mardi 16 juin 2020

Réponse aux objections rabbiniques à la messianité de Yéshou`a

Partie 3 : 
Réfutation des arguments d'autorité 

Objection :
La Torah à laquelle vous dites croire ne nous a-t-elle pas ordonné en Deutéronome 17 de nous soumettre à la décision des Sages ? Puiqu’ ils ont tranché que Yéshou n’est pas le Mashiah, de quel droit contestez-vous leur jugement ?

Réponse :
Nahmanide a écrit dans ses hassagoth sur le Séfer Ha-mitsvoth:

וחתך לנו יתעלה הדין שנשמע לב"ד הגדול בכל מה שיאמרו בין שקבלו פירושו ממנו או שיאמרו כך ממשמעות התורה וכוונתה לפי דעתם, כי על המשמעות שלהם הוא מצוה ונותן לנו התורה, וזהו מה שאמרו (ספרי) אפילו אומרים לך על שמאל שהוא ימין ועל ימין שהוא שמאל שכך הוא המצוה לנו מאדון התורה יתעלה שלא יאמר בעל המחלוקת היאך אתיר לעצמי זה ואנכי יודע בודאי שהם טועים והנה נאמר לו בכך אתה מצווה, וכענין שנהג רבי יהושע עם ר"ג ביוה"כ שחל להיות בחשבונו כמו שהוזכר במסכת ר"ה  יש בזה תנאי יתבונן בו המסתכל בראשון של הוריות (דף ב':) בעין יפה, והוא שאם היה בזמן הסנהדרין חכם וראוי להוראה והורו בית דין הגדול בדבר אחד להיתר והוא סבור שטעו בהוראתם אין עליו לשמוע דברי החכמים ואינו רשאי להתיר לעצמו הדבר האסור לו אבל ינהג חומר לעצמו וכל שכן אם היה מכלל הסנהדרין יושב עמהם בבית הגדול, ויש עליו לבא לפניהם ולומר טענותיו והם ישאו ויתנו עמו, ואם הסכימו כלם בבטול הדעת ההוא שאמר ושבשו עליו סברותיו יחזור וינהג בדעתם

« Le Très Haut nous a ordonné d’écouter le Grand Tribunal , dans tous ce qu’ils disent , que ce soit ce qu’ils ont reçu au sujet de l’explication de la Torah, ou son sens selon leur opinion , car c’est selon le sens qu’ils en donnent qu’est le commandement et que la Torah nous a été donnée. Et voici ce que dirent les Sages dans le Sifri : Même s’ils te disent que la gauche est la droite et que la droite est la gauche, car le Seigneur de la Loi, le Très Haut, donna comme ordre que le dissident ne doit pas dire : Comment me permettrais-je ceci alors que je sais clairement qu’ils se trompent, car c’est ce que l’on t’a ordonné de faire, à la manière de Rabbi Yéhoshou`a envers Rabban Gamaliel dans la controverse sur la date de Kippour. Mais il y a une condition à cela, comme le comprendra celui qui regarde attentivement le premier chapitre du traité Horayoth : S’il y avait, aux temps du Sanhédrin, un Sage capable d’émettre une décision halakhique et que les membres du Grand Tribunal ont décidé de permettre une chose, si ce Sage là pense qu’ils se trompent, il n’a pas le droit de se permettre la chose interdite, mais agira selon la rigueur. A plus forte raison s’il s’agit d’un membre du Sanhédrin qui siège, avec les autres membres, au sein du Grand Tribunal. Il doit cependant se présenter devant eux et leur faire connaître ses opinions, afin qu’ils en discutent. Et si les membres du Tribunal sont unanimes quant au fait que son opinion est fausse et qu’ils ont réduit en ruine ses positions en sa présence   il doit se rétracter et agir selon leur opinion, après qu’ils l’auront lapidé de preuves et s’accordèrent pour rejeter sa position » (Commentaire de Nahmanide sur le Séfer Ha-mitsvoth, shoresh 1)

D’après Nahmanide, l’interdit de dévier du jugement du Tribunal , même lorsqu’on pense qu’il se trompe, ne s’applique ainsi qu’à celui qui n’a pas les connaissances nécessaires pour émettre un point de vue valable et la défendre, et non à ceux, comme les Sages,  qui en sont capables et qui ont le droit de suivre leur propre opinion, à laquelle ils doivent néanmoins renoncer au cas où les membres du Grand Sanhédrin la « réduisent en ruine » et la « lapident [de preuves contraires] ». Voici comment le Rav Itsiq Hendel commente ce passage : 

כיון שאינו מסור לבית דין לעקור דבר מן התורה. ולכן אם הוא יחשוב בעצמו שסברתו אמת אין עליו לשמוע דברי החכמימן ואינו רשאי לעצמו להתיר דבר האסור לו אכן ינהוג חומר לעצמון ועל זה כתב הרמבן : ואם הסכימו כולם בביטול הדעת ההוא שאמר ושבשו עליו סברותיו; דהיינו סהוא בעצמו רואה שתעה וסברתו משובשת, ומפני שאינו יודע להשיב על דברי מתנגדיו, אז יחזור וינהוג כדעתם אחר כך שסקלו אותו הכוונה, הכוונה אחר שהוא בעצמו הוכרח להודות להם על האמת

« La Torah n’a en effet jamais ordonné à l’individu de suivre l’opinion de la majorité en de telles circonstances, puisqu’ il n’a pas été donné au Tribunal d’annuler la Torah. Par conséquent, s’il pense que son point de vue est véridique, il n’est pas tenu d’écouter les paroles des Sages. Ainsi, « il n’a pas le droit de se permettre la chose interdite, mais agira suivant la rigueur ». « Et si les membres du Tribunal sont unanimes quant au fait que son opinion est erronée et qu’ils ont ruiné ses positions en sa présence », c'est-à-dire lorsqu’il voit lui-même qu’il se trompe et que son opinion est erronée, dès lors qu’il n’est pas capable de répondre aux objections de ses antagonistes, alors, il doit se rétracter et agir selon leur point de vue « après qu’ils l’auront lapidé de preuves », c'est-à-dire, après qu’il sera lui-même obligé d’admettre qu’ils ont raison. » (Sha`aré Binah, quatrième portique)

L’auteur ajoute :

ושבשו עליו סברותיו הכוונה שהביאו לו ראיות ברורות שאינו יכול להכחיש עוד והוא בעצמו הוכרח להודות שטעה. אז יכול החכם בעצמו להתיר האיסור שאסר מתחלה, אבל כל זמן שלא שבשו עליו סברותיו והיחיד אינו רואה את עצמו כמוכחש וצריך להודות לדבריהם ואדרבא עומד בדיבורו. בוודי כיון שהוא רואה עצמו האיסור מי יוכל להתיר לפנייו אף אם הרבים אינם נראים להם סברותיו, דמי יוכל להחשיך את עיני שכלו ולצווות לו דומיות במאי שהתורה נתנה לו רשות לדרוש ולסבור כי אם כפי דעתו ושכלו. ומעתה אנו למדין מדברי הרמבן : שלא בלבד אם היחיד אומר לאסור אך גם בהיפוך אם היחיד רואה טעם וסברה להתיר, אף אם הרוב לא נראה להם סברתו אמנם בל יוכלו להכחישו בראיה ברורה להראות לו שסברתו משובשת

« Et qu’ils ont détruit son point vue », cela signifie qu’ils lui ont donné des preuves claires qu’il ne peut plus réfuter en sorte qu’il est lui-même obligé d’admettre qu’il se trompe. Et c’est seulement alors qu’il est permis au Sage de s’autoriser ce qu’il s’est initialement interdit , mais tant qu’ils n’ont pas « détruit sa position », l’individu n’est ni réfuté ni obligé d’accepter leurs paroles. Au contraire, il persistera dans sa position. Il est évident que puisqu’il considère la chose comme interdite, personne ne peut l’obliger de se le permettre, même si la majorité n’est pas du même avis que lui. Qui peut, en effet, aveugler son intelligence (littéralement : obscurcir les yeux de son intellect) et lui ordonner quoi penser alors que la Torah lui donna le droit d’interpréter et de penser selon son opinion et son intellect ? Ces paroles de Nahmanide nous apprennent que ce n’est pas le cas seulement lorsque l’individu déclare interdit, mais également lorsqu’il voit une raison et une explication pour se permettre une chose, même si la majorité ne partage pas son point de vue mais n’est pas capable de le réfuter avec des preuves claires et de lui montrer qu’il se trompe » (ibid.)

Bien que la distinction qu’établit Nahmanide  entre d’une part l’homme du commun du peuple qui « dépend du Tribunal » תולה בבית דין et, d’autre part, l’ancien ou le disciple, qui a les connaissances nécessaires dans le domaine pour dépendre de lui-même תולה בעצמו, soit effectivement attestée dans la Mishnah (Horayoth 1:1), nous pensons pour notre part que le Sifri parle du cas spécifique évoqué dans le texte qu’il commente, où une situation inédite se présente et nécessite que le tribunal « en ces temps là » détermine l’application de la Loi. La question de savoir si l’électricité, encore inconnue aux temps bibliques, a le même statut halakhique que le feu et s’il est permis d’en utiliser le jour du Shabbath est un exemple de cas qui devra être traité par le Grand Tribunal. Une fois le jugement prononcé, on est tenu de s’y soumettre, même si on ne le comprend pas et que nous sommes arrivés à une autre conclusion. La Mishnah, qui permet de dévier de la décision du Tribunal, fait quant à elle référence aux disputes portant sur la signification de la Loi, où si l’on n’est pas d’accord et que l’on est capable de démontrer, Tradition à l’appui, le bien fondé de notre position, il est permis de la maintenir. Le Sifri et la Mishnah, malgré l’apparente contradiction, sont, en ce sens, complémentaires, puisque refuser au Tribunal le droit absolu de décider la Loi comme bon lui semble dans le cadre de l’autorité qui lui a été conférée serait renier la Loi Ecrite et Orale qui lui donna un tel pouvoir. L’explication de Nahmanide diffère ainsi certes de  la nôtre dans la forme, mais nos idées, dans le fond, se rejoignent quant au fait que l’on n’est pas tenu de suivre un Tribunal qui se trompe.

Nahmanide nous apprend encore :

ואפילו ביציאתם משם לטייל מעט ולחזור בטל כחן ורשותן מהם עד שיהיו במקומן כמו שאמרו (סנהדרין י"ד:) מצאן אבית פאגי והמרה עליהן יכול תהא המראתו המראה ת"ל וקמת ועלית אל המקום מלמד שהמקום גורם כ"ש לאחר החרבן כמו שאמרו עוד בפרק ד' מיתות (סנהדרין דף נ"ב) ובאת אל הכהנים הלויים ואל השופט בזמן שיש כהן יש משפט בזמן שאין כהן אין   משפט …ומאותה שעה בטלו כל הדינין התלויין בב"ד הגדול

« S’ils sortent de l’endroit ne serais-ce que pour voyager un peu et revenir par la suite, le pouvoir et l’autorité qui leur ont été conférés sont annulés jusqu’à ce qu’ils retournent dans le lieu, ainsi qu’il est dit : « Si un  individu trouva les membres du Grand Tribunal à Beth Pagué, se peut-il que sa rébellion constitue quand même un acte de rébellion ? L’écriture dit : « Tu te lèveras et tu monteras au lieu que l'Eternel, ton Dieu, choisira » (Sanhédrin 14b). Mais même cela n’est plus applicable depuis que le Temple a été détruit, puisqu’il est dit : « Et tu viendras vers les Prêtres, les lévites et le Juge qui sera en ces temps là » -  Il n’y a de jugement que lorsqu’il y a un sacrificateur » - (Sanhédrin 52b) » […] Depuis ce moment là, toutes les lois se rapportant au Grand Tribunal ne sont plus applicables » (Commentaire de Nahmanide sur le Séfer ha-mitsvoth 152)

Si l’on suit cette tradition qui limite l’exercice de l’autorité du Sanhédrin à l’emplacement du Temple quand le culte sacrificiel y a cours, c’est l’objection ci présente qui n’a plus lieu d’être sachant que la croyance en Yéshou`a était encore tolérée à l’époque où le Grand Tribunal était en fonction. Ce n’est en effet que vers la fin du premier siècle et par les rabbins de Yavné que les judéo-chrétiens auront été excommuniés. Comme en atteste par ailleurs le livre des Actes (5:35-39), Rabban Gamaliel l’ancien, le président du dernier Tribunal religieux qui a siégé dans l’endroit choisi par l’Eternel (Talmud de Babylone, Shabbath 15a), ne s’est pas prononcé sur la question de la messianité de Yéshou`a.

Dans tous les cas, la Loi Orale est explicite quant au fait que la réalité objective n’est pas sujette à la juridiction humaine :

הורו ב"ד שהוא מוצאי שבת ואח"כ זרחה חמה אין זה הורייה אלא טעות

« Si le Tribunal a décidé que c’est le soir qui marque la fin du Shabbath, mais qu’immédiatement après, le soleil s’est levé, ce n’est pas une décision halakhique (horayah) mais une erreur » (Tossefta Horayoth 1:5, Talmud de Babylone, Yévamoth 92a)

Par conséquent, bien que les membres du Tribunal puissent exprimer  leur point de vue et dire ce qu’ils en pensent, ils ne peuvent pas « trancher » si réellement Yéshou`a est ou n’est pas le Mashiah, dès lors qu’à l’instar de la couleur bleue du ciel, l’Existence de Dieu ou encore la Torah elle-même, la véracité ou non de ses miracles et de sa résurrection n’est ni diminuée ni augmentée par l’incrédulité ou la croyance dont les hommes font preuve. Ce n’est donc assurément pas contrevenir au commandement du « lo tassour » que d’avoir à ce sujet un point de vue différent de celui considéré comme « normatif » par  ceux qui se disent être les représentants de l’orthodoxie contemporaine.

Objection :
Comment expliquez-vous alors le fait que le judaïsme actuel ne croit pas en Yéshou ?

Réponse:
Etant donné que Yéshou`a a respecté la Torah et que la tradition rabbinique admet l’idée d’un Mashiah exécuté, le rejet de la messianité de Yéshou`a par l’école d’Hillel,  qui, initialement, n’a pas exclu la possibilité qu’il ait réellement été ce qu’il se disait être, n’a clairement rien à voir avec les  prétextes inlassablement répétés de nos jours par les anti-missionnaires, dont la bonne foi n’est pas l’apanage, mais découle de l’étonnante décision du Tribunal du Yavné qui a « tranché » que les controverses halakhiques ne sont pas les affaires de Dieu :

ר"א מטהר וחכמים ומטמאין וזה הוא תנור של עכנאי מאי עכנאי אמר רב יהודה אמר שמואל שהקיפו דברים כעכנא זו וטמאוהו תנא באותו היום השיב רבי אליעזר כל תשובות שבעולם ולא קיבלו הימנו אמר להם אם הלכה כמותי חרוב זה יוכיח נעקר חרוב ממקומו מאה אמה ואמרי לה ארבע מאות אמה אמרו לו אין מביאין ראיה מן החרוב חזר ואמר להם אם הלכה כמותי אמת המים יוכיחו חזרו אמת המים לאחוריהם אמרו לו אין מביאין ראיה מאמת המים חזר ואמר להם אם הלכה כמותי כותלי בית המדרש יוכיחו הטו כותלי בית המדרש ליפול גער בהם רבי יהושע אמר להם אם תלמידי חכמים מנצחים זה את זה בהלכה אתם מה טיבכם לא נפלו מפני כבודו של רבי יהושע ולא זקפו מפני כבודו של ר"א ועדיין מטין ועומדין חזר ואמר להם אם הלכה כמותי מן השמים יוכיחו יצאתה בת קול ואמרה מה לכם אצל ר"א שהלכה כמותו בכ"ם עמד רבי יהושע על רגליו ואמר (דברים ל, יב) לא בשמים היא מאי לא בשמים היא אמר רבי ירמיה שכבר נתנה תורה מהר סיני אין אנו משגיחין בבת קול שכבר כתבת בהר סיני בתורה (שמות כג, ב) אחרי רבים להטות

« Rabbi Eli`ezer dit qu’il est pur et les sages le déclarent impur. C’était le four de `Akhnay. Pourquoi ce nom ? Rabbi Yehoudah dit au nom de Shmouel : Ils l’ont entouré d’arguments comme un serpent  (`akhna) et ont prouvé qu’il est impur. Il a été enseigné : Ce jour-là, Rabbi Eli`ezer avança tous les arguments possibles, mais les Sages ne les acceptèrent pas.  Il leur dit : « Si la halakhah correspond à mon avis, que ce caroubier le prouve ! ». Le caroubier se déracina de son lieu de  cent coudées  –d’autres disent  quatre cent. « On n’apporte pas de preuve d’un caroubier ! » lui dirent-ils. Il leur dit encore : « Si la halakhah correspond à mon avis, que ce courant d’eau le prouve! », et l’eau remonta le courant.   « On n’apporte pas de preuves d’un courant d’eau ! » lui dirent-ils.  Il dit alors : « Si la halakhah correspond à mon avis, que les murs de la maison d’étude le prouvent ! ». Les murs s’inclinèrent pour s’effondrer. Mais Rabbi Yéhoshou`a les gronda et dit : « Quand des Sages se disputent sur la halakhah, pourquoi vous mêlez-vous ?   ». Les murs ne tombèrent pas en l’honneur de Rabbi Yéhoshou`a et ne se redressèrent pas en l’honneur de Rabbi Eli`ézer. Il leur dit de nouveau : « Si la halakhah correspond à mon avis, que le Ciel le prouve ! ».  Alors, une voie céleste sortit et dit : « Pourquoi vous disputez-vous contre Rabbi Eli`ézer ! Son opinion est la Halakhah ! ». Rabbi Yéhoshou`a  se leva et dit : « Elle n’est pas dans les cieux ! » (Deutéronome  30 :12). Qu’a-t-il voulu dire ? Rabbi Yirméyah dit : « Que la Torah a déjà été donnée au mont Sinaï; nous ne tenons plus compte des voix célestes, car il est écrit : Selon la majorité, tu t’inclineras ». Rabbi Nathân rencontra Eliahou et lui demanda : Qu'est ce que le Saint Béni Soit-il fit à ce moment là ? Il rit et dit : Mes enfants m'ont vaincu ! Mes enfants m'ont vaincu ! Il a été dit : Ce jour là, tous les objets que Rabbi Eli`ezer déclara purs ont été rassemblés et brûlés. Ils votèrent ensuite et l'excommunièrent  » (Talmud de Babylone, Bava Métsi`a 59a-59b)

Considérons l’explication de Maïmonide :
 
וכן אם עקר דבר מדברים שלמדנו מפי השמועה, או שאמר בדין מדיני תורה שה' ציווה לו שהדין כך הוא והלכה כדברי פלוני--הרי זה נביא שקר, וייחנק אף על פי שעשה אות: שהרי בא להכחיש תורה שאמרה "לא בשמיים, היא

« Si un individu qui se dit prophète abroge ne serais-ce qu’une chose que l’on a appris de la Tradition Orale, ou s’il affirme, en ce qui concerne l’une des lois de la Torah, que l’Eternel lui a ordonné que la Halakhah suit l’avis d’un tel, c’est un faux prophète, et il doit être étranglé en raison du fait qu’il a accompli un signe, puisqu’il est venu contredire la Torah qui a affirmé qu’elle n’est pas au ciel » (Yad ha-hazaqah Lois sur les fondements de la Torah 1 :4)

Il est clair que pour ceux qui interprétaient le texte du Deut 30 :12 comme l’a fait Yéhoshou`a ben Hananiah, le simple fait que Yéshou`a ait attribué à l’inspiration divine ses enseignements pourtant en accord avec la tradition pharisienne (Jean 3:34, 7:16, 12:49) constituait la preuve qu’il est « venu contredire la Torah qui dit qu’elle n’est pas au ciel ». L’interprétation communément admise du passage en Bava Métsi`a 59a-b dont on vient de reproduire l’extrait veut que Dieu ait ri de joie à l'idée que ses enfants l'ont « vaincu ». Mais ce serait faire fi de ce que rapporte par la suite la Barayta qui donne à comprendre que ce rire ne pouvait être que sarcastique :

תנא אך גדול היה באותו היום שבכל מקום שנתן בו עיניו ר"א נשרף ואף ר"ג היה בא בספינה עמד עליו נחשול לטבעו אמר כמדומה לי שאין זה אלא בשביל ר"א בן הורקנוס עמד על רגליו ואמר רבונו של עולם גלוי וידוע לפניך שלא לכבודי עשיתי ולא לכבוד בית אבא עשיתי אלא לכבודך שלא ירבו מחלוקות בישראל נח הים מזעפו אימא שלום דביתהו דר"א אחתיה דר"ג הואי מההוא מעשה ואילך לא הוה שבקה ליה לר"א למיפל על אפיה ההוא יומא ריש ירחא הוה ואיחלף לה בין מלא לחסר איכא דאמרי אתא עניא וקאי אבבא אפיקא ליה ריפתא אשכחתיה דנפל על אנפיה אמרה ליה קום קטלית לאחי אדהכי נפק שיפורא מבית רבן גמליאל דשכיב

« Un Tanna dit : Grande est la calamité qui survint ce jour là, car tous les endroits où Rabbi Eli`ezer plaça son regard s’enflammèrent. Rabban Gamaliel  voyageait en bateau quand une grande vague s’éleva pour le noyer. « Il me semble », se dit-il, «  que cela est à cause de Rabbi Eli`ezer ». Il se leva alors et dit : « Seigneur de l’Univers ! Tu sais bien que je l’ai fait ni pour mon honneur, ni pour l’honneur de la maison de mon père, mais pour ton honneur, afin que les disputes ne se multiplient pas en Israël ! ». La mer se calma alors. Imma Shalom était l’épouse de Rabbi Eli`ezer et la sœur de Rabban Gamaliel.  Depuis cet incident, elle ne permit pas à Rabbi Eli`ezer de se prosterner (pour supplier Dieu). Un jour, survint la nouvelle lune [le premier jour du mois], mais elle confondit le mois plein (un mois de 30 jours)  avec un mois défectif (un mois de 29 jours) (elle pensait que c’était déjà la nouvelle lune où l’on ne suppliait pas personnellement Dieu). D’autres disent : un mendiant se tint à la porte et elle partit lui offrir du pain. Lorsqu’elle s’est retournée, elle vit Rabbi Eli`ezer se prosternant. « Lève-toi ! » s’écria-t-elle : «  Tu as tué mon frère ! ». Dans le même temps, le son du Shofar retentit de la maison de Rabban Gamaliel annonçant son décès » (Ibid.)

Le Rav Moshéh mi-Pizents commenta ainsi : 

ומה שלא השגיחו בבת קול הוא פשוט ואמרו אחיך קודשא בריך הוא פשוט וברור כי ידוע שהתורה וכן החכמים ז"ל "דברה תורה כלשון בני אדם" ולזה יאמר בזה האופן כאלו הקב"ה עושה מתשובת רבי יהושע זה חוכא ואיטלולא שחוק עשה אלהים על כי טעה טעות גדול כי לא נאמר בתורה "אחרי רבים להטות" בלתי כי אם לבן אדם שאינו יודע על אמיתת הענין ובירורו, ואליו צווה "אחרי רבים להטות", וזה לא שייך לפה לדבר מול הכבוד הגדול יתברך היודע אמיתת כל דבר, וזהו ודאי אחיך קב"ה שבניו רוצים לנצחו בדמיונות וטענות מדומות בלתי אמיתיות

« La raison pour laquelle ils n'écoutèrent pas la voix céleste est simple. Et la raison pour laquelle ils dirent que Dieu rit est simple et clair : Car il est connu que la Torah et les Sages de mémoire bénie parlent le langage des hommes. Ainsi, c'était comme si le Saint Béni Soit-il fit de la réponse de Rabbi Yéhoshou`a un objet de dérision car ce dernier se trompa grandement. Car la Torah n’a dit qu’il faut suivre la majorité qu’en ce qui concerne les hommes qui ne savent pas la réalité d’une chose, mais il n’appartient pas à la   bouche de parler contre la Grande Gloire Bénie qui connaît la vérité de toutes choses. Et c’est pour cela, évidemment, que le Saint Béni Soit-il a rit car ses enfants voulaient l’emporter contre lui avec des fantaisies et des faux arguments. » (Darash Moshé p. 59)

Bien que Rabbi Haninah, un amora dont les propos laissent voir qu’il fut lui-même un partisan de Rabbi Yéhoshou`a, avança l’explication selon laquelle Rabbi Eli`ezer, qu’il accuse de mauvaise foi,  a fait le niais et s’accrocha à ses opinions uniquement parce que ses antagonistes l’ont offensé (Talmud de Jérusalem, Mo`ed Qatan 10b), le passage qui suit montre que la position de Rabbi Eli`ezer, tant dans son refus de se plier à la majorité que dans le fait qu’il en ait appelé à la voix céleste, était au contraire entièrement légitime :

ובפלוגתא [דרב ושמואל] דרב אומר לא עשו ב"ש כדבריהם ושמואל אמר עשו ועשו אימת אילימא קודם בת קול מ"ט דמ"ד לא עשו ואלא לאחר בת קול מ"ט דמ"ד עשו אי בעית אימא קודם בת קול ואי בעית אימא לאחר בת קול אי בעית אימא קודם בת קול וכגון דב"ה רובא למ"ד לא עשו דהא ב"ה רובא ומ"ד עשו כי אזלינן בתר רובא היכא דכי הדדי נינהו הכא בית שמאי מחדדי טפי ואי בעית אימא לאחר בת קול מ"ד לא עשו דהא נפקא בת קול ומ"ד עשו רבי יהושע היא דאמר אין משגיחין בבת קול

«  Rav maintient que les disciples de Shammay n’agissaient pas selon leurs points de vue tandis que Shmouel maintient qu’ils agissaient selon leurs points de vue.  Quand ? Si c’était avant que la voix céleste s’est prononcée [et  déclara que la Halakhah suit l’école d’Hillel], comment celui qui dit qu’ils n’agissaient pas selon leurs points de vue explique t-il son opinion ? Si, cependant, c’était après que la voix céleste s’est prononcée, comment celui qui dit qu’ils agissaient selon leurs points de vue explique t-il son opinion ? La question n’est pas pertinente. Même avant que la voix céleste s’est prononcée, l’école d’Hillel constituait la majorité. Par conséquent, celui qui dit que les disciples de Shammay n’agissaient pas selon leurs points de vue peut invoquer comme raison le fait que l’école d’Hillel constituait la majorité. Celui, par contre, qui dit que les disciples de Shammay agissaient selon leurs points de vue pourrait dire que la majorité ne doit être suivie que lorsque les deux partis sont égaux ; or, les disciples de Shammay avaient une intelligence plus aiguisée. Et si nous disons que c’était après que la voix céleste s’est prononcée, celui qui pense que les disciples de Shammay n’agissaient pas selon leurs points de vue pourrait invoquer comme raison évidente le fait que la voix céleste a déjà tranché. Tandis que celui qui dit qu’ils agissaient selon leurs points de vue est du même avis que Rabbi Yéhoshou`a qui ne reconnaît pas l’autorité des voix célestes » (Talmud de Babylone, Yévamoth 14a)

L’on voit que plusieurs points de vue étaient admis par les Sages du Talmud, qui là encore, étaient loin d’être d’accord eux. 

D’après Rav, bien qu’il faille suivre la majorité, la vox dei a préséance sur la vox populi en sortes que l’obligation de suivre l’opinion de la majorité ne s’applique que tant que Dieu n’a pas dit ce qu’il en est réellement. Rabbi Mosheh de Pizents, comme nous l’avons vu, suit l’opinion de Rav

Shmouel, qui limite l'application de l' « aharé rabim » en cas d'égalité au niveau des arguments,  était d’avis que la minorité n’est pas tenue de se soumettre à l’opinion du grand nombre, si tant qu’elle sait défendre sa position et dispose de plus d'arguments valables. A l’instar de Rabbi Yéhoshou`a,  cependant, Shmouel rejette l’autorité de la voix céleste.

Rabbi Yéhoshou`a et Rabbi Eli`ezer représentent les deux extrêmes. Tandis que le premier, dont l’enseignement est ce qu’on peut littéralement appeler des préceptes d’hommes,  ne permet pas à la minorité de dévier de la position du grand nombre et va même jusqu’à refuser à Dieu le droit de se prononcer, le second reconnaissait à la minorité qui sait défendre son opinion le droit de ne pas se plier devant l'opinion majoritaire, puisqu’il s’est lui-même prévalu de ce droit, et considère Dieu comme l’autorité halakhique suprême. 

Non seulement, ainsi que nous l’avons amplement démontré en un autre endroit, les Pharisiens de l’époque du second Temple reconnaissaient à la minorité dont la position est appuyée par la Tradition le droit de suivre sa propre opinion et ce, même en cas d'égalité au niveau des arguments, mais le principe qui veut que Dieu n’ait pas son mot à dire dans les controverses halakhiques est contemporaine à Rabbi Yéhoshou`a et ne provient pas des docteurs de la Loi qui l’ont précédé, lesquels, lorsqu’une voix céleste s’exprima en faveur des traditions de l’école d’Hillel, cessèrent tout débat :

שלוש שנים נחלקו בית שמאי ובית הלל, הללו אומרים הלכה כמותנו והללו אומרים הלכה כמותנו. יצאה בת-קול ואמרה: אלו ואלו דברי אלהים חיים הן, והלכה כבית הלל.

« L’école de Shammay et l’école d’Hillel se disputèrent pendant trois ans. L’un et l’autre camp disait que la Halakhah suit son avis. Une voix céleste sortit et dit : Celles-ci et celles-là sont les paroles du Dieu vivant, mais la Halakhah suit l’école d’Hillel » (Talmud de Babylone, `Erouvin 13b) 

On peut aussi lire dans le Talmud de Jérusalem :

משיצאת בת קול לעולם הלכה כדברי ב"ה.  וכל העובר על דברי בית הלל חייב מיתה.  תני יצאתה בת קול ואמרה אילו ואלו דברי אלהים חיים הם אבל הלכה כבית הלל לעולם.  באיכן יצאת בת קול.  רב ביבי בשם רבי יוחנן אמר ביבנה יצאת בת קול

« Depuis qu’une voix céleste est sortie, la Halakhah suit toujours l’école d’Hillel et quiconque transgresse les paroles de l’école d’Hillel est passible de mort. Il a été enseigné qu’une voix céleste sortit et dit que celles-ci et celles-là sont les paroles du Dieu vivant, mais la Halakhah suit toujours l’école d’Hillel. Où la voix céleste est-elle sortie ? Rav Bibi dit au nom de Rabbi Yohannan : C’est à Yavné que la voix céleste est sortie » (Talmud de Jérusalem Yébamoth 1,5)

Cela atteste clairement que le principe qu’a énoncé Rabbi Yéhoshou`a était encore inconnu dans les premières années qui suivirent la fondation de l’académie de Yavné par Yohannan ben Zakkay. Comme on peut le constater en outre de par l’extrait tiré du Traité Yévamoth 14a déjà cité, le Talmud présente la position de Rabbi Yéhoshou`a et la décision de suivre la voix céleste comme mutuellement exclusives, ce qui invalide toute tentative d’harmoniser les contraires. Il est intéressant de voir que le point de vue de Rabbi Yéhoshou`a sur le suivi de la majorité a été rejetée par le Talmud, puisque nous lisons dans le traité `Erouvin :

כל היכא דמשכחת תרי תנאי ותרי אמוראי דפליגי אהדדי כעין מחלוקת בית שמאי ובית הלל - לא ליעבד כי קוליה דמר וכי קוליה דמר, ולא כחומריה דמר וכי חומריה דמר, אלא או כי קוליה דמר וכחומריה עביד, או כקוליה דמר וכחומריה עביד

« A chaque fois que tu tombes sur deux Tannaïm ou deux Amoraïm qui se contredisent à la manière des disputes qui opposa Beth Shammay à Beth Hillel, il ne faut pas agir seulement selon les indulgences  de l’un et de l’autre,  ni seulement selon les rigueurs de l’un et de l’autre, mais faire aussi bien selon les indulgences que selon  les rigueurs de l’un ou  aussi bien selon les indulgences que selon les rigueurs de l’autre » (Talmud de Babylone, `Erouvin 7a)

Et dans le traité `Avodah Zarah :

ת"ר הנשאל לחכם וטימא לא ישאל לחכם ויטהר לחכם ואסר לא ישאל לחכם ויתיר היו שנים אחד מטמא ואחד מטהר אחד אוסר ואחד מתיר אם היה אחד מהם גדול מחבירו בחכמה ובמנין הלך אחריו ואם לאו הלך אחר המחמיר ר' יהושע בן קרחה אומר בשל תורה הלך אחר המחמיר בשל סופרים הלך אחר המיקל א"ר יוסף הלכתא כרבי יהושע בן קרחה

« Nos Maîtres ont enseigné : Celui qui pose une question à un Sage qui déclare impur ne devra pas aller consulter un Sage qui déclare pur. Celui qui pose une question à un Sage qui interdit ne devra pas aller consulter un Sage qui permet. Si l’un déclare pur et que l’autre déclare impur, que l’un permet et que l’autre interdit, et si l’un est plus grand que l’autre en sagesse et en nombre, c’est celui-là qui doit être suivi. Sinon, on doit suivre l’opinion la plus stricte. Rabbi Yéhoshou`a ben Qorhah dit : Si c’est en rapport à une Loi torahique, on suit le plus stricte. Si c’est en rapport à une Loi rabbinique, on suit le moins stricte. Rav Yossef dit : La halakhah suit Rabbi Yéhoshou`a ben Qorhah » (Talmud de Babylone, `Avodah Zarah 7a)

Cette troisième opinion autorise ainsi à n’importe quel des partis impliqués dans la controverse et dont le raisonnement n’a pas été ruiné par le camp adverse de suivre son opinion dans toutes les figures de cas. Elle limite également la règle de l’« aharé rabim » aux tiers qui n’ont pas pris parti et seulement au cas spécifique où la majorité dispose également de plus d’arguments. Le principe de base établi dans tous les autres cas,  en ce qui concerne les tiers, étant de toujours suivre l’opinion la plus stricte, ou, selon rabbi Yéhoshou`a ben Qorhah considérée comme la halakhah par Rav Yossef, de suivre le point de vue le plus stricte s’il s’agit d’une loi torahique, et le plus laxiste s’il s’agit d’une loi rabbinique. D’où l’utilité du Grand Tribunal dont le rôle est de dissiper le doute et de trancher la Loi, en faveur de l’un ou l’autre des partis, dans les domaines relevant de sa juridiction et d’imposer sa décision à tous. Le Tribunal de Yavné, et  tous les tribunaux apparus après la dissolution du Grand Sanhédrin  n’étant que des organes représentatifs de la majorité et qui dérivent leur ascendant du fait que leur érudition est reconnue par le grand nombre, mais n’ayant, comme nous l’avons vu, aucune autorité propre au regard de la Loi. 

En somme,  l’incident du  four de `Akhnay est la preuve que Rabbi Eli`ezer est, encore une fois, resté fidèle aux principes et aux traditions qu’il reçut de ses maîtres, desquelles il ne s’est jamais écarté (Talmud de Babylone, Soukkah 28a). Celui-ci avait donc raison de reprocher à Rabbi Yéhoshou`a :

אתה לא שמעת אני שמעתי אתה לא שמעת אלא אחת ואני שמעתי הרבה אין אומרים למי שלא ראה את החדש יבא ויעיד אלא למי שראהו

« J’ai reçu une tradition, toi, tu n’as rien reçu. Tu n’as reçu qu’une seule, moi, j’en ai  reçu plusieurs. Ce n’est pas à celui qui n’a pas vu la lune que l’on demande de venir témoigner,  mais à celui qui l’a vu » (Talmud de Babylone, Niddah 7b)
 
Dans tous les cas, l’interprétation de Rabbi Yéhoshou`a, qui est aujourd’hui enseignée comme la norme et célébrée par l’orthodoxie rabbinique malgré les voix, y compris celle de Dieu, qui la contredisent, a été acceptée par les membres du Tribunal de Yavné. C’est cette rupture par rapport à la tradition pharisienne qui explique pourquoi l’avis de Rabban Gamaliel l’ancien, qui admettait la possibilité que Yéshou`a soit le Mashiah, a été écartée.

Les chrétiens gentils et les judéo-chrétiens gentilisés ont cependant aussi leur part de responsabilité. Leurs déviances doctrinales sont en effet à l’origine de la charge d’apostasie portée contre toute la mouvance des disciples de Yéshou`a, qui étaient accusés de ne professer qu’extérieurement le judaïsme pour mieux évangéliser les juifs. D’où les mesures que prirent les Sages pour circonscrire leur influence :

שחיטת המין לעבודת כוכבים ופתן פת עובדי כוכבים ויינם יין נסך ופירותיהן טבלים וספריהן ספרי קוסמין ובניהם ממזרים ואין מוכרין להם ואין לוקחין מהן. ואין נושאין מהן ואין נותנין להן. ואין מלמדין את בניהן אומנות. ואין מתרפאין מהן, לא רפוי ממון ולא רפוי נפשות

« Un animal abattu par un mîn (hérétique) a le statut d’abattu au nom de l’idolâtrie. Le pain des minim (hérétiques) a le statut de pain des gentils et leur vin a le statut de nesekh (c'est-à-dire du vin dont on ne sait pas s’il a été versé en libation à une idole), leurs fruits ont le statut de Tével (qui est interdit à la consommation et à la jouissance), leurs livres ont le statut de livres de magiciens et leurs enfants sont des bâtards.  On ne leur vend rien et on ne leur achète rien. On n'épouse pas leurs filles et on ne donne leur donne pas nos filles. On n'apprend  à leurs fils aucun métier. On ne reçoit aucune aide d'eux, ni de l'argent, ni aucune aide médicale. » (Tossefta Houlin 2,21-22)

Le Talmud de Babylone, dans le traité Bérakhoth 29a, nous apprend par ailleurs que tous ceux qui refusaient de maudire les disciples de Yéshou`a ont été eux aussi excommuniés, car suspectés d’appartenir à la secte des nazaréens. Et même si les rabbins de Yavné ont réadmis Rabbi Eli`ezer Hagadol post mortem  (Talmud de Babylone, traité Niddah 7b), la mise au banc décrétée contre les croyants en Yéshou`a n'aura, quant à elle, jamais été levée comme le montre la Tossefta qui deux siècles après les faits, reprend les mesures anti-nazaréennes prises par les sages de Yavné comme étant encore  d’actualité. Remarquons que Rabbi Eli`ezer, qui a initialement ignoré ces mesures, a plus tard regretté ses rapports amicaux  avec les disciples de Yéshou`a qu'il a finalement considéré comme des hérétiques dont la fidélité au judaïsme n'est qu'une apparence. En témoigne la suite du passage de la Tossefta Houlin que nous avons cité qui montre en outre que le simple fait de reprendre un enseignement, quand bien même conforme à la Torah, etait considéré comme de l'hérésie מינות s'il était cité au nom de Yéshou`a. Il ne faut ainsi pas s’étonner de ce que la mémoire du Yéshou`a historique n’ait pas été préservée dans la littérature rabbinique et que les générations postérieures de sages talmudiques, même ceux qui reconnaissaient l’autorité de la voix céleste, n’y aient pas cru compte tenu, d'une part, de l'accusation d'apostasie qui ternissait l'image de Yéshou`a et ses disciples et, d'autre part, du fait que les seuls docteurs de la Loi mentionnés dans la littérature talmudique et qui n’ont pas été frappés de damnatio memoriae sont justement ceux qui acceptèrent de maudire les judéo-chrétiens et  ratifié ces mesures qui rendent  impossible pour quiconque les respecte de parvenir à la conclusion que Yéshou`a est le  Mashiah  et de franchir le pas de l'immersion en son nom.  

Objection :
Mais n’est t-il pas contradictoire de défendre Yéshou en citant les écrits de Sages qui ne croyaient pas en lui ? 

Réponse :
Il ne faut perdre de vue que la Tradition rabbinique remonte en grande partie aux prophètes et aux tannaïm qui vécurent avant Yéshou`a et dont on ne peut donc pas dire qu’ils l’ont « renié ». Défendre Yeshou'a par  la tradition dans laquelle il a baignée est donc parfaitement légitime. Certes, la littérature rabbinique ne rapporte pas que des traditions révélées remontant aux prophètes קבלה , mais également les déductions humaines  סברה des sages. Cependant, citer pour leur pertinence les propos d'un individu sur un point n'implique nullement d'être systématiquement d'accord avec lui sur tous les autres. Les savants et commentateurs juifs ne font pas exception à la règle.


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