «  plus faible », un acte de soumission, et que Marc,  pour lequel Yéshou`a n’est devenu le  Mashiah qu’ultérieurement, lors de la descente sur lui de l’Esprit de Dieu, n’ait pas jugé nécessaire de clarifier quoi que ce soit. Pareillement, l'évangile de Luc, dont les deux premiers chapitres sont un ajout, ne rapporte pas ce dialogue. Il est intéressant de voir que l’Evangile des Ebionites, qui se présente comme une version alternative du Matthieu canonique mais sans les récits de la naissance miraculeuse et de l'enfance, place ce dialogue  après le baptême :

« Le peuple ayant été baptisé, Jésus vint aussi se faire baptiser par Jean. Comme il remontait de l'eau, les cieux s'ouvrirent et il vit le souffle sacré sous la forme d'une colombe qui descendait et entrait en lui. Une voix venant du ciel dit : "Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis mon affection." Et à nouveau : "Je t'ai engendré aujourd'hui." Aussitôt une grande lumière éclaira tout l'endroit. En la voyant, Jean lui dit : "Qui es-tu donc?" Et à nouveau une voix vint du ciel vers lui: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu" étant alors tombé à terre, Jean lui dit : "Je te prie, Seigneur, toi aussi, baptise-moi." Mais Jésus l'empêcha en disant : "Laisse, car c'est ainsi qu'il convient que tout soit accompli » (Épiphane, Panarion 30 :13:7-8)

Une ancienne version latine datée du 4ème siècle fait également mention de la lumière sur l'eau :

« Et quand il s’est fait immergé, une grande lumière brilla sur les eaux »  (Matthieu 3:16 , codex Vercellensis)

Justin de Naplouse (2e siècle), qui en  confirme l'authenticité,  nous apprend que  ce détail fut consigné à l'écrit par les Apôtres :

«  Lorsque Jésus parut sur les bords du Jourdain où Jean baptisait, et qu'il fut descendu dans l'eau, une flamme brilla sur le fleuve, et au moment où il sortit de l'eau, le Saint-Esprit, sous la forme d'une colombe, se reposa sur lui, ainsi que nous l'apprennent les apôtres » ( Dialogue avec Tryphon 88 )

Notons que l'hébreu אור selon que nous le vocalisons « or » ou « our » et l'araméen  נורא («  noura ») peuvent signifier « lumière »  et  « feu » à la fois.  D'après le Midrash Rabbah, la face de Pinhas émit des flammes telle une lampe  lorsque l'esprit saint vint sur lui פנחס  בשעה  שהיתה רוה"ק שורה עליו היו פניו בוערות כלפידים  (Vayiqra Rabbah 1:1)


« …. Il vit les cieux s'ouvrir, et l'Esprit descendre sur lui …. »

L’idée est présente dans le Tana"kh :

ונחה עליו רוח יהוה רוח חכמה ובינה רוח עצה וגבורה  רוח דעת ויראת יהוה

« L’Esprit de l’Eternel reposera sur lui: Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de crainte de l’Eternel » (Esaïe  11:2)

הן עבדי אתמך־בו בחירי רצתה נפשי נתתי רוחי עליו משפט לגוים יוציא

« Voici mon serviteur, que je soutiendrai, Mon élu, en qui mon âme prend plaisir. J'ai mis mon esprit sur lui; Il annoncera la justice aux nations » (Esaïe 42 :1)

 

« …  comme une colombe  …. »

Nous retrouvons aussi dans le Talmud  :

בן זומא אמר לו צופה הייתי בין מים העליונים למים התחתונים ואין בין זה לזה אלא שלש אצבעות בלבד שנאמר ורוח אלהים מרחפת על פני המים כיונה שמרחפת על בניה ואינה נוגעת

«  Ben Zoma dit : J’ai contemplé les eaux d’en haut et les eaux d’en bas, et il n’y a, entre les deux, que la distance de trois doigts, ainsi qu’il est dit : «  Et l’Esprit de Dieu se mouvait à la surface des eaux », comme une colombe qui voltige au-dessus de sa couvée sans la toucher » ( Hagigah 15a )

L'allégorie de la bienveillance de la mère oiseau envers sa progéniture permet de mieux saisir ce que disent les évangiles, qui nous rapportent qu'une voix proclama l'affection de l'Eternel pour son Oint.  Il est intéressant de constater que selon le Midrash,  c’est l’Esprit qui s’est mu à la surface des eaux,  dont on vient de voir qu' il est symbolisé dans le Talmud par la colombe,  qui se posera au moment venu sur le Mashiah :

ורוח אלהים מרחפת , זה רוחו של מלך המשיח. היאך מה דאת אמר : ונחה עליו רוח יהוה

 « Et l'esprit de Dieu se mouvait (Genèse 1:2) - c'est l'esprit du Roi Mashiah, comme il est dit : Et l'esprit de l’Eternel se posera sur lui » (Béréshith Rabbah  1:2)

Le  Targoum, qui identifie  la « voix de la colombe » קול התור annonçant le printemps ( Cantiques 2 :12 )  à la « voix de l’esprit saint ( annonçant ) le  salut » קל רוחא דקודשא דפורקנא  apporte une autre dimension au symbolisme. 


«  … Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis toute mon affection …  »

Il s’agit ici d’une reprise de la prophétie d’Esaïe 42 :1, que le Targoum (Edition de Varsovie) paraphrase comme suit :

הא עבדי  משיחא אקרבניה בחירי דאתרעי ביה מימרי אתין רוח קודשי עלוהי דיני לעממין יגלי

«  Voici mon Serviteur, le Messie, que je rapprocherai. Mon Elu, en lequel Ma Parole prend plaisir. Je mettrai en lui Mon Esprit Saint. Il révèlera aux peuples mon Jugement »

Cela dit, le Codex Bezae rapporte une version légèrement différente de Luc 3,22 :

« Et une voix fit entendre du ciel ces paroles: Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui » (Luc 3:22 , codex Bezae)

L’ancienneté et l’authenticité de cette version sont confirmées aussi bien par Clément d’Alexandrie (150-215 de l’ère chrétienne) que par  Justin de Naplouse (100-150):

« À l'instant même où le Seigneur recevait le baptême, une voix descendit du ciel, et, rendant témoignage à l'amour que Dieu lui portait, s'écria : Tu es mon fils bien-aimé; je t'ai engendré aujourd'hui. » (Clément d’Alexandrie, « Le Pédagogue », chap. 6)

« C'est alors que le Saint-Esprit, pour le manifester aux hommes, se reposa sur lui sous la forme d'une colombe, et qu'on entendit du ciel la parole prononcée longtemps d'avance pat David, lorsque ce prophète dit au nom du Christ ce que Dieu le père devait dire un jour au Christ lui-même : « Tu es mon fils, c'est moi qui t’a engendré aujourd'hui. » Cette parole annonçait aux hommes, lorsque le Christ se manifesta que c'était pour eux qu'il était né et qu'il venait d'apparaître » (Justin de Naplouse, Dialogue avec Tryphon 86,8)

Le passage figurait aussi dans l'évangile des Ebionites  : 

« Une voix venant du ciel dit : "Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis mon affection." Et à nouveau : "Je t'ai engendré aujourd'hui."  »  (  Panarion 30 :13:7-8 )

C'est ce qui explique la position des  judéo-chrétiens antiques, lesquels  croyaient que «  Jésus est né d’une manière naturelle, d’un homme et d’une femme, de Joseph et de Marie, mais qu’il a excellé en sagesse, en justice ainsi que dans toutes les autres choses … » ( Fables hérétiques 2 :1-3 ) et que « c’est en pratiquant la Loi que Jésus a été justifié et c’est pour cela qu’il a mérité le nom de Christ de Dieu »   ( Hyppolite, Elenchos 7 :34 ) ; une christologie qui, d'après Justin ( 100-165 de l'ère commune ), était aussi populaire auprès des chrétiens non juifs ( Dialogue avec Tryphon 49 ).  Il convient de signaler que la Barayta reprise dans le traité Soukkah du Talmud de Babylone , de même que les Manuscrits de Qoumrân,  attestent de  l’interprétation messianique du Psaume 2 :7 :

תנו רבנן משיח בן דוד שעתיד להגלות במהרה בימינו אומר לו הקב"ה שאל ממני דבר ואתן לך שנאמר (תהילים ב) אספרה אל חוק וגו'אני היום ילדתיך

« Nos Rabbins ont enseigné: le Saint béni soit-il dira a Messie fils de David, qu'il se révèle rapidement de nos jours, demande-moi et je te donnerais comme il est dit: Je publierai le décret etc. Je t'ai engendré aujourd'hui. » ( Talmud de Babylone, Soukkah 52a )

יוליד  אל את המשיח אתם 

«  ...  Dieu engendrera le Mashiah parmi eux ... » ( 1QSa 2 :11 )

אני אהיה לוא לאב והוא יהיה לי לבן הואה צמח דויד העומד עם דורש התורה אשר יקים בציון באחרית הימים

«  Je Serai pour lui un père et il sera pour moi un fils ( 2Samuel 7:14 )  – il s’agit du rejeton de David qui se tiendra debout avec l’interprète de la Loi qui se lèvera à Sion à la fin des temps » ( 4QFlorilège 1:11-12 )

 Considérons enfin,  pour une meilleure compréhension, l'enseignement de la Mékhilta :

זכור ושמור, שניהם נאמרו בדיבור אחד. "מחלליה מות יומת" (שמות לא יד), "וביום השבת שני כבשים" (במדבר כח ט) – שניהם בדיבור אחד נאמרו. "ערות אשת אחיך לא תגלה" (ויקרא יח טז), "יבמה יבוא עליה ולקחה לו לאשה" (דברים כה ה) – שניהם נאמרו בדיבור אחד. "לא תלבש שעטנז" (דברים כב יא), "גדילים תעשה לך" (דברים כב יב) – שניהם נאמרו בדיבור אחד. מה שאי איפשר לאדם לומר כן, שנאמר: "אחת דבר אלהים שתים זו שמענו" (תהלים סב יב)

« « Souviens-toi du jour du Shabbath » (Exode 20 :4) et « garde le jour du Shabbath » (Deutéronome  5 :12) ont été prononcés simultanément. Il en est de même de : « Celui qui le profanera  sera mis à mort » (Exode 31 :14) et : « Et au jour du Shabbath, deux agneaux » (Nombre 28 :9). De même : « Tu ne te vêtiras pas d’une étoffe mixte » (Deutéronome 22 : 11) et : « Tu te feras des tresses » (Deutéronome 22 :12). De même : « La nudité de la femme de ton frère, tu ne la découvriras pas » (Lévitique 18 :16) et : « Son beau-frère viendra sur elle » (Deutéronome 25 :5), chose qu’un être humain ne peut pas faire, ainsi qu'il est dit : « Dieu a parlé une seule fois, j’en ai entendu deux » (Psaume 62:11). »  ( Mékhilta de-Rabbi Yishma`el 20:8 )

Compte tenu de ces précédents torahiques, il n’est pas contradictoire que dans le récit de Marc, Dieu ait dit une chose  (« Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis toute mon affection » ) et que dans le récit de Luc , Il en ait dit une autre ( «Je t'ai engendré aujourd'hui » ). 

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